Alors que la situation sanitaire semble de plus en plus fragile, les établissements scolaires sont mis en question : quelle architecture, pour quel fonctionnement pédagogique, dans quelles conditions ?… La réponse fournie par les partisans de « l’école en extérieur », si elle n’est pas une nouveauté, apporte toutefois des éléments de réflexion intéressants. A cela s’ajoute bien sûr la question lancinante de l’enseignement en ligne, par le web qui serait la roue de secours idéale. Comme les moyens numériques facilitent l’assouplissement des règles de lieu et de temps, et même d’action, il est intéressant de les resituer dans ce cadre plus global qui devrait tenter de répondre à la question : quels murs pour quelle école ?
Les limites d’un modèle
Rappelons ici que le système d’enseignement actuel, de la maternelle au supérieur est marqué par la volonté de massification : rendre la scolarisation obligatoire de 3 ans à 18 ans et inciter les jeunes à poursuivre au-delà suppose que les infrastructures s’adaptent. Les amphithéâtres des universités (en particulier) le disputent aux salles de classe surchargées quand en même temps le ministère incite au dédoublement en CP et donc aux classes limitées à 12 élèves. L’équation est pourtant toujours la même : comment accueillir une telle masse de jeunes ? Comme le système scolaire a été exclusivement pensé sur « l’enseignement simultané » et fondé sur le principe d’une offre égale pour tous, à quoi s’ajoute l’obligation d’instruction et en partie de scolarisation, les infrastructures ont été pensées sur un modèle unique d’établissement scolaire : des salles de classes et quelques autres salles annexes pouvant dépanner ou prolonger l’activité de salle de classe. Bien évidemment il n’a jamais été question d’instituer l’enseignement à distance et encore moins en ligne comme enseignement « normal ». La norme c’est le présentiel, le face à face. Se sont donc imposées des règles de construction des établissements scolaires qui ont articulé sécurité et accueil massif (rappelons ici l’obligation de deux portes donnant sur l’extérieur dans les salles accueillant plus de 19 personnes). Mais pour qui a visité de multiples établissements force est de constater que, dans la plupart des cas, on a le plus souvent été économe en surface par élève et qu’il est (presque toujours) impossible de modifier cela.
Le développement des moyens informatiques, puis numériques a permis à un certain nombre de personnes d’interroger ce présentiel et de tenter d’offrir des alternatives. Ainsi en France, le Cnam des pays de la Loire ou encore l’école des mines d’Alès tentaient d’imaginer des alternatives dès le début des années 1990 avec les possibilités du multimédia et de la télématique. A partir de la fin des années 1990, la réflexion s’est largement développée comme en témoigne par exemple cette rencontre organisée par l’INRP (et Viviane Glikman en particulier voir ce compte rendu de la journée du 28 novembre 1997). Dans le même temps des institutions d’enseignement et de formation ont commencé à explorer les possibilités de la formation à distance (Université de la formation continue en Algérie, par exemple). Alors que depuis le milieu des années 1980, la Télé Université du Québec (Teluq) avait fortement avancé sur ces nouvelles formes, le CNED en France a mis du temps à prendre le virage numérique. L’étude de ces démarches révèle d’abord que la question des murs est posée en amont : éloignement géographique d’abord, mobilité individuelle plus grande sont des arguments importants pour favoriser ce développement. Cependant, l’enseignement et la formation à distance restent très marginaux dans le contexte habituel du présentiel dans des locaux considérés comme adaptés.
