Par Béatrice Crabère
J’ai tenté de mener une mini-enquête auprès des collègues de russe, pour évaluer leur connaissance des nouveaux outils, l’utilisation qu’ils en font, leur avis sur la question de leur utilisation avec les élèves, leurs retours d’expérience…et, je dois bien le reconnaître, je ne suis ni une scientifique, ni un prof geek.
Mon enquête s’est heurtée à deux obstacles majeurs. Le premier est d’ordre calendaire : la période impartie pour la réponse à mon bref questionnaire coïncidait avec le congrès de l’AFR, qui impliquait pour beaucoup de collègues une préparation active et un déplacement chronophage. Le deuxième est d’ordre communicationnel, et je dirais même qu’il a fortement influencé la teneur des réponses. Je n’ai pu contacter les collègues que par courrier électronique sur une liste de diffusion associative (toujours celle de l’AFR, que je sais très bien fréquentée) à inscription libre, bien-sûr. Les réponses retournées proviennent donc de personnes inscrites sur une liste de diffusion et ouvrant régulièrement leur courrier. Ceux qui sont sur Facebook ne m’y ont pas rencontrée, ceux qui n’ouvrent pas l’ordinateur ne m’ont pas trouvée non plus.
L’informatique a montré là sa limite, et j’aurais dû prendre le train pour Caen, pour bavarder en direct…C’est quand-même très loin de Toulouse…
Mon analyse est donc toute relative…
Parmi les 22 réponses reçues, les trois quarts sont des enseignants du secondaire et un quart du supérieur. 68% cernent bien la notion de réseau social (sur le Net s’entend), par contre ce qui se cache derrière le Web2.0 reste un grand mystère, seuls 22% en ont une certaine représentation. Le Web 2.0 est perçu comme une évolution naturelle du Web vers une meilleure gestion du multimédia, une facilitation de la mise en ligne. Les mots « interaction » ou « interactivité » n’apparaissent pas, seul le mot « échange » est utilisé deux fois. Beaucoup assimilent Web2.0 et réseaux sociaux.
La notion de réseau social renvoie systématiquement à Facebook, ou à « V kontakte » pour nos jeunes collègues russophones, (qui en font la promotion par rapport à Facebook, d’ailleurs). 45% des sondés y sont inscrits personnellement ou dans un groupe de travail (pour les universitaires seulement), 4 trouvant cela positif : « assez fabuleux », pratique pour récupérer des photos, ou participer à des discussions thématiques, facilitant la rapidité de l’échange, l’expression des états d’âme et des réactions à chaud, et 3 n’ouvrant pratiquement jamais leur compte.
Les détracteurs sont nettement plus nombreux, l’argument majoritairement avancé étant la perte de temps, l’éparpillement, pour peu de bénéfice; d’autres se méfient de leur côté intrusif, infantilisant, « attrape-nigauds ». Le problème de la protection des données revient 2 fois.
Pas d’utilisateurs de Twitter parmi nos collègues. Certains en ont découvert l’existence grâce à ce questionnaire. Ceux qui connaissaient soulignent le côté nocif des échanges brefs et du « buzz », contraires à l’esprit de réflexion.
Les universitaires participent plus particulièrement aux forums, réagissent aux articles de presse ou contribuent aux tribunes libres, mais critiquent cependant le tour polémique que cela prend parfois et disent réduire de plus en plus leur participation.
Et en cours ?
Les collègues sondés semblent tous favorables à une utilisation des TICE en classe, et ceux qui s’en servent décrivent une utilisation de type Web1.0, c’est-à-dire statique : dépôt sur des pages personnelles (2) ou sur le site de l’établissement (4) de documents audio visuels (fichiers MP3, podcasts vidéo, images), d’exercices, de liens utiles. Ils travaillent en classe sur des diaporamas, des fichiers téléchargés d’internet : (chansons, fichiers audio, fichiers vidéos (dessins animés, clips, extraits de journaux télévisés…).
Même dans ce type d’utilisation, des professeurs se plaignent de problèmes techniques (incompatibilité des formats et des programmes pour les ouvrir) ou de la mauvaise volonté d’élèves ou d’étudiants (« Résultats plus ou moins probants selon l’intérêt et la volonté des élèves!!! », « Il faut se battre pour que les étudiants se connectent »)…Lorsqu’il y a des contributions d’élèves, elles sont mises en ligne par le professeur ou le webmestre. Ou plus simplement, ils doivent apporter leur propre matériel en classe (ordinateur portable, enceintes, vodéoprojecteur).
Le côté pratique et moderne du MP3, la facilité nouvelle de transfert et la multiplication des supports sont cependant soulignés, mais on est toujours dans la configuration statique du prof vers l’apprenant.
Plusieurs collègues ayant répondu à ce questionnaire publient sur des sites institutionnels, ou associatifs, en liaison avec leur activité professionnelle, mais ces sites sont également de modèle statique.
La question de l’utilisation des réseaux sociaux en classe ou avec les apprenants ne suscite un écho favorable qu’auprès de certains universitaires, et encore avec des réserves : accès réservé à certains étudiants déjà diplômés, souci de ne pas mêler informations de type privé et public, manque de maîtrise de l’outil pour assurer la sécurité de la divulgation des informations.
Pour les collègues du secondaire, c’est un rejet majoritaire (tous moins deux réponses) motivé. Parmi les arguments, on peut citer : le manque d’application pédagogique (« Je n’en vois pas l’intérêt » revient dans la moitié des réponses), le manque de sérieux, l’encouragement en classe d’une pratique déjà démesurée à la maison, l’encouragement à l’utilisation d’une langue de moindre qualité et de messages courts. Pour les mieux disposés, l’argument est d’ordre technique, le réseau de l’établissement n’en permettant pas l’accès. Pour presque tous, c’est encore une activité chronophage.
