Dans son ouvrage, Jean-Claude Carle propose » d’indexer les augmentations salariales des enseignants sur les progressions réalisées par la France lors des prochaines évaluations internationales PIRLS qui évaluent les compétences en lecture des élèves de CM1…. Un pilotage efficace impose de mesurer annuellement les acquis de l’apprentissage des élèves. » Cette dernière idée est développée dans un chapitre où JC Carle demande la création d’instruments de mesure . » Il est donc nécessaire de créer au sein du système éducatif un outil permettant de mesurer l’impact du travail des enseignants sur la progression des élèves », en citant l’IREDU. Bruno Suchaut, ancien directeur de l’IREDU et Directeur de l’URSP à Lausanne, revient donc sur cette question de l’évaluation du mérite des enseignants.
Peut-on évaluer le « mérite » ou l’efficacité d’un enseignant ?
La notion de mérite est plus large que la notion d’efficacité car elle fait appel à un ensemble de qualités professionnelles mobilisées dans un engagement dans le métier et susceptibles d’être reconnues et dignes de reconnaissance de la part de l’institution et des autorités hiérarchiques. Le fonctionnement actuel du système éducatif ne permet pas d’identifier précisément ces qualités chez les enseignants. Au cours de la carrière professionnelle, ce ne sont pas les inspections, à la fois peu fréquentes et peu influentes, qui peuvent réellement repérer et récompenser ces qualités liées au mérite professionnel des maîtres.
Il est revanche possible d’apprécier globalement et ponctuellement l’efficacité pédagogique d’un enseignant, celle-ci pouvant être définie brièvement par la capacité que cet enseignant peut avoir à faire progresser ses élèves dans la maîtrise des objectifs des programmes. Les recherches en éducation ont mis en évidence depuis longtemps les différences d’efficacité entre enseignants et plusieurs constats peuvent être faits sur la base de travaux. En premier lieu, les enseignants les plus efficaces se distinguent surtout par leur capacité à faire progresser les élèves initialement les plus faibles. En second lieu, l’efficacité pédagogique est largement dépendante du contexte d’enseignement, en l’occurrence le groupe d’élèves dont l’enseignant à la responsabilité. Cela a pour conséquence qu’il n’est pas aisé de mettre à jour l’ensemble des facteurs à l’origine de cet « effet-enseignant », celui-ci relève d’une alchimie complexe entre les compétences de l’enseignant, les caractéristiques du public d’élèves et les démarches et méthodes pédagogiques mises en œuvre.
Dans une logique d’évaluation par les résultats, le principe d’une évaluation au mérite peut certes paraître attractif pour les décideurs mais il soulève plusieurs interrogations et ne semble pas atteindre les objectifs escomptés quand on analyse les effets de cette mesure dans le cadre de certaines expériences étrangères, aux Etats-Unis notamment. Même dans le cas d’un bonus substantiel accordé aux enseignants qui affichaient initialement la valeur ajoutée la plus élevée (en tenant donc compte du niveau initial des élèves), les enseignants les plus «méritants» n’ont pas fait davantage progresser les élèves. Il semble alors que l’efficacité pédagogique repose plus sur le savoir-faire pédagogique que sur la seule motivation individuelle.
Peut on le faire a partir des évaluations de la DEPP et avec le futur fichier « OCEAN » que le Ministère vient de lancer la mention de la classe pour la réussite aux examens ?
Si cette mesure de l’efficacité pédagogique peut être envisagée dans le cadre de recherches empiriques, il est en revanche beaucoup plus difficile d’imaginer que l’on puisse la mobiliser de manière pérenne au niveau institutionnel et dans des buts d’évaluation. En effet, celle-ci pose de réels problèmes méthodologiques, au-delà du seul contrôle des caractéristiques sociales et scolaires des élèves : lourdeur du dispositif avec des évaluations en début et fin d’année pour mesurer les progressions, petits effectifs dans certaines classes (rurales) ou certaines sections dans le cas d’organisation en double niveau, etc.. La confection d’outils de mesure de l’efficacité pédagogique au niveau national et adaptés à chaque niveau d’enseignement serait donc peu envisageable et même assez irréaliste en ce qui concerne l’enseignement secondaire où un même enseignant a en charge plusieurs groupes d’élèves. Par ailleurs, les évaluations nationales actuelles ne permettent pas, telles qu’elles sont conçues, de contribuer à l’évaluation de l’efficacité pédagogique.
Au niveau politique, et dans le but d’améliorer la qualité de l’école, les évaluations des compétences des élèves peuvent toutefois, et à certaines conditions (qualité et stabilité de la mesure, prise en compte des caractéristiques socio-démographiques et scolaires des élèves, acceptation par les acteurs…) être un levier pertinent pour faire évoluer la situation. On pourrait ainsi imaginer que ces évaluations nationales puissent réellement servir de repères précis pour les équipes dans les écoles et fournir, par ailleurs, à l’institution des indicateurs pour le pilotage au niveau local, mais pas pour l’évaluation individuelle des enseignants. Pour rendre ces indicateurs de résultats utiles pour les acteurs, il suffirait de les produire tous les trois ans (pour saisir les évolutions temporelles), en phase avec le calendrier des projets d’école. C’est donc davantage au niveau de l’établissement scolaire que la mesure des résultats des élèves doit être considérée, non pas pour mettre les écoles en concurrence, mais pour que les enseignants puissent avoir un retour objectif sur leur propre action et que les équipes puissent s’en saisir pour adapter leur projet pédagogique et mieux définir les modalités d’aide aux élèves sur le moyen terme.
Propos recueillis par François Jarraud