Qu’est-ce qui fait que tant d’élèves passent à travers nos plus belles intentions pédagogiques, faites de différenciation, de bientraitance et de toutes sortes de dispositifs vertueux et labellisés par l’Institution ? Voici ma question. Cette année, profitant de ma formation comme enseignant spécialisé, j’ai la chance d’une part de porter un regard sur ce qui empêche certains enfants dans des classes aussi bien de maternelles que d’élémentaires, d’autre part d’accueillir en individuel et/ou en petits groupes des enfants signalés en grande difficulté.
Ce double regard me conduit à un questionnement que je peux poser basiquement ainsi : « Pourquoi ça ne marche pas ? ». J’ai donc eu envie de proposer aux enseignant(e)s des classes de CE2, CM1 et CM2 de mon secteur une chose qu’ils n’ont presque jamais le temps (ou l’idée) de faire : permettre aux élèves de parler entre eux de ce qui est quand même au coeur de leur présence/absence à l’école : apprendre.
J’ai mené deux séries d’ateliers de réflexion collective autour des thématiques suivantes :
1) Qu’avez-vous eu du mal à apprendre depuis que vous êtes à l’école ; Qu’avez vous réussi à apprendre ; Qu’aimeriez-vous encore apprendre ?
2) Qu’est-ce qui vous empêche d’apprendre et comment réduire ces empêchements ?
Sur cette dernière question, l’enseignant(e) a remis à chacun une fiche sur laquelle chaque élève choisissait les trois-quatre empêchements qui résonnaient le plus en eux, et à partir de leurs réponses j’ai sélectionné les empêchements dominants : J’ai peur de rater ; C’est le bazar en classe ; J’ai besoin de bouger ; Je me sens nul.
Télécharger « Leurs empêchements à apprendre.doc »
Puis nous nous sommes installés en demi-groupes, en cercle, dans une autre salle que la classe, nous avons utilisé un bâton de parole pour parler, et j’ai laissé leurs mots se déployer autour de ces questions (je me suis contenté de les recueillir et ne surtout pas intervenir sur le fond)
A l’issue de chaque séance, je leur ai demandé leur ressenti. Il est très éloquent.
– Ça fait du bien parce que j’ai tout dit
– Ça nous permet d’expliquer nos difficultés
– Ça me permet de lâcher ce que j’avais à dire
– Le maître n’est pas là pour nous dire qu’il ne faut pas dire ça ou ça, donc ça aide. En plus, c’est calme, il y a de la parole et on est sages
– C’est bien pour se connaître un peu mieux
– Ça me soulage, parce que j’ai cru que j’étais le seul à être comme ça
– Tu peux dire ce que tu as à dire, ça te lâche tout et tu te sens mieux
– On a pu dire ce qu’on pensait depuis longtemps
– Ici, on ne s’est pas moqué
Ça fait plusieurs années que je milite pour qu’un « Temps des penseurs » soit inscrit dans l’emploi des temps des classes, un temps pour penser l’apprentissage, les empêchements à apprendre, pour penser aussi le monde, notre condition humaine, et enfin penser la classe dans laquelle ils passent tant de temps.
Ce temps n’est pas seulement agréable, il est pour moi l’opportunité de débloquer des choses intérieures chez un grand nombre d’entre eux et ouvrir un peu plus leur accès aux apprentissages.
Alors, plutôt que de s’acharner sur des dispositifs didactiques sophistiqués, pensons aussi tout simplement à nous mettre à la place des enfants, qui sont ceux qui passent le plus d’heures à l’école, et qui n’ont souvent aucune possibilité d’interroger ce qui y fonde leur présence et parfois leur absence. Ce qui est quand un comble, vous ne trouvez pas ?
Daniel Gostain
Pour aller plus loin
1) Le « Temps des penseurs«
2) Travailler les « empêchements à apprendre«
Une question
Pourquoi penser sa présence/son absence à l’école n’est-il pas inscrit dans les programmes ?
Retrouvez tous les mercredis La Classe Plaisir !