« L’année des maths » c’est l’enterrement des maths : une fête avant la mort ». La formule de Sébastien Planchenault, le nouveau président de l’Apmep, l’association des professeurs de maths, est forte. Elle souligne l’écart entre la célébration des maths au niveau ministériel et ce que vivent les enseignants sur le terrain. Sébastien Planchenault revient sur les réformes des lycées et les difficultés rencontrées par les professeurs au lycée et au collège.
JM Blanquer a commandé un rapport remarqué, le rapport Villani Torossian, sur l’enseignement des maths. Il parle volontiers de l’importance de cet enseignement. Très récemment il a lancé « l’année des mathématiques ». Il donne l’impression d’avoir fait beaucoup pour cette discipline. Partagez vous cet avis ?
Il y a eu beaucoup d’impulsion en faveur des maths. Mais sur le terrain on ne retrouve pas la traduction des propos qui sont tenus. On a plutôt l’impression que « l’année des maths » c’est l’enterrement des maths : une fête avant la mort. Quand je vois les sujets d’examen très difficiles aussi bien au brevet qu’au bac, les réformes du lycée général et professionnel, j’ai plutôt l’impression qu’on veut dégoûter les élèves de faire des maths.
L’Apmep dénonce une élévation du niveau au lycée général. En quoi est ce un problème ?
La difficulté c’est que les élèves n’ont pas du tout le niveau attendu pour répondre aux attentes des programmes. Beaucoup d’élèves prennent la spécialité maths de première pour pouvoir poursuivre des études post bac. Et ils se retrouvent face à des programmes qui sont conçus pour des élèves qui voudraient faire des études de maths. Alors les collègues font du mieux qu’ils peuvent, mais ils travaillent avec des groupes d’élèves pléthoriques. C’est pourquoi nous demandons deux heures de maths dans le tronc commun du lycée général pour que tous les élèves aient une culture mathématique et la création d’une seconde spécialité.
Mais le ministre répond qu’il y a des maths dans l’enseignement scientifique du tronc commun…
Il y a des maths dans cet enseignement. Mais les collègues doivent vraiment les chercher pour les trouver. Cet enseignement est articulé sur les sciences expérimentales et généralement attribué aux enseignants de ces disciplines. Des thèmes spécifiquement mathématiques dans le programme permettraient un enseignement plus explicite des maths.
Comment expliquez vous cette évolution des maths vers l’excellence au lycée général ? C’est la volonté d’en finir avec la généralisation des maths ? Un effet élitiste lié à Villani ?
JM Blanquer dit que les maths sont absentes du tronc commun depuis des années puisqu’une partie des élèves de L faisait déjà le choix de ne pas prendre maths. Mais on est passé de 15% d’élèves ne faisant pas de maths à 33% ! Le ministre aime à dire que les maths sont nécessaires pour appréhender le monde. Il a raison. Mais il laisse davantage de jeunes sur le carreau.
Je crois surtout que les nouveaux programmes ont été conçus sous la pression de l’enseignement supérieur. Le supérieur voulait des élèves avec des connaissances mathématiques plus poussées. Pour nous, il y a maldonne. Ce n’est pas avec ce trop haut niveau d’exigence qu’on va élever le niveau des élèves. Il vaudrait mieux avoir un programme plus léger mais qui approfondirait certains points et qui permettrait de faire travailler la logique et la manipulation. Avec les programmes actuels on n’a pas le temps de le faire.
C’est le manque de professeurs de maths qui explique le sacrifice du tronc commun ?
Ce n’est pas affiché ainsi. Mais on peut avoir ce sentiment. Le ministère va pouvoir embaucher mois de contractuels. J’observe que ceux ci passent rarement les concours au vu des conditions d’exercice du métier d’enseignant. Et que beaucoup de collègues passent le concours et partent au bout de quelques années.
La situation est meilleure dans les autres lycées ?
En seconde général et technologique on constate que certains élèves ont des difficultés de calcul, par exemple pour les fractions. Les automatismes ne sont pas acquis. Mais ce travail sur les nombres n’est pas conciliable avec des programmes très denses. Et on n’a très souvent plus les heures d’accompagnement personnalisé pour aider les élèves. Le résultat c’est que les élèves sont perdus voire dégouttés des maths. Il faudrait là aussi plus de temps.
Dans la voie technologique, les programmes sont bons en STL et STI2D. Au point qu’on pourrait recommander ces filières à des élèves fragiles en maths. Mais il nous parait nécessaire d’imposer que le même professeur fasse le tronc commun et la spécialité. On ne travaille pas de la même façon avec les élèves quand on les voit 1h30 ou 5h30 ! On demande aussi qu’un cadre officiel impose que les élèves des différentes séries ne soient pas regroupés dans une même classe comme c’est souvent le cas. On trouve aussi que le langage Python imposé à tous est trop difficile pour les élèves des filières tertiaires. L’initiation au tableur et sa programmation devrait suffire.
En lycée professionnel il n’y a plus qu’une heure trente de maths par semaine, le reste de l’horaire étant en co-intervention avec une discipline professionnelle. Ca rend très difficile de faire des maths. Par exemple le programme exige que l’on travaille l’automatisation. Mais comment faire quand on ne voit les élèves qu’une heure par semaine ? Le rapport Villani Torossian parle beaucoup de l’automatisation. Mais pour en faire il faut du temps. Même au collège, avec 3h30 par semaine, c’est difficile.
Pour améliorer la situation des maths il faudrait plus de profs ou des programmes moins ambitieux ?
Il faut être ambitieux pour comprendre le monde ! En fait il faudrait les deux. D’abord du temps pour faire travailler les élèves sur les notions. Dans les programmes il y a des choses importantes qu’il ne faut pas enlever. Mais il faudrait un temps consacré au travail sur les procédures. Il faudrait aussi pour les enseignants du temps pour la formation et la concertation.
Il faudrait aussi arrêter les réformes à jets continus. Au collège on a eu la réforme, puis les ajustements et maintenant les repères annuels. On n’a pas le temps d’acquérir le programme que déjà il est modifié. Comment installer les choses pour utiliser de façon astucieuse des programmes qui changent tout le temps ?
Il y a aussi des problèmes avec les évaluations. A l’heure actuelle on ne sait toujours pas quelle calculatrice les élèves pourront utiliser à l’épreuve de spécialité de l’enseignement général. Une calculatrice collège ou programmable ? Comment préparer les élèves à cette épreuve ? Il en va de même pour le grand oral : il faudrait les préparer dès la première. Mais les préparer à une épreuve sur quels critères ? Comment seront nous formés à cet enseignement ? Autant de questions dont on attend les réponses…
Depuis le rapport Villani Torossian on a vu fleurir des labos maths. Quel impact cela a-t-il ?
Ces labos sont une bonne chose. Ils donnent des temps de discussion entre collègues et ils ouvrent sur le supérieur. Tout cela se fait sur le temps libre des collègues. On aimerait que cela soit généralisé sur tout le territoire et pas seulement réservé aux villes universitaires, ce qui restreint le nombre de collègues qui peuvent y avoir accès. Il ne faudrait pas non plus que leur développement se fasse aux dépens des IREM. Car les IREM sont aussi un lieu de travail en commun entre enseignants. Or j’observe qua les dotations des IREM dans les académies fondent.
Propos recueillis par François Jarraud