Former les élèves à l’esprit critique n’est pas simplement affaire de mots, il suffit d’observer ce qui se passe autour de nous pour s’en rendre compte. Par exemple, les magistrats ont rejoint les journalistes, les enseignants, les politiques, en tant que médiateurs sociaux désormais mis en question. La médiatisation des auditions publiques de la commission parlementaire et ce qui entoure l’ensemble de cette affaire pose évidemment la question des capacités d’auto-évaluation, d’auto-critique et de distanciation.
Il suffit de lire les réactions de protection, souvent légitimes et parfois maladroites, de ces professions quand elles sont attaquées. On s’aperçoit aisément que ces réactions de défenses peuvent vite être lues comme des refus d’assumer la responsabilité de ses actes. Quand l’institution scolaire déclare qu’il n’y a eu aucun dysfonctionnement institutionnel suite à l’agression d’un enseignant, elle le fait peut-être à juste titre, mais elle donne souvent le sentiment de se poser à une telle distance de l’émotion partagée par la population, qu’elle se décrédibilise.
Pourquoi et comment développer chez des élèves le sens de l’engagement et de la responsabilité dans un tel contexte ?
La seule observation d’études récentes sur l’effet positif des pratiques personnelles de l’ordinateur sur les résultats scolaires (PISA pour l’international et IDEAS RePec aux USA) amène à réfléchir plus avant. Le constat de ces études amène à penser, comme d’autres études sur les pratiques des médias et d’Internet chez les jeunes (CLEMI…Himmelwelt), que l’école ne peut se passer de prendre en compte ces pratiques non seulement pour la performance scolaire, mais aussi pour développer cette culture de l’engagement et de la responsabilité d’usage, cette culture de la « bonne distance » et de « l’auto-critique ». La lutte contre la fracture numérique ne peut se suffire d’équipements, de formation technique, voire même de B2i…(la dimension citoyenne paraît à beaucoup d’enseignants difficile à investir dans l’espace scolaire) à moins que la nouvelle version de celui-ci dont on devrait prendre connaissance à la fin du mois de mars soit claire sur ce sujet…
Le développement rapide des pratiques d’expression individuelles sur les blogs des profs, des élèves et autres personnels et acteurs de l’enseignement est pourtant le signe d’une attente forte, ou au moins celui d’une préoccupation certaine pour exercer son esprit critique. Face à l’impression de silence institutionnel (que ce soit un ministère, une multinationale ou un média) ressentie, les « pronétaires » chers à Joël de Rosnay commencent à montrer leur nez. Cependant, ceux qui s’expriment au nom de leur esprit critique restent une minorité. Accéder à la capacité d’écriture critique, d’analyse des faits, de recherche de compréhension, et d’expression d’une pensée reste encore très difficile d’accès pour la plupart de nos élèves. Il ne suffit pas de regretter l’éducation d’antan, ou la place des médias, même si cela constitue une bonne part du décor. Il faut aussi tenter de reconstruire, au moins dans l’école, même si cela reste insuffisant, une véritable éducation à l’esprit critique. Or cela passe prioritairement par un travail auprès des enseignants. Il suffit d’animer des formations d’enseignants sur la recherche d’informations sur Internet pour constater l’urgence. Il suffit de voir la place prise par « l’émotion » dans de nombreuses instances scolaires pour comprendre que nous sommes tous demandeurs de ce travail.
Il ne s’agit pas, pour répondre à ce besoin, de construire des stages en tous genres, c’est insuffisant. Il semble plus prometteur de permettre à chaque enseignant de pouvoir engager un travail sur son propre rapport à son environnement, son milieu, son activité professionnelle. Il devient important de lui permettre de construire ses repères pour développer une activité critique. Un esprit critique cela se travaille constamment, ce n’est pas un état de fait, c’est une posture intellectuelle et anthropologique à reconstruire en permanence. C’est pourquoi les approches actuelles de cette question peuvent paraître très technicienne, ou théoricienne, alors que lorsque l’on se retrouve confrontés aux faits il faut pouvoir associer ces deux approches à une dimension pragmatique si difficile à développer. Car les outils de l’immédiateté, de l’ici et maintenant, qui nous entourent, sont désormais au coeur de notre vie quotidienne d’enseignant, mais surtout d’être humain, de citoyen, de personne. La mise à distance ne peut paraître dédaigneuse, elle doit être réfléchie, la critique ne peut se limiter à désigner les coupables, mais elle doit s’originer dans chacun de nous.
Il faut donc engager collectivement un grand travail de réflexion. Certains aspect des blogs proposés par le café vont dans ce sens, mais la timidité d’expression est encore trop grande, et les contenus encore trop loin de permettre un tel travail. Il est probable que des déstabilisations à venir (cf les annonces politiques actuelles) vont inéluctablement nous amener à ce cheminement, à moins de nous replier dans notre tour d’ivoire….
Bruno Devauchelle
On trouvera l’analyse des deux études qui établissent l’effet positif des TICE sur les résultats scolaires dan notre rubrique TICE :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2006/actutic_70_accueil.aspx