Par Monique Royer
Avec son projet « les réseaux de la sérendipité », Laurence Juin saisit l’occasion du forum des enseignants innovants pour poser un regard sur quatre années d’expériences pédagogiques avec les réseaux sociaux. Enseignante de français et d’histoire-géographie au lycée professionnel Pierre Doriole de La Rochelle, elle a entraîné dans son sillage de nombreux autres profs qui ont trouvé à leur tour avec Twitter un outil pour ouvrir les fenêtres de la classe. Aujourd’hui, la pionnière prend du recul pour utiliser plus intelligemment encore les potentiels pédagogiques du numérique.
Laisser une place au hasard…
La sérendipité, mot étrange et difficile à prononcer : « est un mot ancien d’origine anglaise qui définit le fait de trouver d’atteindre quelque chose d’inattendu par maladresse, chance ou erreur » nous précise Laurence. Avoir le droit de se tromper, de constater qu’un projet ne donne pas les résultats escomptés, renoncer, prendre un autre chemin, ce droit se prend dans un univers scolaire où la recherche de la réussite est dominante. Ce droit, Laurence l’a transformé en approche pédagogique, constatant après quatre années d’usages des réseaux sociaux avec ses élèves que le principal est de laisser ouverte la fenêtre de la classe et de laisser entrer le hasard.
Aujourd’hui, Laurence Juin utilise les réseaux sociaux pour que ses élèves communiquent sur des thèmes ponctuels. Elle lance alors un appel contribution sur Twitter sans savoir précisément quels types de réponses elle va recueillir et où le travail de communication de ses élèves va mener. En décembre par exemple, pour travailler sur le thème du fait divers et de son récit, elle lance un appel sur le réseau social en direction des journalistes. Elle a en tête des correspondants potentiels mais ils réagissent peu ou pas. Elle reçoit une lettre de deux pages de Marie-Laurence Dalle, journaliste de France Bleue La Rochelle qui raconte comment elle a été amenée à couvrir le meurtre d’une jeune fille alors qu’elle ne traitait jamais de fait divers. La lettre est pleine encore de l’émotion à suivre pas à pas l’affaire jusqu’à son dénouement judiciaire marqué par les interventions des ténors du barreau.
Les échanges entre les élèves et la journaliste sont intenses sur Twitter. Marie-Laurence Dalle vient rendre visite à la classe. D’un appel lancé sur le réseau comme une bouteille virtuelle naît une rencontre réelle avec une interlocutrice qui travaille à proximité du lycée. Ce hasard, cette issue imprévue d’un projet basé sur l’interaction, sur un échange dont l’interlocuteur n’est pas connu à l’avance, Laurence l’apprécie particulièrement. « Dans la classe tout est souvent balisé, les élèves nous le reprochent parfois. Les réseaux nous permettent d’avoir des ouvertures vers le monde ». Si le hasard fait bon ménage avec les programmes, c’est aussi parce que Laurence Juin veille à ce que l’objectif prévu soit atteint. Le chemin peut varier, emprunter des méandres, le projet prévu peut s’avérer infructueux, le but à atteindre reste en ligne de mire. « J’aime l’idée qu’une séquence de travail avec les élèves peut-être programmée au fur et à mesure en fonction des réactions ». L’adaptation constate réclame un investissement conséquent de la part de l’enseignante.
La portée de l’usage raisonné des réseaux sociaux dans une classe de lycée professionnel est multiple. Elle dépasse le seul fait d’acquérir des compétences en communication et en éducation au numérique. Elle offre aux élèves un rôle actif de citoyen, parties prenantes d’échanges dans un monde où d’emblée ils se sentiraient exclus. Elle leur permet aussi de donner du sens aux cours théoriques en faisant le lien avec des réalités concrètes portées par les interlocuteurs externes, eux pour qui l’intérêt de leurs études apparait principalement au moment des stages pratiques. Les réseaux sociaux ont été récemment utilisés pour prendre contact avec des professionnels. Il vient de commencer et une fois encore, Laurence regarde la bouteille virtuelle lancée cheminer et aboutir à un résultat qu’elle ne peut présager.
Laurence Juin vient à Nantes pour raconter son expérience de la sérendipité et aussi, et surtout, pour nourrir sa réflexion et ses pratiques des projets visités et des échanges avec d’autres enseignants innovants. Apprendre des autres, regarder ailleurs, vers les projets du primaire qui lui semblent foisonnants, vers des projets où le numérique a peu de place, discuter avec des personnes qu’elle n’a jamais rencontrées, Laurence vient au forum pour ouvrir d’autres fenêtres encore dans sa classe et dans sa pratique professionnelle. Et le hasard là aussi amènera bien des surprises, l’événement sera à lui seul un ode à la sérendipité.
Le blog de Laurence Juin
http://maonziemeannee.wordpress.com/
Rencontre il y a deux ans avec la classe de Laurence Juin
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/05/Rencontresaucoindutweet.aspx