A quoi sert la bureaucratie de l’Education nationale ? Professeure d’histoire-géographie dans des collèges de la banlieue parisienne, militante syndicale, Anne-Marie Vaillé fut aussi, en 1997, conseillère technique au cabinet de Ségolène Royale. Dès octobre 2000, elle présidera durant deux ans le Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire (CNIRS). Elle évoque le B.O. et la bureaucratie ministérielle…
L’éducation nationale est-elle une bureaucratie ?
Circulaires, instructions, lettres du ministre, rapports, recommandations, préconisations … Du ministère aux établissements scolaires, l’Éducation nationale est gérée d’en haut par des textes et des circulaires rédigés dans des bureaux cloisonnés et qui sont imposés au terrain par les relais territoriaux des rectorats et des académies et par les diverses inspections. Chaque rouage de cette machinerie justifie son existence par une prolifération de textes plus ou moins abscons ou superfétatoires. Ils inondent les boîtes électroniques des enseignants. À ce propos, on peut se reporter à l’analyse de Suzanne Citron dans Médiapart .
À quoi servent les technocrates et les hiérarques dans l’éducation nationale ?
Ils contrôlent ceux qui travaillent à la production des circulaires du ministériel qui sont comme les outils de la gouvernance dans l’administration … Il s’agit bien de ceux qui, grâce à leur position avantageuse dans une chaîne hiérarchique, tiennent en mains le système scolaire. Ils sont détenteurs des diplômes les plus prestigieux (ENA, ENS et autres Grandes Ecoles parfois britanniques ou nord-américaines).
Précisément comment naît une circulaire ?
Toute les chaînes hiérarchiques du ministère sont organisées sur le même schéma descendant : une direction avec son Directeur, des sous-directions avec leurs responsables, puis des bureaux par sujet dans lesquels on trouve des petites mains qui produisent les circulaires ministérielles. Le sujet concerné peut être n’importe quoi ; mais, il est parfois essentiel par exemple : l’apprentissage de la lecture au CP ?
Qui sont ces petites mains qui esquissent des circulaires dans le giron des technocrates et des hiérarques ?
Des profs à 99, 9%. Ils ont postulé souvent parce qu’il n’y avait pas pour eux d’autre possibilité de changement d’activité dans leur carrière. Ce type d’emplois est une opportunité, mais ils sont rares et dûment contrôlés précisément par les technocrates, les hiérarques et les politiques car leur mission est de mettre en forme les préconisations, les consignes et les orientations gouvernementales du moment pour le ministère de l’éducation … On comprend mieux alors à quoi servent les garants de la ligne que sont les technocrates, les hiérarques … Certains se comportent comme de simples mercenaires carriéristes garantissant l’expression administrative de lignes politiques contraires au gré des alternances et de la noria des ministres qu’ils servent.
Une fois les projets de circulaires ébauchés que se passe-t-il ?
Ils sont visés et avalisés par l’autorité ministérielle compétente et envoyés dans les rectorats pour application. En général, les rectorats ont un dispositif qui traduit la circulaire à sa manière et l’adresse aux Services départementaux académiques qui en font l’exégèse à leur tour. In fine le texte parvient aux responsables de circonscription aux chefs d’établissements. Ouf ! Ça y est enfin ! Encore qu’il ne soit pas rare qu’un proviseur ou un principal édulcore in situ des fragments du texte d’origine à toutes fins utiles pour un usage vernaculaire …
Propos recueillis par Gilbert Longhi