Baptisé l’appel des pôles, un projet mené dans l’académie de Rennes mobilise une vingtaine d’établissement sur un travail autour des régions polaires. Les classes engagées dans le projet ont notamment conçu un abécédaire sur les problématiques climatiques aux pôles. Les élèves ont participé également à un congrès virtuel pour échanger sur leur production collaborative. Cet appel des pôles aboutit enfin à emmener prochainement deux lycéens en croisière scientifique en Antarctique. « Ces témoins privilégiés de la splendeur et la fragilité des zones polaires » seront à leur retour chargés d’animer des conférences. Yaëlle Melki, enseignante de SVT au lycée Renan de Saint-Brieuc (22) porte cette initiative bretonne en lien avec l’association Le Cercle Polaire et nous la présente.
Quel est cet « appel des pôles » ?
Il s’agit d’une opération éducative inédite lancée par l’académie de Rennes en partenariat avec l’association l’association Le Cercle Polaire, partenaire institutionnel, autour d’un sujet à dimension internationale. Ce projet s’inscrit dans une histoire : en 2009, Le Cercle Polaire lance dans 52 pays la campagne homonyme « L’appel des Pôles » sous le haut patronage de l’UNESCO, visant à collecter les témoignages de politiques, scientifiques, photographes et aventuriers engagés dans la protection des régions polaires, l’Arctique ou l’Antarctique.
L’association Le Cercle Polaire a été crée en 2006 en Bretagne. Elle y avait son siège à Dahouët puis au port du Légué. La Bretagne abrite aussi l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) qui assure la logistique des expéditions scientifiques françaises dans l’Arctique et l’Antarctique, et c’est aussi le point de départ des expéditions maritimes vers les pôles. Ce n’est donc pas un hasard si ce partenariat s’est établi avec notre académie.
Un groupe de travail a été constitué, composé d’IA IPR au carrefour de plusieurs disciplines et deux conseillères DAAC, afin d’harmoniser le choix des problématiques et garantir la dimension interdisciplinaire du projet : s’il a réservé une place importante à la culture scientifique, tous les champs de savoirs étaient convoqués, l’Art et l’imaginaire étant des composantes indispensables de l’approche des zones polaires. Ce groupe de travail a également suivi les équipes et relu l’ensemble des diapositives. Ce travail d’équipe est indispensable à la réussite d’un projet de cette ampleur.
L’appel à candidatures a été lancé en novembre 2019 : il a rapidement enregistré 26 inscriptions. Au final, il impliquait (avant confinement) 788 élèves de 23 classes de la 6ème au BTS répartis sur toute la région académique Bretagne ! C’est réjouissant de constater l’enthousiasme des professeur-e-s prêt-e-s à s’engager sur ces questions vives : la vitesse du réchauffement climatique est telle que les enjeux en zones polaires sont forts. La problématique des pressions et menaces subies par ces environnements est ultra contemporaine et la réflexion à mener autour est cruciale tant les yeux du monde sont actuellement braqués sur ces endroits du globe. Cette mobilisation révèle l’existence d’une conscience de la fragilité des milieux polaires et de l’urgence qu’il y a de mieux les protéger.
Selon leur niveau, les classes ont choisi une problématique attachée à une lettre ; cette répartition a été harmonisée et finalement l’intégralité de l’abécédaire a pu être couverte. Ainsi, cet abécédaire est une production collaborative : c’était l’idée ! A la manière d’un puzzle, chaque classe y a apporté une pièce et le « tout » a du sens. Joli symbole à l’échelle de l’académie, comme écho à la collaboration internationale que nécessitent ces enjeux !
En quoi consiste l’abécédaire réalisé au collège ou au lycée mais aussi en BTS ?
Les enjeux en zones polaires sont d’une rare complexité en ce qu’ils regroupent des sujets impliquant de nombreux champs de savoirs disciplinaires : de la compréhension du système climatique aux questions d’ordre géopolitique en passant par les récits des aventuriers … L’abécédaire de « L’appel des pôles » explore toutes ces dimensions en décomposant leur complexité au travers de 26 problématiques traitées séparément.
