Par Adeline Sontot-Buisson
La couverture de Télérama du mercredi 21 janvier 2009 a pu choquer. Le libellé insolent et assumé du magazine, « Trop de sécurité nuit gravement à la liberté »,
qui parodie les avertissements des paquets de cigarettes, a d’ailleurs été repris comme banderole lors de la manifestation du 29 janvier. La couverture du magazine télé a fait un (mini) scandale. Les chantres de la liberté en ont fait leur porte-drapeau, les lecteurs plus raisonnables ont rappelé que Nicolas Sarkozy s’était fait élire sur un programme essentiellement fondé sur le thème de la sécurité. Il n’est pas question ici d’ouvrir un débat autour de la politique de notre président, loin s’en faut. Contentons-nous de faits et observons le débat qui gronde dans les milieux intellectuels français. Depuis son élection, le président de la République a fait promulguer 21 lois et 21 décrets sur la sécurité. La multiplication des décrets, le renforcement des forces de police, les états généraux de la presse, la nomination du directeur de France2 par le Président de la République… autant de mesures qui inquiètent les fervents défenseurs de nos libertés.
Toujours dans ce thème de la liberté d’expression, le Point a publié en janvier-février 2009 un numéro hors-série particulièrement intéressant intitulé « Ovide, Spinoza, Sade… Les textes maudits et tous les livres interdits » (numéro 21). R. Brague, P.E. Dauzat, E. Pierrat, A. Viala… ont collaboré à cet ouvrage. Le hors série retrace l’histoire de la censure, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Un numéro passionnant et très instructif. Comme l’indique Catherine Galliau dans son éditorial,
« l’histoire est pleine de ces textes interdits dont les auteurs souffrirent la prison, l’exil et même la mort. »
Sade termina à l’asile, Giordano Bruno a brûlé avant de voir sa thèse unanimement applaudie, Madame Bovary s’est retrouvée à l’index aux côtés de l’Ulysse de Joyce.
Il faut bien revenir aux origines romaines de la censure pour en comprendre les rouages et les conséquences, parfois heureuses (paradoxe intéressant s’il en est, qui constitue l’angle d’attaque majeur de ce numéro hors-série). La censura romaine, c’est-à-dire la charge du censeur, conjugue les objectifs militaire, fiscal et moral vis-à-vis du Sénat. La nota censoria, comme l’explique Alexandre Grandazzi (professeur à la Sorbonne, Paris IV), est la liste des sénateurs amoraux qui se retrouvent donc aux bans de la société. La censure antique revêtit une forme moins draconienne qu’à l’époque moderne. Au temps où Gutenberg n’avait pas encore poussé son eurêka, la simple interdiction des copies d’œuvre suffisait à en restreindre l’accès. L’exemple postérieur de Julien l’Apostat illustre le pouvoir et le danger de l’enseignement. La censure passe aussi par l’interdiction d’enseigner : c’est en interdisant l’enseignement que l’empereur romain Flavius Claudius (362 ap. JC) s’assura une génération de sujets païens.
Ce qui fascine dans cette histoire littéraire, c’est ce que la censure a permis de positif. Ce croisement entre un dogmatisme religieux et des phénomènes littéraires. Comme, par exemple, la mise en lumière de la tyrannie régente : « La censure est ainsi à la fois le moyen et le révélateur de la tyrannie » (ibid).
L’art du contournement, les jongleries verbales, l’art de l’allusion… nombre d’auteurs ont aiguisé leur plume et façonné leur style en esquivant les contours de la censure. Le Dépôt légal, qui défend aujourd’hui les droits des écrivains, est une initiative de la censure datée de 1537. Il s’agit à la fois de créer un outil de contrôle idéologique, mais aussi de surveillance des éditions pirates qui privent les artistes des bénéfices de leur travail. Le sujet est d’actualité avec l’explosion du téléchargement.
Les élèves de Troisième et de Seconde seront surement intéressés d’apprendre une brève histoire de l’Index librorum prohibitorum, l’Index des livres interdits, créé par l’Inquisition en 1559, aboli en 1971, qui comprend pêle-mêle : l’Emile de Rousseau, le Tartuffe de Molière, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (une page y est consacrée, intéressante pour les enseignants de lycée), le Mariage de Figaro de Beaumarchais (idem), Les Fleurs du Mal de Baudelaire, la quasi-totalité de l’œuvre de Voltaire, les Nouveaux contes de La Fontaine (dont nous citions une nouvelle édition poche dans le dernier numéro du Café).
Au-delà d’une simple trame historique de la censure, la lecture de ce dossier alerte sur les dangers idéologiques contenus dans ce procédé. Alain Viala résume parfaitement cette dérive : « Ce que révèle la première modernité, ce n’est donc pas l’obscurité de la censure, mais comment l’obscurantisme des dogmatismes religieux a tenté d’étouffer la liberté de pensée. »
Tout est dit. Les titres mis à l’Index ont parfois de quoi étonner. Passe encore l’Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice du marquis de Sade qui ont pu choquer la moralité des hommes d’église. Que dire, en revanche, des Trois mousquetaires de Dumas ? Comme le résume Pierre Assouline, « plus le style d’un écrivain est séduisant, plus l’écrivain a des chances d’être banni. ». Précisons, en outre, à nos élèves de Troisième plongés dans le conflit de la Seconde Guerre Mondiale, que Mein Kampf d’Hitler ne figure pas dans l’Index.
Les Amours d’Ovide
Ce dossier des livres interdits enquête, notamment, sur les raisons qui ont poussé Auguste à exiler Ovide. La publication de l’Art d’aimer et des Amours a été séculairement reconnue. Chantal Labre, professeur de Lettres spécialiste d’Ovide, lève le voile sur des épisodes tumultueux de l’auteur, beaucoup plus terre à terre. Citons d’ailleurs la nouvelle traduction des Amours d’Ovide par la romancière Marie Darrieussecq, publié sous le titre Tristes pontiques aux éditions P.O.L. Pour notre ministre Xavier Darcos, grand spécialiste d’Ovide, Marie Darrieussecq « donne l’impression qu’Ovide souffle à nos oreilles, comme un proche, comme un frère ».
Pour aller plus loin :
Un article de Jean-Baptiste Amadieu publié dans la Lettre du Collège de France (n°20, juin 2007), qui focalise ses recherches dans l’Index sur les auteurs français du XIXe siècle. Dumas, Sue, Lamartine, Hugo, Zola, Flaubert… On y apprend, notamment, que l’auteur qui obtint la palme de l’index pour le plus grand nombre de citations est Ernest Renan, philosophe et historien, et surtout auteur d’une Vie de Jésus anti conventionnelle :
http://www.college-de-france.fr/default/EN/all/ins_let/
Bibliographie
E. Pierrat, Le Livre noir de la censure, Seuil, 2008.
Le Point hors-série n°21, Ovide, Spinoza, Sade… Les textes maudits et les livres interdits.
Une interview de Marie Darrieussecq sur son travail de traduction d’Ovide :
http://www.liberation.fr/livres/0101308698-ovide-j-en-ai-l-image-d-un-brave-homme