Par Jean-Louis Auduc
Alors que le ministère a publié les décrets sur la masterisation, Jean-Louis Auduc, directeur adjoint d’IUFM, les décrypte. Comment seront recrutés les candidats à l’enseignement ? Que nous disent les décrets concernant l’année de stage ? Ces décrets présentent-ils donc une modernisation, un progrès de la formation ? Alors que les discussions se poursuivent, une certitude, « les dés sont pipés ».
La publication le 29 juillet des décrets concernant les conditions de recrutement des enseignants tranche le débat concernant la place du concours de recrutement.
En indiquant dans le texte des décrets que pourront au minimum se présenter au concours externe « Les candidats justifiant, à la date de clôture des registres d’inscription, qu’ils sont inscrits en dernière année d’études en vue de l’obtention d’un master ou d’un titre ou diplôme reconnu équivalent par le ministre chargé de l’éducation. », les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur choisissent de placer le concours en 2e année de Master.
Ce positionnement du concours en deuxième année de Master risque de déboucher sur des situations inquiétantes.
Le rapport du recteur Marois s’inspirant de la rédaction des projets de décret désormais publiés avait à la mi-juillet proposé que les concours de recrutement des enseignants aient lieu « fin septembre-début octobre ». Il semble bien que cette solution va être retenue.
Cette proposition apparait d’autant plus aberrante dans un cursus de master que le rapport Marois n’hésite pas à écrire « qu’il est possible d’organiser une période intense de préparation du concours au mois de septembre » !!! et propose que le démarrage effectif du M2 « métiers de l’enseignement » et de fait des autres parcours liés n’ait lieu qu’au début novembre après les résultats de l’admissibilité puis qu’il indique l’existence « d’une période charnière, début novembre, qui permet à l’étudiant de M 2 de clarifier ses choix après connaissance des résultats de l’admissibilité.(…) Après connaissance des résultats de l’admissibilité, possibilité est donnée aux étudiants de modifier leur choix »
Préparer un concours de recrutement sélectif en trois semaines après deux à trois mois d’interruption, n’est pas très sérieux.
Reculer le démarrage du Master2 à début novembre, non plus….
Gageons que si cette solution est retenue, les préparations commerciales privées sableront le champagne promptes à organiser des cours d’été payants accessibles à ceux qui en auront les moyens et qui n’utilisent pas leurs congés pour travailler afin de pouvoir se payer leur année de formation.
Le rapport Filatre avait pourtant mis en garde contre les dangers d’un tel positionnement du concours. : « Si cette solution est réalisable techniquement, elle implique un ensemble de conséquences quasi absurdes pour le M2 tout en semblant préserver l’année de M1. »
Le rapport des différents représentants des instances universitaires n’a visiblement pas été écouté alors qu’il avait très clairement pointé les inconséquences d’une telle place du concours en début de M2. :
« • Cette solution retarde significativement le démarrage de la seconde année de master. (…)
• De plus, et compte tenu de la durée de correction des épreuves, elle transforme la première moitié du S3 en une situation d’attente superflue. Les corrections prenant au moins six semaines, cela porte la date de publication des résultats fin octobre ou début novembre dans le meilleur des cas. Il s’ensuit une incertitude forte pour les étudiants inscrits car l’attente des résultats d’admissibilité les place dans une situation peu propice à des apprentissages et des acquisitions de compétences de qualité.
• Elle induit un renforcement du bachotage durant l’été, ce qui pénalise certains étudiants et fragilise l’ouverture sociale des concours.
• Elle rend impossibles des réorientations en cours de semestre ce qui pose problème à tout étudiant inscrit en seconde année de master et « non admissible».
• • Elle rend le lien entre formation et recherche difficile à assumer en M2 .