Pour chaque lettre, un mot porteur et une problématique associée. A partir de ressources fléchées (en ligne), les élèves étaient invités à explorer une problématique spécifique aux pôles (géologique, biologique, économique, technologique, culturelle…), souvent formulée comme une affirmation contre-intuitive, à confirmer ou infirmer, le plus souvent à nuancer via un argumentaire solidement construit. Il s’agissait de questionner leurs représentations initiales qui peuvent constituer parfois des obstacles épistémologiques à la lecture du monde pour satisfaire le besoin naturel de l’expliquer. Il s’agit évidemment de développer l’esprit critique des élèves dans un monde globalisé et interconnecté pour agir en citoyen responsable. Cela relève d’un enjeu majeur au service de la construction de l’émancipation intellectuelle de nos élèves.
Tous ont été accompagnés à distance par un « parrain » ou une « marraine » expert-e du sujet traité (scientifique, politique, chercheur, artiste, … ), proposé-e par Le Cercle Polaire, afin de s’assurer de la validité du contenu. Ce lien entre établissements et monde de la recherche est précieux, l’académie de Rennes y est fortement attachée.
Sur la forme, par souci d’homogénéité du livret final, la production devait répondre à une charte graphique de base (un texte illustré de 2 visuels libres de droits) dont il était néanmoins possible de s’affranchir pour permettre la créativité et l’expression artistique, l’approche émotionnelle et l’approche strictement scientifique étant complémentaires pour construire, à la croisée des deux, des convictions peut-être.
Enfin, en dépit des conditions difficiles de fin d’année, et malgré quelques abandons compréhensibles, élèves et professeur-e-s ont réussi le tour de force de mener à bien ce projet et produire, dans le cadre de la continuité pédagogique, l’intégralité de l’abécédaire. Il faut croire que la passion l’a emporté sur le découragement ! Le résultat est un abécédaire réussi tant sur le plan esthétique que scientifique et didactique. Tous les membres du Jury ont été très impressionnés par les productions. Tous les partenaires et l’académie ont salué ce travail et chaudement félicité élèves et professeur-e-s ! Bravo !
Quelques mots sur le congrès virtuel qui a clôturé cette mobilisation…
Il devait avoir lieu le 12 Mai 2020 dans l’auditorium Hubert Curien aimablement mis à disposition par Les Champs Libres – Espace des Sciences Rennes et accueillir une partie des 788 élèves. Il n’a pas pu se tenir compte tenu de la situation sanitaire. Aussi, sous l’autorité du DAAC et en binôme avec Laurent Mayet, j’ai proposé une version virtuelle du congrès et assuré sa réalisation conceptuelle et technique, un défi car les supports de grande taille (3 pdf sonorisés intégrant des vidéos) et le respect de la RGPD ont posé des problématiques de choix de la plateforme. Il a finalement rassemblé plus de 68 connexions, dont des classes en établissements (estimation > 340 personnes).
Le congrès a été unanimement salué. Ce temps fort a permit à certains élèves « de prendre conscience de la dimension internationale du sujet » sur lequel ils ont travaillé. Certains partenaires ont tenu à féliciter directement élèves et professeur-e-s au moyen de messages vidéos enthousiastes.
La compagnie Ponant, partenaire de l’association Le cercle Polaire, a souhaité accompagner le projet et offrir à deux des élèves lauréats des catégories « coups de cœur » l’opportunité exceptionnelle de vivre une fabuleuse expérience en zone polaire lors d’une croisière d’une semaine en Antarctique prévue en février 2021, en qualité d’« envoyé spécial pour les pôles ». Bien sûr, ils seront également là-bas des ambassadeurs Bretons ! C’est sur un message chaleureux de M. Wassim Daoud, responsable Développement Durable à la fondation Ponant puis sur la vidéo du drapeau Breton flottant à la proue d’un brise-glace en Antarctique que s’est clôturé musicalement le congrès, avec beaucoup d’émotion partagée je dois dire.
En quoi l’étude des régions polaires en classe facilite la compréhension du réchauffement climatique mondial ?
