Par Géraldine SALA
Comment monter un projet pédagogique alliant la lecture et les thématiques liées à la santé ? Quels sont les ressources et les partenaires à mobiliser, quels sont les intérêts pour les élèves, et quel rôle le professeur documentaliste peut-t-il jouer ?
Christine Bedin, documentaliste au Lycée professionnel Léon de Lépervanche (académie de La Réunion) a relevé le défi. Elle nous précise comment elle a monté un projet de lecture avec des élèves en formation d’aides-soignants au début de cette année scolaire.
Elle nous explique, dans cet entretien, en quoi inscrire ses élèves au Prix Chronos de littérature leur permet de réfléchir sur des thématiques au cœur de leur futur métier (problématiques liées à la santé et au vieillissement). En dépit de certaines contraintes logistiques et temporelles, le projet qu’elle encadre est enrichissant : il permet de développer le goût de la lecture chez les élèves, d’améliorer leurs prestations orales, de les former à la recherche d’information dans le domaine de la santé, et de développer un regard critique face à des œuvres qui leur sont soumises.
Dans quelles conditions est né le projet d’inscription du lycée au Prix Chronos de littérature ?
J’ai reçu fin octobre 2013 un courrier de la Fondation Nationale de Gérontologie incitant notre établissement à participer au Prix Chronos de littérature, ainsi qu’une plaquette présentant en détail ce prix, que je découvrais. Le Prix Chronos de littérature, créé en 1996 par la Fondation Nationale de Gérontologie, propose aux lecteurs de lire des ouvrages ayant pour thèmes les relations entre les générations, la transmission du savoir, le parcours de vie, la vieillesse et la mort, etc.
Notre lycée professionnel, situé dans la ville du Port, est labellisé lycée des métiers dans le secteur de la santé et du social, et dispense une formation professionnelle aux métiers d’aide à la personne de la Seconde à la Terminale. Il héberge également une des deux écoles d’aides-soignants de l’île. Participer au jury du Prix Chronos de littérature permettait donc à nos élèves de réfléchir sur des thématiques qui seront bientôt le cœur de leur métier, tout en développant le plaisir de la lecture.
Après avoir présenté avec enthousiasme ce prix à la directrice de l’école d’aides-soignants, je n’ai eu aucun mal à la convaincre d’y participer, et nous nous sommes inscrits sans tarder afin de respecter au mieux le calendrier déjà établi (juin 2013-mai 2014). L’inscription au Prix est gratuite et se fait en ligne sur le site www.prix-chronos.org.
Pouvez-vous nous présenter plus particulièrement les élèves et la formation sélectionnés pour participer au prix ?
15 élèves aides-soignants âgés de 19 à 43 ans composent la promotion 2013-2014, qui a commencé fin août 2013 et se terminera en décembre 2014, soit une durée de formation de 16 mois. La moyenne d’âge de ces 15 étudiants (14 femmes et 1 homme) est de 26 ans et ils viennent d’horizons très divers, à savoir lycéens, salariés ou encore demandeurs d’emploi pour 60% d’entre eux. Ils ont intégré l’école à la rentrée scolaire d’août 2013 (qui a lieu à la mi-août à La Réunion) suite à des épreuves orales organisées par la directrice et ses collègues professeurs en juin dernier pour les candidats ayant réussi les épreuves écrites du Concours d’Aides-soignants quelques mois plus tôt.
Afin d’inciter davantage les étudiants à lire les 4 romans sélectionnés dans leur catégorie « Lycéens, 20 ans et plus », nous avons également inscrits les 3 professeurs de la formation et moi-même, la documentaliste.
Quelles ont été les principales étapes du projet d’inscription au Prix Chronos ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Sitôt le courrier reçu de la Fondation Nationale de Gérontologie, nous nous sommes inscrits sur le site et avons pour cela ouvert un compte lecteur que nous pourrons consulter régulièrement. Il nous permettra de voter en ligne le moment venu, fin mars 2014. Le site permet également d’accéder à la sélection des ouvrages par tranches d’âges, aux résultats des votes, aux activités pédagogiques, et aux évènements relatifs au Prix Chronos, ainsi qu’aux notices biographiques et bibliographiques des auteurs et illustrateurs sélectionnés.
