Alors que le Sénat commence l’examen de la loi d’orientation, la Cour des comptes débarque dans le débat avec un rapport publié le 22 mai. Elle critique avec force la gestion des enseignants qu’elle juge inefficace et coûteuse. Elle estime qu’il est possible d’effectuer d’importantes économies en annualisant le service des enseignants et en instaurant la bivalence dans le secondaire. Ces thèmes, portés par la droite dans le passé, pourraient mettre en difficulté Vincent Peillon dont la majorité au Sénat est fragile.
Pour Didier Migaud, président de la Cour des comptes, « l’éducation nationale ne souffre pas d’un manque de moyens ou d’un nombre trop faible d’enseignants, mais d’une utilisation défaillante des moyens existants.. Ce qui est en cause ce n’est pas le nombre d’enseignants mais la façon dont ils sont employés ». La Cour souligne l’écart entre le statut des enseignants, daté de 1950, basé sur les seules heures d’enseignement, et le métier réel qui comprend bien d’autres tâches qui ne sont pas rémunérées. Ce défaut de gestion est aggravé par le fait que l’éducation nationale est incapable de gérer son personnel de façon personnalisée.
Et ce sont les enfants des quartiers populaires puis les professeurs qui payent la casse, estime le rapport. » La répartition des professeurs expérimentés sur le territoire privilégie le sud, la façade atlantique et Paris, sans lien avec les besoins des élèves. La première affectation des enseignants se fait, pour les deux tiers d’entre eux, sur des postes de remplacement ou des postes difficiles pour lesquels, au contraire, une solide expérience pédagogique et un recrutement sur profil seraient bien plus efficaces. La difficulté de l’exercice des fonctions dans ces établissements n’est reconnue ni par un aménagement des conditions de travail et des obligations de service, ni par un complément de rémunération suffisant. La prime accordée aux enseignants de l’éducation prioritaire est trop faible pour compenser la difficulté de ces postes ». Elle souligne aussi l’absence de carrière et la minceur des salaires des enseignants français (niveau 35% plus faible que le salaire des autres fonctionnaires, de 30% inférieur à la moyenne européenne).
Rompre avec les décrets de 1950
La Cour entend enterrer définitivement le statut de 1950 pour dégager d’importants moyens, affirmer le principe hiérarchique gage d’efficacité et créer les éléments d’une carrière.
La Cour recommande de laisser les directeurs et chefs d’établissement choisir leurs enseignants pour assurer de meilleures affectations avec des concours de recrutement régionaux. Elle veut aussi donner aux chefs d’établissements et directeurs la capacité de moduler les obligations de service. Implicitement cela signifie aussi que le statut des directeurs d’école change. Elle veut aussi créer une hiérarchie intermédiaire qui permette d’offrir une carrière aux enseignants. La Cour s’inspire de l’exemple de l’Ontario où existent des postes de coordonnateurs, de « leaders », de conseillers pédagogiques qui encadrent les enseignants ordinaires.
Enfin la Cour fait référence aux décrets Robien de 2007 annulés avant d’être entrés en fonction. Robien voulait supprimer les décharges liées au statut de 1950 récupérant ainsi des milliers d’emplois.
Bivalence et annualisation
La Cour recommande la bivalence dans le secondaire en mettant en avant l’exemple allemand. Pour elle, cela pourrait rapporter immédiatement 2482 postes.
Mais c’est l’annualisation qui est présentée comme la réforme principale. L’annualisation consiste à passer d’obligations hebdomadaires (18 heures de cours par exemple) à un nombre d’heures dues annuellement. Pour la Cour cela permettrait de reconnaitre des tâches qui ne sont pas rémunérées aujourd’hui. Par exemple pour le fonctionnement de l’équipe pédagogique. La Cour relève justement qu’il y a beaucoup d’hypocrisie dans le fait de parler d’équipe sans lui donner les moyens d’exister. Mais l’annualisation sert surtout à récupérer un nombre important d’heures perdues. Les gains les plus importants peuvent être attendus dans le technologique et le professionnel où les élèves partent en stage en entreprise. Tout ce temps serait récupéré pour l’enseignement. Ailleurs on récupérerait assez de moyens pour faire face aux remplacements. Les TZR astreints à l’annualisation pourraient faire semaine double ou triple dans les semaines où beaucoup d’enseignants sont malades et être libres sur les mois où la demande est faible. « L’annualisation du temps de service conduirait à dégager d’importantes économies de postes. Cela faciliterait grandement l’organisation des activités scolaires en particulier les remplacements », affirme le rapport.
Ce sont les gains réalisés qui permettraient de relever les salaires des enseignants car la Cour inscrit explicitement qu’il faut lier toute revalorisation aux gains de gestion.
La réponse de Peillon
Dans sa réponse à la Cour, V Peillon reconnaît bien que « la bonne gestion des personnels enseignants est une condition indispensable à la réalisation d’une politique éducative ambitieuse » et remercie la Cour pour son travail. Mais il s’écarte de la logique de la Cour en soulevant le fait que c’est la hausse importante des pensions qui explique la hausse des moyens.
Sur la redéfinition du métier enseignant, V Peillon assure s’y engager mais « le dialogue social et une véritable concertation avec les personnels éducatifs » sont « une condition essentielle à leur réussite comme le montrent les échecs des précédentes réformes ».
Les syndicats entre joie et rejet
« Le Sgen-CFDT se réjouit que la Cour des Comptes étrille la gestion des personnels enseignants », affirme d’emblée le syndicat qui y retrouve ses analyses. « Parce qu’elle ne comptabilise que les heures de cours, l’Éducation nationale s’est interdit une politique éducative adaptée aux besoins des élèves. Parce qu’elle ne reconnaît que le travail en classe, elle a ignoré des pans entiers du travail des enseignants, et notamment le travail en équipe. Parce qu’elle n’a pas su s’adapter à la massification de l’École, elle a privé ses agents de rémunérations incitatives, de formation adaptée comme de réelles perspectives de carrière », souligne le Sgen. Mais la Cour « a tort d’entretenir la confusion entre l’annualisation du temps de travail – laquelle est déjà excessive à cause du calendrier scolaire – et la différenciation du service en cours d’année, qui peut être une piste intéressante de transformation de l’école ».
Le Se-Unsa voit également dans ce rapport des points positifs. « Beaucoup de ces propositions sont pour le SE-Unsa des pistes intéressantes. Les magistrats pointent, par exemple, la non prise en compte dans les obligations de service de tous les temps « hors classe ». Mettre en place des mesures incitatives pour rendre certains postes plus attractifs ou moduler le temps d’enseignement des enseignants en fonction de leur poste ou des difficultés du public peuvent également ouvrir des perspectives ». Mais le se-unsa se démarque du reste et particulièrement de l’annualisation » que nous refusons avec énergie ».
La Fsu voit dans le rapport un remake des rapports Chatel. » Au lieu de s’intéresser à la question de la formation des enseignants afin de travailler à la réussite de tous les élèves, le rapport préconise une gestion opposant les enseignants entre eux et entérinant l’idée d’objectifs différents selon les élèves et les territoires scolaires », écrit la Fsu. » Que cherche la cour des comptes ? », contre-attaque le syndicat. « Justifier les 80 000 emplois supprimés les 5 dernières années , remettre en cause les 60 000 créations de postes prévues ?? »
Plus que ses propositions, c’est bien le calendrier de la publication de ce rapport qui interroge. En plein débat sur la loi d’orientation il donne raison aux adversaires de la loi au moment où celle-ci est à la peine dans un Sénat où l’écart entre droite et gauche est faible.
François Jarraud
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