» « Qu’est-ce qu’enseigner ? », une question familière et récurrente donc, que l’année 2020 aura toutefois mise en relief de façon spécifique ». Sous la direction de Monique Chestakova et Pierre Pilard, la revue Administration & éducation (n°168) tente une réponse à cette vieille question. Abordant les questions de l’identité professionnelle, des valeurs et des pratiques elle propose une lecture du métier intéressante , varie mais qui évite les questions qui fâchent.
Si le métier enseignant fait l’objet de nombreuses études, ce numéro d’Administration & éducation, la revue de l’AFAE, fait le choix d’une réflexion un peu hors contexte sur le métier d’enseignant. Pour autant elle n’est pas sans valeur. La revue aborde les questions de l’identité professionnelle, des valeurs et des pratiques enseignantes.
Une catégorie d’enseignants est privilégiée dans ce numéro, ce sont les professeurs de maternelle. Ils ont droit à deux très beaux articles. Sylvie Plane rappelle que » enseigner à l’école maternelle ne peut pas avoir le même sens qu’aux autres niveaux scolaires » du fait de l’âge des élèves qui fait que « l’enseignement n’est jamais séparé des préoccupations éducatives ». Cette particularité de la maternelle lui semble menacée. » Cette mission de l’école est contrecarrée par une pression de « primarisation » qui se marque par l’évolution des pratiques et des attentes institutionnelles. En effet, des modèles pédagogiques issus de l’école élémentaire ont été importés à l’école maternelle, notamment sous la forme du recours aux fiches comme supports d’activité des élèves, alors que leur complexité sémiotique ajoute un niveau d’abstraction et opacifie la tâche, accroissant ainsi les inégalités, selon Joignaux. Ce tropisme a été accentué par la mise en place en 2017 d’évaluations nationales à l’entrée au CP, qui a fait de la réussite à des tests sur l’apprentissage du code et les mathématiques une cible qui marginalise tous les autres apprentissages en grande section ».
Viviane Bouysse parle aussi d’un « enseignant à part entière et entièrement à part ». Dans les particularités de la maternelle, la place laissée aux parents et la coopération avec l’Atsem. Mais c’est surtout l’âge des enfants qui impose ‘ »des gestes professionnels qui pourraient faire exemple à d’autres niveaux ».L’enseignant de maternelle doit observer finement dans la mesure où les enfants ne sont pas en capacité d’expression comme leurs camarades plus âgés. Il laisse plus de place à l’agir des élèves. Il gère le groupe autrement que dans les autres niveaux. Dans les qualités des enseignants de maternelle, V Bouysse souligne la patience , la créativité mais aussi la gaieté. Et c’est si bien vu !
Revenons au métier sous un angle plus général. François Dubet se livre à une analyse fine d’un métier à recosntruire. Pour lui la massification a emporté les deux grandes conceptions du métier enseignant : l’instituteur dont l’autorité venait d’une institution bien installée et le savant auxquels étaient assimilés les professeurs de lycée. Ces deux modèles sont par terre. » Là où les connaissances et le talent semblaient suffire, se posent des problèmes pédagogiques, de motivation, d’autorité, de conduite de groupe, de concurrences avec d’autres sources de culture et d’information que celles de la seule école. Mais la massification a aussi affecté l’enseignement primaire dans la mesure où il n’est plus sa propre fin puisque les élèves doivent tous réussir pour aller au collège et au lycée. Les « demandes » des parents se sont accentuées et, par ailleurs, les élèves sont aussi considérés comme des enfants singuliers qui doivent « s’épanouir » », écrit-il.
Pour lui pour reconstruire le métier il faut des « écoles professionnelles ». Il appelle les établissements à devenir des « institutions éducatives » autonomes » où les enseignants partagent les mêmes méthodes, où les élèves participent à l’élaboration des règles de vie collectives, où les barrières entre le scolaire et « périscolaire » sont abolies ». Par suite la « capacité à instituer » devrait « se recomposer de manière plus locales ». Il en appelle à des mutations où l’institution pourrait « soutenir ceux qui bougent et dessinent ce qui sera demain leur métier et la nature de l’institution ». Des établissements autonomes, une élite clairvoyante soutenue par l’institution, on a là une vision assez bien installée dans la hiérarchie de l’éducation nationale.
C’est sous un autre angle que l’article d’Eirick Prairat se détache. Il invite à réfléchir à ce que veut dire enseigner à l’heure de la post vérité. » Mais comment « l’art de raconter des conneries » a-t-il bien pu devenir une norme discursive dominante ? » se demande t’il. Avec les réseaux sociaux la fabulation est devenue une forme de communication quasi dominante. » Le doux rêve d’une société de la connaissance s’est trouvé, dès les débuts, contrarié par le cauchemar d’un monde de la bêtise et de la désinformation ». Pour lui, » si l’école a pour tâche de transmettre un patrimoine symbolique et intellectuel, elle vise aussi à former le citoyen, celui qui va prendre part aux débats publics. Ces deux missions ne sont pas disjointes, car ce n’est que sur fond d’une culture commune que les controverses politiques sont possibles et utiles. La post-vérité menace donc l’école en son coeur ». Il invite donc à la réaction. Et cela passe par l’apprentissage de l’art de penser. Reprenant Bronner : » « Je vois dans notre système éducatif, écrit Bronner, la volonté honorable et omniprésente de développer une forme d’autonomie intellectuelle par le doute, mais je vois trop peu ce qui me paraît la pierre d’angle de toute pédagogie : l’enseignement de la méthode » ».
Anne Barrère illustre le métier enseignants sous l’angle d’un métier du relationnel. » A l’heure où les collaborations enseignantes sont un mot d’ordre général, parfois trop flou, on peut penser que c’est aussi en pensant les aléas de la relation de manière plus collective et professionnelle que la charge mentale qu’ils suscitent, parfois très conséquente, pourra se voir allégée. Ainsi, au travers des risques relationnels du métier, ce sont aussi les relations professionnelles entre enseignants qui sont interrogées ainsi que la fonction du travail en équipes ».
Ce tour d’horizon limité montre l’intérêt de ce nuémro. Mais on pense aussi à tout ce qui manque. Nous sommes peut-être à la veille d’une redéfinition du métier enseignant à l’aide de Grenelle et de réforme de la formation. Le gouvernement souhaite un « nouveau métier enseignant » dont les enjeux sont peu présents dans ce numéro. Pour qu’ils y soient peut-être faudrait-il donner aux intéressés ou à leurs représentants la parole dans un numéro sur leur métier. Choisir de ne pas le faire en dit long sur la réalité du métier.
François Jarraud
Qu’est ce qu’enseigner aujourd’hui, Administration & &éducation, n°168, AFAE, 2020