Dépasser les murs
En avançant l’argument selon lequel il faudrait moins d’élèves dans une classe pour améliorer les apprentissages, on pose aussi la question des locaux. Nombre d’établissements scolaires sont limités en surfaces et ne disposent que de peu de salles disponibles en regard du fonctionnement habituel de l’établissement. Aussi les marges de manœuvre sont faibles dès lors qu’il s’agit soit d’avoir moins d’élèves dans chaque salle soit d’augmenter la taille des salles (ce qui pose souvent des problèmes de structure importants). La présence d’un risque sanitaire a ravivé cette question des surfaces disponibles dès lors que l’on veut que des distances suffisantes soient respectées. Dans les deux cas, on constate que l’architecture scolaire centrée sur les salles de classe et l’architecture universitaire centrée sur les amphis sont deux approches que l’on doit associer à la massification de l’éducation et à la dimension économique qui y est associée. Ce sont deux approches qui doivent être interrogées à l’avenir et associées à la question des formes d’enseignement et d’apprentissage permises par la généralisation des moyens numériques. Si certains ont vu une solution en mettant des roulettes sous les chaises et les tables, ils ont ignoré trop souvent les limites de cette proposition en regard des évolutions de fond de la « transmission » dans nos sociétés. Certes les idées développées dans le projet Archiclasse sont intéressantes, mais elles restent en bordure du problème posé ici.
Devant un constat qui met en évidence la fin à terme d’une école strictement présentielle, pousser les murs c’est d’abord les dépasser. C’est à dire développer un projet (pédagogique ?) qui articule les différents aspects du problème : nécessité de lieux symboles, nécessité d’interactions physiques, nécessité d’une continuité dans l’éducation, nécessité de prendre en compte les nouveaux potentiels de l’apprendre dans un renouvellement des pédagogies (trop souvent exclusivement présentielles). On ne peut que constater que les moyens numériques disponibles ont été la clef première, aussi bien en éducation que dans la société en générale, pour ouvrir vers de nouveaux possibles (télétravail ?). Faut-il revenir en arrière, avant le confinement ? Si presque tout le monde en rêve, parce que c’était toujours mieux avant, ce n’est pas pour autant qu’il faut s’en tenir là (ce qui semble être la position actuelle du politique).
Repenser l’apprendre
Nous sommes en face d’une situation face à laquelle il faut être inventif et avoir des initiatives. Imaginer la transmission différemment de ce qu’elle est actuellement est un impératif fort : maisons de l’apprendre, maisons de la connaissance, learning center etc. les expériences ne manquent pas qui articulent les lieux de l’apprendre institutionnels ou non : dans l’établissement d’enseignement : salles de classe (pas salle de cours) et autre lieux dont documentation, permanence, cafétéria etc.; hors établissement : les lieux ouverts permettant les rencontres : jardins, espaces publics, terrasses; les lieux d’activité professionnelle : bureaux, ateliers etc.; les lieux associatifs, culturels et sociaux : médiathèques, MJC, etc. ; le domicile de chacun. Mais parler des lieux impose de réfléchir les modèles et dispositifs de transmission qui peuvent émerger. Cela impose aussi de repenser ce que signifie apprendre pour chacun. Tant qu’apprendre c’est recevoir et non pas construire, il y a de fortes chances que ce soit très difficile de changer. Penser que chacun apprend ne signifie pas que ce soit facile et évident, dès lors que l’on change du cadre traditionnel. Les travaux sur l’autonomie en apprentissage confirment que ce n’est pas facile (cf le confinement) et que le cadre coercitif de l’école s’est substitué au cours des années à la dynamique de formation par soi même, allant jusqu’à l’éteindre pour certains. Tous ces lieux sont reliés par les moyens numériques qui sont transversaux et complémentaires.
Pour terminer cette analyse, il faut bien sûr évoquer les fractures posées par de telles évolutions. Elles sont d’abord culturelles et ensuite techniques. On a beaucoup parlé du numérique comme une fracture importante. Dans ce livre blanc de l’ANCLI, un état des lieux est posé qui mérite d’être complété si un vrai projet de transformation de la forme scolaire émergeait de toute cette période. Sans illusion sur les prochains mois mais plein d’espoir pour le long terme, pousser les murs, c’est surtout les dépasser, réinventer ce qui pourrait être de nouvelles porosités sociales, cognitives, économiques, écologiques.
Bruno Devauchelle