Trois mille enseignants, parents, élus se sont rassemblés jeudi 3 octobre devant la direction académique de Seine-Saint-Denis à Bobigny. Ils étaient là pour témoigner leur émotion et exiger des mesures concrètes pour l’amélioration de leurs conditions d’exercice. Une foule compacte sur le petit parvis près des locaux académiques. Une foule en colère qui a scandé « Blanquer démission ». Sur la petite tribune installée pour l’occasion, des responsables de l’intersyndicale, du collectif de directeurs de Pantin mais aussi des parents élus ont pris la parole. Après une minute de silence à la mémoire de Christine Renon, Caroline Marchand co-secrétaire départementale du SNUipp-FSU 93 a lu quelques mots remis par le frère de la défunte…
« Christine Renon n’était pas fragile, elle était énergique. Ils nous l’ont détruite »
« Depuis hier, l’institution laisse entendre que Christine était faible, que son acte était lié à une fragilité personnelle. Non Christine n’était ni fragile ni dépressive. Christine était énergique. Ils nous l’ont détruite. Son geste ne doit pas être vain, il appelle à poursuivre la mobilisation ». Des mots qui font sens pour nombre d’enseignants présents.
Alex, directeur d’une école élémentaire raconte avoir lui aussi failli craquer. « J’étais à deux doigts de me foutre en l’air en janvier dernier. Une collègue de l’école m’accusait de la harceler car elle n’avait pas eu le niveau qu’elle souhaitait lors de la répartition des classes en juin 2018. Après, tout ce que je faisais, comme l’affectation des Atsem ou encore la répartition des moyens, était sujet à controverse. Un jour, j’ai reçu un appel de mon IEN qui m’annonçait qu’elle voulait saisir le CHSCT pour harcèlement. Ca m’a détruit. Littéralement. Pourtant, j’avais la chance d’avoir un inspecteur qui me croyait et qui me soutenait. Mais c’était une violence inouïe pour moi d’être accusé à tort sans pouvoir me défendre, sans que personne ne vienne voir ce qui se passait réellement dans l’école. Et concrètement, malgré le soutien, c’est moi au quotidien qui devait gérer les tensions dans l’école. Alors quand j’ai lu la lettre de Christine, je me suis rendu compte qu’elle mettait les mots sur nos maux ». La phrase qui a le plus ébranlé ce jeune directeur « La perspective de tous ces petits riens qui occupent 200% notre journée ». Une phrase qui fait écho à ce qu’il ressent très souvent après une journée de travail.
« Le ministre ne pouvait pas dire qu’il ne savait pas »
Plusieurs élus, arborant leur écharpe tricolore, sont là. Azzedine Taibi, maire de Stains (93) est venu « pour apporter son soutien et sa solidarité à Christine Renon tout d’abord qui était une directrice engagée comme bon nombre de directeurs de notre département mais aussi à tous les enseignants. Et je suis là aussi pour dire ma colère. Un tel acte est la conséquence d’un système qui laisse à l’abandon l’école publique en général et tout particulièrement ici, en Seine-Saint-Denis ». Sabine Rubin, députée LFI de Seine-Saint-Denis, se rappelle avoir ardemment combattu la loi Blanquer et avoir remis au ministre cent-cinquante témoignages des conditions inadmissibles d’exercice des enseignants, tant d’un point vue humain que matériel. « Il ne pouvait pas dire qu’il ne savait pas ».
Plusieurs DDEN – Délégués Départementaux de l’Éducation Nationale – étaient aussi présents. Souvent méconnus, ce sont des retraités nommés par le Directeur Académique et rattachés à une circonscription. Ils se décrivent comme des partenaires de l’école, complétement indépendants de l’institution et des collectivités. Leur rôle est de soutenir les équipes pédagogiques. Michel Landron, DDEN à Sevran : « ce qui s’est passé à Pantin est révélateur de la situation de la plupart des écoles du département. Il y a un véritable mépris des conditions de l’enseignement scolaire. On fait des tas de conférence sur la pédagogie mais jamais rien lorsqu’il s’agit d’avoir une aide à la direction ou encore des AVS pour les élèves en situation de handicap. Là, on vous dit de vous taire. Mais nous, on ne se taira pas ! ».
Un message de soutien après le silence assourdissant de l’institution
Nombre de manifestants reprochent aussi la gestion de la crise au ministère. Pas de mots de soutien, un tweet laconique du ministre ne citant même pas Christine. Des reproches qui semblent avoir été entendus par l’institution puisque les enseignants de l’académie de Créteil ont reçu jeudi matin un courrier du recteur, Daniel Auverlot. Une lettre qui reprend presque mot pour mot la vidéo du ministre reçue elle aussi jeudi par l’ensemble des personnels de l’Éducation Nationale. « Nous sommes dans le temps de l’émotion et du chagrin. Viendra le temps où nous devrons tirer toutes les conséquences de cet événement tragique ».
Alors que les enseignants du 93, mais aussi d’autres départements sur tout le territoire, se rassemblent, le Ministre propose, lors du comité technique ministériel de l’Éducation Nationale, des pistes de réflexions sur les conditions de travail des directeurs et un CHSCT autour de la prévention des suicides. « Alors oui, Il a entendu le mal être des directeurs, mais il semble sourd à tout le reste. Sourd aux 100 000 collègues qui ont signé la pétition et qui montrent qu’il s’agit bien évidemment de questions autour de la direction d’école mais aussi de questions de conditions de travail qui touchent nombre de personnels autour de la perte de sens du métier, des difficultés à l’exercer et de l’isolement » réagit Francette Popineau, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU.
Le ministère semble vouloir se saisir de l’occasion pour relancer le débat autour de la question du statut des directeurs d’école. Un débat qui s’annonce houleux …
Neyla Habassi