L’inscription, gratuite, s’est faite très facilement. Nous avons dû renseigner le nombre de participants et le nom de notre établissement, ainsi que la tranche d’âge concernée parmi les 6 catégories proposées (Maternelle/CP ; CE1/CE2 ; CM1/CM2 ; 6ème/5ème ; 4ème/3ème et Lycéens, 20 ans et plus). Nous nous sommes inscrits dans la 6ème catégorie et recevrons bientôt le « kit Chronos » comprenant le matériel de vote (cartes d’électeur, fiches d’émargement et de dépouillement, affiche, consignes, etc.) et des documents pour nous accompagner dans l’organisation du Prix.
La transmission en ligne des résultats du vote au comité d’organisation du Prix Chronos devant avoir lieu avant début avril, nous disposons d’assez peu de temps pour faire lire les ouvrages aux élèves. D’autre part, étant un établissement outre-mer, les contraintes de calendrier budgétaire nous obligent à cesser toute commande pour la métropole le 31 octobre de chaque année, si bien que je n’ai pu acheter qu’un seul titre des 4 romans à lire, heureusement disponible, car tout juste paru en format poche dans une librairie locale. Je devrai donc rapidement commander les 3 autres titres à la rentrée de fin janvier. J’ai pu néanmoins acquérir ce roman en 3 exemplaires et il « circule » actuellement entre les mains de quelques lecteurs, pour leur plus grand plaisir.
Cette première participation est donc marquée par un calendrier « serré », mais je ne doute pas de l’implication des participants pour ce projet, porté par une équipe dynamique.
Quel est l’intérêt pour les élèves en formation d’aides-soignants de participer à ce prix littéraire ? Quelles compétences spécifiques, liées à leurs études, peuvent-ils acquérir ?
Le fait de participer à ce prix littéraire incite les élèves aides-soignants à lire des ouvrages sur des problématiques auxquelles ils seront bientôt confrontés en tant que futurs diplômés dans leurs relations avec des personnes âgées vivant à domicile, en habitat collectif ou bien hospitalisées. Sensibiliser ces jeunes gens en formation à la connaissance et à l’approche du vieillissement et des personnes âgées peut s’avérer un complément utile et nécessaire. Ils peuvent ainsi réfléchir sur la valeur des étapes du parcours de vie et du « Grandir, c’est vieillir, vieillir, c’est grandir », slogan de ce prix littéraire.
Un des objectifs principaux de ce prix est de développer le goût de la lecture chez les élèves et d’éduquer à la citoyenneté grâce au vote individuel. Le public des élèves aides-soignants est un public hétérogène pour qui la lecture peut présenter des difficultés, ils n’ont pas la culture de l’écrit ou de la littérature. En tant que professeurs, documentalistes, nous devons être prescripteurs de lecture car ils n’iront pas d’eux-mêmes vers le livre, mais répondront favorablement à nos sollicitations. A travers la littérature, ils voient la relation au soin d’une autre manière que sous l’angle soignant-soigné. Sur les 8 modules qu’ils doivent valider à l’issue de leur formation, les aides-soignants ont souvent des difficultés à obtenir le module 5 qui a pour thème « Relation-Communication » et dont la compétence principale consiste à établir une communication adaptée à la personne et à son entourage.
Le fait de participer à ce jury de prix littéraire les incite à ouvrir leurs horizons, leurs connaissances, et à développer leur regard critique face à des situations spécifiques qui leurs sont soumises. Cette approche culturelle et intellectuelle qui les fait sortir du cadre purement cognitif de leur apprentissage leur demandera une réflexion personnelle, qui ne peut que leur servir et les enrichir dans leurs pratiques futures.
Envisagez-vous de reconduire le projet l’année prochaine ? Quels outils, actions ou partenaires voudriez-vous intégrer ?
Oui, nous envisageons de reconduire le projet l’année prochaine et le proposer cette fois à des élèves de niveau Bac Professionnel « Aide, Soins et Services à la Personne » (ASSP), afin de diversifier le public participant à ce prix. Il ne faut pas oublier que la sélection 2015 sera connue en juin 2014 et la promotion actuelle se terminant en décembre 2014, il ne sera pas possible d’y participer avec les mêmes élèves.