Elles en facilitent la compréhension pour deux raisons majeures :
En premier lieu, les zones polaires sont les endroits du globe où le réchauffement climatique se fait ressentir le plus intensément : il y est 3 à 4 fois plus intense que partout ailleurs sur la planète ! Elles subissent donc le plus brutalement les effets du réchauffement climatique, se réchauffent beaucoup plus vite. Elles sont en quelque sorte à l’avant-poste du changement climatique, ce sont les « sentinelles du changement climatique planétaire ».
Ensuite, elles constituent des zones clefs dans les grands équilibres naturels planétaires, en particulier concernant la régulation du climat, qui implique une compréhension systémique de la planète : le « tout est lié ». Elles sont en quelque sorte des « zones régulatrices majeures ». Michel Rocard, ancien président d’honneur du Cercle Polaire et Ambassadeur des Pôles (2009-2016), avait pour habitude de les nommer « les thermostats de la planète ».
Comment vos deux lycéens préparent-ils leurs croisières scientifiques ?
L’idée et le nom choisi d’ « Envoyé Spécial » n’est pas neutre mais écologiquement engagé, ce n’est pas un « ambassadeur » ; c’est le nom donné à quelqu’un qui a la chance de se rendre dans un endroit où la plupart des gens n’iront pas. Pour comparaison, le traité sur la Lune de 1969 comprend un article sur la notion d’ « Envoyé Spécial de l’humanité » ; concernant l’espace extra-atmosphérique, cela correspond donc à un contenu juridique, celui de « représentant de l’Humanité » avec, parmi leurs devoirs, celui de témoigner pour TOUS là où TOUS ne peuvent se rendre. Il existe d’ailleurs un statut juridique commun à l’Antarctique, la Lune et la « Haute mer » (tous les espaces internationaux qui recouvrent toutes les surfaces terrestres qui ne sont pas sous la juridiction d’un pays) : ce n’est donc pas un hasard de les comparer puisqu’ils relèvent de dispositifs de gouvernance similaires pour les encadrer.
Le concept d’ « Envoyé Spécial » est donc une notion solidaire d’une vision que défend l’association Le Cercle Polaire, (avec d’autres comme l’IPEV) au niveau international, à savoir celle qui prône un encadrement renforcé de l’activité touristique,en particulier dans le grand Sud : le développement du tourisme de croisière devra être davantage régulé, encadré, il est indispensable de durcir cette réglementation. La démocratisation du tourisme austral est déjà en marche mais l’Antarctique ne peut pas faire partie de la liste du tourisme mondialisé; il est urgent de stopper la massification de ce tourisme, le tourisme ne peut s’y développer comme celui des grandes capitales.
Il nous revient donc de les y sensibiliser : leur permettre de comprendre l’enjeu de leur mission, c’est là notre prochain objectif. Savoir que les règles qui pèsent sur le tourisme en Antarctique sont fortes afin qu’ils prennent mieux encore la mesure de ce que signifie la notion d’ « Envoyé Spécial » et qu’ils se doivent de redoubler d’énergie et de curiosité pour collecter les données, partager leurs découvertes quotidiennes, expériences, émotions à partager. C’est le cœur de leur engagement en qualité « d’envoyés spéciaux » : lire la conjoncture des pôles pour lire la conjoncture mondiale (ce ne sont pas des espaces lointains et déconnectés, il y a urgence à les préserver).
Que vont-ils faire sur place ?
Pour nos deux « envoyés spéciaux », il ne s’agit pas seulement de rapporter les images d’Iceberg, les cris de manchots (fascinants par ailleurs) mais aussi de justifier la nécessité de limiter au mieux le tourisme. Dans le milieu scolaire qui cultive la notion d’égalité, ce ne peut être le cas ici : ce n’est écologiquement pas souhaitable. L’Antarctique est un sanctuaire unique en son genre et doit rester préservé au mieux !
Pour cela, durant la croisière, nos 2 élèves, Elsa Clairay, lycéenne de terminale scientifique au lycée Renan Saint-Brieuc, et Julien Schott, lycéen de première littéraire au lycée Beaumont à Redon, seront donc les témoins privilégiés de la splendeur et la fragilité des zones polaires pour tous les élèves de Bretagne et seront chargés de communiquer quotidiennement leurs observations au moyen de photos et récits via un support numérique.
À leur retour, ils animeront des conférences pour témoigner de vive voix.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Site de l’association Le Cercle Polaire
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