« L’innovation n’est pas là pour emmerder les enseignants ». Le 25 mai, sur France Culture, Didier Lapeyronnie, président du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, n’a pas manié la langue de bois. C’était une invitation à revenir vers lui pour lui demander quelles orientations allait prendre le Conseil. Pour lui, le conseil doit réussir l’exploit de soutenir l’innovation sans que l’institution l’étouffe. Un sacré pari…
George Pau-Langevin vous présente comme quelqu’un qui « n’est pas du sérail » de l’Education nationale. Est-ce un avantage ou inconvénient pour présider le conseil de l’innovation ?
A mon avis c’est les deux. Je pense que G. Pau-Langevin souhaite quelqu’un qui ait un regard extérieur et c’est une bonne idée. Quelqu’un qui connaisse bien les quartiers populaires aux difficultés scolaires fortes. Mais c’est aussi un inconvénient car je découvre la réalité de l’école, du ministère de l’éducation nationale. Je suis dans une phase d’apprentissage.
Pour vous c’est un monde pénétrable ? Impénétrable ?
Dans les enquêtes que j’ai pu faire dans les quartiers, comme sociologue, l’école c’est ce qui est le plus fermé. Encore plus inaccessible que le commissariat. Mais il ne faut pas exagérer cette fermeture. C’est aussi un monde plus dynamique qu’on ne le pense à priori.
A partir de votre expérience de sociologue, comment qualifieriez-vous la relation école – familles ?
Ce que j’ai pu voir c’est une grande ambivalence. Il y a une forte attente envers l’école mais aussi un divorce fort avec les familles populaires. Elles pensent que l’école n’est plus un vecteur d’ascension sociale. Les enfants sont rarement positifs sur les souvenirs qu’ils ont de l’école. Quand ils parlent de l’école ils évoquent des humiliations personnelles et une sorte de demande d’éducation qui n’est jamais satisfaite. L’image est plutôt négative. L’époque où la population vivait l’école comme un vecteur de mobilité et d’intégration est terminée. Maintenant elle est vue comme un obstacle.
Remédier à cette situation c’est un objectif pour le Conseil de l’innovation ?
C’est une vraie question que de savoir ce qu’on attend de l’école, le type d’individu qu’elle doit former. Ce serait une ambition démesurée pour le Conseil que de reconstruire un projet scolaire global pour la société française. Mais nous devons inscrire notre réflexion dans ce cadre.
Alors quelles finalités donnez-vous au Conseil ?
Le conseil de l’innovation s’occupe de la réussite éducative et pas que du pédagogique. Il ne concerne pas que les élèves mais aussi les enseignants. Il veut repérer, valoriser les expériences innovantes et les diffuser pour améliorer la réussite éducative. Cette politique s’appuiera sur les acteurs de l’éducation nationale. Il s’agit de changer l’école par le bas et d’accompagner les acteurs.
L’innovation est devenue une véritable incantation prononcée dans tous les secteurs de la société. Mais pour quoi faire ?
C’est une incantation car tout le monde a le sentiment d’un système à bout de souffle et dont les résultats ne sont pas bons. Les acteurs eux-mêmes ne le vivent pas positivement. L’incantation marque donc une volonté de rénover, de reconstruire le système en s’appuyant sur ses acteurs. La société est plus innovante que ce que pensent les institutions. La difficulté c’est de valoriser ces innovations sans les tuer.
Peut-on depuis l’institution piloter ce renouvellement par le bas ?
C’est nécessaire d’y arriver. Il faut à la fois protéger le terrain et transformer l’institution elle-même. Je comprends le paradoxe. Il faut faire le pari que ce conseil saura éviter que l’institution soit mortifère. C’est sans doute pour cela qu’il est composé de personnes qui, comme moi, ne sont pas issues de l’institution.
Vous allez commencer par quels projets ?
On a eu une première réunion de lancement à partir de laquelle on a identifié des objectifs principaux. Par exemple favoriser l’engagement dans le métier d’enseignant ou d’élève et ouvrir l’école par exemple dans la relation aux familles. On a mis en place des groupes de travail qui se réunissent ce mois ci. On va recevoir des experts, faire des visites. La prochaine réunion du conseil aura lieu en décembre et je rendrai un rapport en fin d’année.
Des acteurs , comme l’Andev, se sont plaints d’être tenus à l’écart du conseil. Qu’en pensez-vous ?
Beaucoup se plaignent. Je comprends que les gens veuillent participer. Mais je n’ai pas le pouvoir de les nommer au conseil. Par contre je peux les associer à certains de nos travaux. Moi même je ne sais pas quel degré d’implication je vais avoir dans ce conseil.
Comme sociologue vous travaillez sur quel sujet en ce moment ?
Je viens d’écrire un livre sur les quartiers difficiles et je travaille sur les relations hommes – femmes dans le monde populaire. C’est un sujet qui rejoint celui de l’innovation à l’école. J’étais à Argenteuil la semaine dernière dans une réunion de mères de famille. Et là j’ai vu comment l’école est fondamentale et comment la question des relations hommes – femmes est devenue fondamentale et rejoint la question scolaire. Quand les collégiens parlaient de l’école cette question remontait toujours. Ils parlaient des garçons qui sèment le désordre, quelque chose qui leur semble évident. Si on lie cela aux tensions qui existent dans les quartiers populaires on voit que ça recoupe la question de l’éducation.
Propos recueillis par François Jarraud