« Plus une construction est proche de la mer, plus elle rapporte… », mais c’est sans compter sur la montée du niveau marin qui va augmenter l’érosion. Ce jeu conçu comme au Monopoly vise à faire réfléchir les élèves sur les risques de submersion marine. Gwec’hen Rohoù , enseignant d’histoire-géographie au collège Roland Vaudatin de Gavray (50) est à l’origine de cette production qui permet aux élèves de passer « d’une logique de développement à une logique d’adaptation » et « d’une logique de compétition à une logique de coopération ». Conçu pour être utilisé en classe entière, le jeu permet un travail sur un temps long.
Comment se présente votre jeu pédagogique ?
Ce jeu, « Agir ou subir ? » est un jeu de plateau représentant de façon schématique une commune littorale. Le plateau est en relief et reprend la forme typique du littoral de la Manche. Les élèves, regroupés en cinq équipes, garnissent d’abord le plateau de tuiles correspondant à des constructions. On va avoir une mairie, une église, une école, un port, une criée et tout un ensemble de maisons, résidences secondaires, entreprises, commerces… Plus une construction est proche de la mer, plus elle rapporte.
Comme au Monopoly, chaque équipe dispose de ses propres constructions qui lui rapportent de l’argent à chaque tour. Il s’agit de faire fructifier son argent en développant les constructions sur les espaces libres. Petit à petit, tout l’espace du plateau est construit, selon une échelle de temps longue. Chaque tour de jeu dure cinq ans, les élèves jouent de 2020 à 2070.
Pour quels objectifs ?
Au départ, il s’agit de faire croire aux élèves qu’ils jouent à un jeu de gestion, où le plus riche va gagner. Mais dès le troisième tour de jeu, le niveau marin commence à monter et menace les constructions les plus proches de la mer mais aussi celles situées en contrebas ou construites sur du sable.
Le jeu change alors de nature, les équipes doivent passer d’une logique de développement à une logique d’adaptation et surtout d’une logique de compétition à une logique de coopération, car aucune équipe ne peut faire face seule aux risques de submersions.
Concrètement comment peut-on l’utiliser en classe entière ?
Le jeu est conçu pour être joué en classe entière. Les élèves sont répartis en cinq groupes et disposent de quelques annexes de règle (prix des constructions, ordre des tours de jeu, fiche de suivi des sommes gagnées et dépensées). Le plateau de jeu est au centre de la classe, les élèves peuvent aller l’observer pour définir leur stratégie.
Le maître de jeu (le professeur ou l’animateur) explique d’abord les règles et organise les tours de jeu à la vitesse nécessaire pour que l’enchaînement soit assez rapide. Le jeu se joue en deux heures-deux heures trente, explication des règles comprise.
Comment avez-vous mis au point votre jeu ?
Etant professeur relais au CPIE du Cotentin (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement), j’ai pour mission de construire des outils pédagogiques en fonction des besoins du CPIE et des programmes du secondaire. La question de l’élévation du niveau marin devient de plus en plus prégnante sur de nombreuses communes en Manche, le thème s’est imposé de lui-même avec des conférences organisées par les communautés de communes…
J’ai pour ma part assisté à plusieurs conférences et réunions sur la gestion des risques d’inondations pour avoir des données fiables sur la question. J’ai écris les règles et construit le plateau et le matériel de jeu. J’ai pu ensuite le tester auprès de différents publics : des adultes concernés par la thématique au sein du CPIE, des élèves de différents collèges (Montmartin, Lessay). D’autres interventions vont suivre cette année dans d’autres collèges (Villedieu) mais aussi avec des primaires en partenariat avec le Gemapi de Cherbourg. Le jeu sera alors allégé pour mieux s’adapter à un public de cycle 3.
Quels sont les retours des élèves ? En quoi comprennent-ils davantage l’érosion littorale ?
Les élèves se prennent au jeu et sont actifs sur toute la durée, avec une répartition rapide des rôles entre les « stratèges » qui réfléchissent à leurs futures actions, les « comptables » qui s’occupent des revenus et de la gestion financière et tous les autres qui n’ont pas forcément un rôle défini mais donnent leurs points de vue. Le passage d’un jeu de compétition à un jeu de coopération fait aussi émerger les meneurs qui vont essayer de fédérer toutes les équipes.
La phase de retour du jeu permet de nommer avec précision le phénomène en cours et ses multiples effets. Dans un collège comme celui de Montmartin, en bord de mer, de nombreux élèves sont déjà au courant de l’érosion littorale. L’intérêt du jeu et de son échelle de temps longue (cinquante ans) est de montrer qu’aménager et adapter nos constructions au changement global prend du temps et coûte de l’argent et que cela ne sera possible qu’avec de la coopération et une compréhension des enjeux de la part de tous les citoyens.
Les risques de submersion sont-ils assez abordés en classe ?
L’érosion littorale et les risques de submersion ne sont pas abordés en tant que tel dans les programmes. En 6ème, les littoraux sont étudiés comme des lieux d’habitat spécifique, à côté des habitats ruraux, urbains… Les 5èmes travaillent sur le changement global en géographie, au professeur de choisir ensuite comment il compte aborder ce point. Mers et océans sont abordés en 4ème mais sous l’angle de la mondialisation plus que sous celui du développement durable. En bref, il n’y a pas (pas encore ?) de thème spécifique sur ces risques.
Entretien par Julien Cabioch
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