• Elle retarde l’organisation des stages par rapport au calendrier scolaire. »
Un recrutement à Bac+4
Avec ses décrets, le niveau minimum pour se présenter à un concours de recrutement d’enseignants est donc fixé à Bac+4. Le master ne sera exigible qu’à la rentrée suivant la réussite au concours, ce qui peut sans doute permettre à des candidats reçus au concours de travailler pendant l’été pour obtenir les « crédits » manquants. En tout état de cause le texte prévoit que les reçus aux concours qui n’auraient pas le master auront un an pour l’obtenir puisqu’ils gardent le bénéfice de l’obtention du concours pendant une année scolaire supplémentaire.
Des précisions sur l’année de stage différenciées premier et second degré
Si les décrets sont muets sur la place des IUFM et formateurs de terrain, quelques précisions sont apportées sur la formation pendant l’année de stage qui suivra l’obtention du concours.
La répartition entre exercice du métier et formation n’est malheureusement précisée et risque d’être conforme aux prévisions, c’est-à-dire autour d’une journée de décharge par semaine pour le premier degré et six heures de décharge pour le second degré.
Que nous disent les décrets concernant l’année de stage ?
Pour le premier degré : « Les professeurs stagiaires accomplissent un stage d’un an. Au cours de leur stage, les professeurs stagiaires bénéficient d’une formation dispensée, dans le cadre des orientations définies par l’Etat, sous la forme d’actions organisées à l’université et d’un accompagnement. »
Pour le second degré : « Le stage a une durée d’un an. Au cours de leur stage, les professeurs stagiaires bénéficient d’une formation dispensée, dans le cadre des orientations définies par l’Etat, sous la forme d’actions organisées à l’université, d’un tutorat, ainsi que le cas échéant d’autres types d’actions d’accompagnement. »
On ne peut que s’interroger sur la différence de rédaction entre les degrés qui fait apparaître pour le second degré ( certifiés, PLP) « le tutorat et d’autres types d’actions d’accompagnement ». Cela veut-il dire que le ministère, certain pour le second degré que les stages en établissement pendant le cursus de master seront insignifiants compte tenu des épreuves du concours, prend la précaution de prévoir une aide renforcée pendant l’année de stage ?
On peut aussi remarquer que la formation sera « organisée à l’université » et non pas « par l’université », ce qui est significatif du pilotage effectif de celle-ci par les corps d’inspection.
Un éloignement des formations premier et second degré
Il faut également remarquer qu’au-delà des formulations, les décrets marquent une volonté de rupture entre le premier et le second degré. Les IUFM sont actuellement organisés à l’échelon académique aussi bien pour le premier que le second degré, ce qui peut permettre de faciliter les formations communes entre les enseignants de différents niveaux.
Les décrets prévoient dorénavant :
Pour le premier degré : « A l’issue du stage, les professeurs des écoles stagiaires sont titularisés par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale du département dans le ressort duquel le stage est accompli »
Pour le second degré : « – A l’issue du stage, la titularisation est prononcée par le recteur de l’académie dans le ressort de laquelle le stage est accompli »
Ainsi donc, si l’organisation de l’année de stage et de la titularisation reste académique pour les certifiés et PLP, elle est départementalisée pour les professeurs des écoles. Quand on connait le poids des structures dans l’éducation nationale, on ne peut qu’être inquiet à l’ère du socle commun de connaissances et de compétences sur des possibilités effectives de formation commune CM2/6e.
Ces décrets présentent-ils donc une modernisation, un progrès de la formation ?
On a plutôt l’impression d’un grand retour en arrière avec des sous-produits : Ersatz de master qui , compte tenu de la place des concours, ne pourra pas articuler de manière satisfaisante initiation à la recherche, maîtrise disciplinaire, exercice professionnel et approches pédagogiques ; ersatz des anciens Centre Pédagogiques régionaux (CPR) sous l’égide des corps d’inspection pour le second degré ; ersatz des anciennes écoles normales pilotées par l’Inspecteur d’académie pour le premier degré.
Jean-Louis Auduc
Directeur-adjoint IUFM de Créteil/Paris12
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Et le Dossier formation du Café
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/ReformeFormation.aspx
Le point début juillet :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2009/104_10.aspx