Trois contributions, dont deux universitaires, citent des aspects positifs : la capture des photos mises en ligne par les élèves et le maintien du lien avec les étudiants pendant les grèves.
Pour la communication avec les élèves, la messagerie traditionnelle est par contre bien utilisée (à plus de 25%).
Les exigences d’un discours plus construit, d’un travail « plus classique » tout en utilisant le côté moderne des outils, dirigent les professeurs vers une préférence pour les blogs et les wikis : « Privilégions les échanges étoffés, les messages rédigés avec un certain soin, et la lecture lente. »
Ainsi 1 professeur du supérieur anime un wiki avec ses étudiants (tout en notant qu’il doit relancer en permanence, tenir à jour et que les relations « in praesentia » sont indispensables pour que le prolongement sur Internet existe !) et 3 professeurs ont fait l’expérience positive de la création d’un blog ponctuel autour d’un évènement particulier. Là encore les projets ont beaucoup intéressé les collègues (concours de mobilité des élèves (voir plus bas), voyage en Russie, atelier radio avec des intervenants extérieurs), mais les problèmes techniques ont été des obstacles : gestion trop lourde nécessitant l’intervention d’une tierce personne (webmestre, collègue expérimenté, autre collègue du projet), frustration liée au non aboutissement de la phase d’évaluation du projet par manque de temps et de maîtrise.
Les professeurs de russe, professeurs de langue avant tout, se sentent attirés par les possibilités d’enregistrement et d’évaluation de l’oral. Trois contributions indiquent des essais d’utilisation de récupération de fichiers son (par « Audio Dropboxes » par exemple, logiciel Pampa de Serge Arbiol), mais avec beaucoup de difficultés techniques, d’une part, de la part des élèves qui ne maîtrisent pas seuls l’outil ou du professeur, et un rejet par certains collégiens, qui y voient du travail supplémentaire.
Et si…
La plupart des contributeurs exprime le souhait « de s’y mettre », et l’enthousiasme est toujours là. La plupart font déjà beaucoup, dans le traditionnel : échanges scolaires et voyages, expositions, motivation et recrutement des élèves, nombreuses heures de cours sur plusieurs établissements, contributions sur des sites de type Web1.0…Oui, le Web 2.0, les blogs, c’est sûrement très bien, et j’aimerais, et je voudrais, mais…
On aimerait :
Dans le domaine du Web 1.0 : donner accès aux élèves à toutes sortes de ressources multimédia en dehors du cours pour une immersion dans la langue, pour un prolongement des activités de classe, pour un entraînement personnel, et leur donner la possibilité d’y réagir ; mettre en place une correspondance électronique avec les élèves russes (plus vivant, plus aisé, plus direct) ; recueillir des enregistrements audio pour les évaluations ; faire écrire un journal sur le site du lycée, pour gérer l’hétérogénéité des élèves …
En route vers l’interactivité : faire cours dans une salle avec un TBI et/ou avec un boitier multimédia branché sur une télé ou un vidéo projecteur à demeure ; faire un site Internet plus élaboré avec forum, récupération des données des élèves sur le serveur de l’établissement et utilisation de la vidéo en ligne.
Mais :
Les obstacles rencontrés dans la pratique quotidienne sont dénoncés avec une grande régularité :
Pour plus de 45%, c’est l’accès aux installations qui pose problème : pas d’accès à la salle informatique, ordinateurs obsolètes, pas d’installation du cyrillique, perte de données sur les réseaux internes, pas d’aide logistique dans les établissements. Pour 3 contributeurs, les problèmes techniques empiètent sur le temps du cours.
Plus de 45% trouvent leurs compétences insuffisantes par manque de formation (notamment dans la gestion des fichiers sons et de l’évaluation, et c’est aussi une conséquence du manque d’aide logistique). Deux contributeurs disent par contre ne pas avoir besoin de formation, trouvant l’usage des logiciels facile à s’approprier seul, 4 disent se débrouiller avec l’aide de proches ou de collègues. 2 collègues de l’académie de Créteil se disent satisfaits de la formation proposée par l’institution.
Un quart des sondés manquent de temps et d’énergie pour la didactisation des documents, travail qui vient s’ajouter aux réunions multiples.
Enfin, sont cités le manque de motivation des élèves (2 réponses), les problèmes de droits des documents.
Conclusion
La maîtrise technique et les utilisations pédagogiques du Web 1.0 sont en cours, et les collègues vivent une certaine frustration de ne pouvoir mieux y avoir accès. Les obstacles permettant leur utilisation généralisée ne sont pas encore levés. L’accès au Web2.0 ne peut pas se faire sans une réalisation satisfaisante de l’étape précédente. Là encore, nous sommes inégaux. Certains collègues tiennent à tout maîtriser en classe («l’utilisation d’internet en classe demande un sérieux cadrage, des exercices très ciblés et bien encadrés, sinon les élèves ont vite fait d’aller surfer sur des sites de leur choix »). La formation aux outils et à une nouvelle pédagogie d’interaction est la seule voie pour démocratiser l’utilisation du Web 2.0, ou en tous cas en tirer le meilleur parti pédagogique.
L’âge des participants n’a pas de réel impact sur leurs pratiques. La moyenne d’âge des sondés est de 49 ans. Les moins de 45 ans sont plus facilement inscrits sur Facebook.
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