Jean Houssaye vient de publier « Professeurs et élèves : les bons et les mauvais » (voir rubrique bibliographique). Il a bien voulu répondre aux questions du Café sur cet ouvrage.
BD – Quel était le projet de ce livre ?
JH – On constate que l’on parle, dans la réalité quotidienne de l’école, des bons et des mauvais élèves, des bons et des mauvais profs. L’intention initiale de cet ouvrage c’est d’analyser les recherches, de la science puis des sciences de l’éducation, sur cette question. Ceux que j’ai rencontré et que je n’attendais pas au point de départ, ceux qui se sont vraiment saisis de ces questions ce sont d’une part les psychologues et d’autre part les sociologues. On a un donc un débat entre ces deux spécialités des sciences de l’éducation.
BD La fin de votre ouvrage montre dans les derniers temps un retour des pédagogues. Est-ce que les débats apparus au cours des deux dernières années n’infirment pas cette observation du retour des pédagogues, ce qui correspond chronologiquement à la fin du mandat de Claude Allègre à l’éducation nationale ?
JH Il y a un tournant qui est en train de se faire. Le passage de Claude Allègre a remis les pédagogues en avant, et son départ à signé le retour des sociologues de « la pensée ». La réforme des lycées qui est plutôt marquée par les pédagogues comme celle du primaire, a été suivie par celle du collège qui est menée par les sociologues. La transition s’est faite sur cette base là et elle n’est sûrement pas définitive. Mais cette évolution est accompagnée par le poids des recherches financées, qui sont dans un cadre que l’on pourrait qualifier de « néo-positiviste », dans le cadre de « la science » et d’un modèle scientifique.
BD Qu’en est-il de la vision de l’homme sous jacente à cette approche que vous avez qualifiée de « néo-positiviste » ?
JH C’est la vision classique de la science de l’éducation. Cela ne change pas. Par exemple, Marcel Crahay, dans son livre « L’école peut-elle être juste et efficace ? » s’oriente vers la psychologie expérimentale. Il montre que l’école peut être juste et efficace en s’appuyant sur des recherches en psychologies et en sociologie des différences pour en déduire la pédagogie à mettre en œuvre.
BD Cette approche est-elle influencée par le modèle Nord Américain ?
JH Oui, c’est clair. Les références de ce chercheur sont en psychologie essentiellement américaines, et en sociologie plutôt françaises. C’est un modèle américain, celui de LA science de l’éducation. Pour ce type de recherches la science en tant que telle est neutre. Or on s’aperçoit que dans le domaine de l’éducation la science est toujours normative. Il y a des choix idéologiques sous jacents auxquels on ne peut rien redire. Ces valeurs sont respectables si on les compare à d’autres. C’est cette articulation entre un système de valeurs et une démarche scientifique qui fait un petit peu problème. Les pédagogues mettent en œuvre des dispositifs parce qu’ils croient à un certain nombre de choses. Chez les hommes de science, c’est souvent plus caché.
BD Quelles place pour les TIC dans ce cadre ? Ne sont-elles instrumentalisées ?
JH La question est de savoir si une technologie est si nouvelle que ça. On s’aperçoit qu’à chaque fois que l’on a parlé de nouvelle technologie, le discours s’est porté sur les espoirs que l’on portait vers elle, mais aussi sur la nouveauté en elle même. Est-ce que les nouvelles technologies ne sont pas aussi anciennes que les nouvelles technologies d’autrefois ? En fait il y a plusieurs niveaux. D’abord ce type de technologie appartient d’abord au monde de la modernité. Ensuite ces technologies alimentent un certain nombre de volontés politiques, pas forcément fausses, guidées par le souci de la modernisation et de l’innovation. On dit que grâce aux technologies on va résoudre les questions, on va mettre en place une pédagogie individualisée, adaptée, de la réussite etc. tout devenant alors pour le mieux dans meilleur des mondes. Les politiques vont alimenter ce type de discours, on ne peut pas leur en vouloir, pour faire évoluer le système. C’est qu’il faut que le système se confronte avec cette réalité de l’information et de la communication, il ne s’agit pas que le système scolaire reste en dehors de ce type de chose. Troisième type de réponse, c’est que les technologies sont d’abord des instruments, mais que ce ne sont pas des instruments neutres. Cela va dépendre au service de quoi on va les mettre. Ce n’est pas inscrit dans leur nature qu’elles vont servir tel type de valeur ou tel autre, tel type d’idéologie. Freinet était un technologue enragé, pourrait-on dire. C’est pas pour rien qu’Internet est très présent dans les classes Freinet. Mais là c’est bien aussi au service de certaines valeurs.
BD N’y a-t-il pas un renouveau du débat sur l’école autour de la place du savoir savant ?
JH S’agit-il d’un renouveau ou d’une crispation ? On peut avoir plutôt l’impression d’une crispation. Le savoir savant de l’école d’avant est souvent illusoire. Sur la réforme des lycées, Philippe Meirieu essayait de tenir les deux pieds du changement, les méthodes et les contenus. Il était autour de l’idée de culture commune. Ses adversaires n’ont voulu voir qu’un seul élément, les méthodes. Comme si le discours des pédagogues sur la culture commune ne peut pas être entendu.
BD On a l’impression, en lisant les ouvrages de recherche que de nombreuses questions sont posées pour elles-mêmes et non pas à partir d’une problématique éducative ?
JH La question sous jacente est celle de la formation. Qui a le droit de former qui, et en particulier les enseignants ? Au nom de quoi peut-on se dire formateur ? Il y a un très gros débat autour des savoirs de la formation, autour de la légitimation des savoirs et des formateurs.
En conclusion de cet entretien, Nous avons évoqué avec Jean Houssaye la place d’initiatives comme le Café pédagogique. Bien que connaissant peu ces pratiques, Jean Houssaye l’inscrit tout à fait dans ce mouvement des praticiens qui tentent de se réapproprier leur place dans la formation.
Bruno Devauchelle