Il est aussi tout à fait envisageable de proposer ce projet à la nouvelle antenne de la formation aides-soignants située de l‘autre côté de l’île, dans la ville de Sainte-Anne, à une soixantaine de kilomètres du Port. Un partenariat pourrait voir le jour et des rencontres ou échanges par internet pourraient avoir lieu.
Afin d’amener les élèves aides-soignants à se familiariser avec les ressources documentaires du CDI, j’envisage dans un premier temps la création d’un espace spécialisé sur le portail e-sidoc de l’établissement accessible depuis leur ENT. Ce nouvel onglet intitulé « Formation Aides-soignants » leur permettrait d’accéder instantanément à un espace dédié et d’y trouver toutes les ressources nécessaires à leur formation. Mais ce nouvel espace suppose aussi de créer entièrement des nouvelles rubriques, et d’en repenser l’architecture et le contenu, tout en les alimentant constamment afin de proposer un outil fiable et d’actualité. Après mûre réflexion, je décide de ne pas opter tout de suite pour ce projet, car cela suppose beaucoup de temps à y consacrer, et une parfaite maîtrise d’outils que je découvre depuis peu. Ainsi, la rubrique « S’informer sur » dans l’espace « Elèves » me paraît pour l’instant tout à fait pertinente pour former les élèves à la recherche d’information dans le domaine de la santé.
Avez-vous développé d’autres projets de lecture dans votre établissement, toujours en lien avec la santé ?
Oui, un projet amorcé en fin d’année dernière commence à prendre forme.
La directrice de l’école d’aides-soignants souhaitait faire lire aux élèves des romans sur le thème de la santé afin d’enrichir leurs connaissances de futurs professionnels de santé, et surtout, leur apprendre à analyser leurs lectures afin de les présenter au groupe d’étudiants et de professeurs de l’école, et ainsi améliorer leur prestation orale lors de la soutenance de leur fameux module 5 (Relation-Communication). L’idée d’un comité de lecture est née à cette occasion. Les objectifs documentaires y ont parfaitement trouvé leur place : faire découvrir la littérature contemporaine, être capable d’argumenter et d’apporter son regard critique sur une œuvre, être capable de rechercher dans le catalogue de la base des ouvrages ayant pour thème la maladie, l’anorexie, le suicide, la mort, le handicap, l’autisme, la famille, l’adoption ou la santé au sens large.
Je souhaitais aussi inciter les élèves à développer leur goût pour la lecture, à me proposer des achats de romans afin d’enrichir le fonds documentaire, et à fréquenter régulièrement le CDI pour y trouver un espace de recherche et de lecture agréable.
Leurs 16 mois de cours sont très denses et entrecoupés de stages de plusieurs semaines, mais 2 plages horaires de 2 heures hebdomadaires ont été volontairement dégagées pour faciliter leur accès au CDI ou bien rencontrer des intervenants extérieurs sur un sujet d’étude.
Nous avons donc lu ou relu de nombreux ouvrages sur ce thème. Grâce aux médiathèques environnantes, à une veille rigoureuse, aux revues professionnelles et aux sites d’éditeurs spécialisés dans la formation des professionnels de santé, j’ai acquis une trentaine de romans qui ont complété le fonds documentaire.
Ce comité de lecture fut présenté aux étudiants lors d’une séance de découverte du CDI, à la rentrée scolaire. Ils ont ensuite tous choisi un livre à partir du catalogue, en fonction des mots-clés, ou directement dans les rayons. Je leur ai distribué une fiche de lecture ainsi qu’une méthodologie commentée.
Ils devront présenter oralement leur lecture à la rentrée de janvier devant un jury composé de leur professeur et de moi-même, la documentaliste. Cette prestation ne sera pas évaluée, mais elle constituera un entraînement réel à la prise de parole en public qui les attend en fin d’année pour la validation de leur module 5, et l’obtention de leur diplôme d’aides-soignants.
Propos recueillis par Géraldine SALA
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