Les cours végétalisées ont beaucoup fait parler d’elles ces derniers mois. A Paris, ce sont les cours Oasis initiées par les élus de la municipalité en 2017 qui visent à « renforcer la capacité du territoire et à faire face aux grands défis climatiques et sociaux du XXIème siècle ». A Villeurbanne, c’est lors de l’été 2020 que les chantiers ont eu lieu, la ville plaidant pour « des espaces végétalisés et non genrés ». Vingt-cinq écoles sont concernées sur une période de six ans pour Villeurbanne, Pour Paris, ce sont une dizaine de cours d’écoles et de collèges.
« Les cours rénovées proposent des espaces plus naturels, davantage de végétation, une meilleure gestion de l’eau de pluie et des points d’eau, des aménagements plus ludiques et adaptés aux besoins des enfants, des coins calmes et une meilleure répartition de l’espace. Un des objectifs premiers du projet reste l’amélioration du bien-être des enfants. Pensées comme de véritables îlots de fraîcheur au cœur des quartiers, ces cours pourront également accueillir un public plus large en dehors des temps éducatifs, et devenir notamment des « refuges » pour les personnes vulnérables durant les vagues de chaleur » peut-on lire sur le site de la ville de Paris. Des objectifs bien ambitieux à l’heure du dérèglement climatique. Damien Berthilier, ancien élu à l’éducation de Villeurbanne à l’initiative du projet, explique les enjeux d’un tel programme pour les collectivités. Pascal Duchenois, ancien directeur de l’école Neuve Saint-Pierre dans le 4ème arrondissement de la capitale, aujourd’hui à la retraite, témoigne de l’expérience dans son ancienne école.
Du côté de l’école : un projet dont les élèves sont les principaux acteurs
Pascal Duchenois a été pendant onze ans directeur de l’école élémentaire Neuve Saint-Pierre dans le 4ème arrondissement parisien. En 2018, le maire de Paris Centre le contacte pour lui proposer de participer au projet de végétalisation d’une vingtaine de cours parisiennes. « Nous connaissions bien Monsieur Weil, il a donc tout de suite pensé à nous. Notre cours disposait d’une surface permettant de faire quelque chose d’intéressant. Et puis les cours parisiennes sont souvent très petites et c’est donc très difficile d’y apporter des améliorations ». L’équipe a très rapidement adhéré à l’idée et a été mise en relation avec le CAUE – cabinet d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement – de Paris. « Un architecte est venu travailler avec nous de septembre à décembre. Le conseil des élèves avait décidé qu’une seule classe serait l’interlocuteur privilégié de celui-ci et relaierait auprès du reste de l’école les décisions prises ». C’est ainsi qu’une classe de CM a travaillé de façon très concrète avec l’architecte : réalisation de plans puis de maquettes. Ont suivi une réflexion plus globale autour des enjeux de la cour de récréation. « L’architecte leur a fait analyser l’existant puis a discuté avec eux de ce qu’ils voulaient voir se réaliser. Il les a beaucoup guidés afin qu’ils ne se lancent pas dans des projets irréalisables. Il y avait aussi un va et vient régulier avec leurs camarades des autres classes afin de leur faire part de l’évolution du projet mais aussi de recueillir leurs idées ».
Du côté des adultes, les enseignants, l’architecte, le périscolaire mais aussi la professeure d’EPS, directement impacté par le nouvel aménagement de la cour, se sont réunis à de nombreuses reprises afin de discuter de leurs attentes pédagogiques.
En décembre 2018, c’était au tour du CAUE de prendre les choses en mains en réalisant les plans définitifs qui ont été ensuite présentés aux élèves et aux adultes de l’école. Tout l’été 2019, une grande partie du bitume a été arraché et des espaces végétalisés installés. Un travail laborieux qui s’est finalisée lors des petites vacances scolaires.
Pour Pascal, un tel projet a permis de travailler sur plusieurs axes au niveau pédagogique. « Bien entendu, les enjeux environnementaux étaient centraux, les élèves ont été sensibilisés au réchauffement climatique mais leur priorité réelle était de jouer dans de meilleures conditions et d’occuper l’espace de façon plus intelligente. La végétalisation de la cour leur a permis de se rendre compte que la majorité de l’espace était occupée par les garçons. Il s’agissait dès lors de trouver, ensemble, un équilibre entre les jeux de ballons davantage privilégiés par les garçons et les activités plus calmes qui sont généralement l’apanage des filles. Les enfants ont très vite compris qu’ils allaient pouvoir continuer à jouer à leurs jeux préférés tout en trouvant un certain équilibre ». Dans la cour de l’école Neuve Saint-Pierre, on peut donc voir aujourd’hui deux espaces clairement délimités, l’un pour les jeux actifs – tels que le foot, l’autre avec des bancs et des installations qui permettent aux enfants de mener des activités plus calmes. « Les petits parisiens ont besoin d’espaces verts, conclut Pascal. Les cours végétalisées y participent ».
Du côté des collectivités : un projet multi-partenarial
A Villeurbanne, c’est lors d’une visite d’école que l’élu éducation d’alors, Damien Berthilier, a un déclic. « En 2017, j’ai vu une moitié de cours refaite avec un revêtement très noir enserrant le seul arbre présent. Je me suis dès lors beaucoup interrogé : pourquoi « bitumer » les cours de récréation ? Clairement c’est dans un souci de fonctionnalité et de propreté. Or le réchauffement climatique rend de plus en plus insupportables les îlots de chaleur tels que les cours et leurs milliers de mètres carrés bitumés ». C’est ainsi que le jeune élu se décide « il n’était plus possible de continuer ainsi par conformisme. Il fallait oser penser différemment et revenir à l’essentiel : faire place au végétal », un mouvement qui s’est fait simultanément dans d’autres villes comme à Paris, Lille ou encore Grenoble …
Un déclic qui a lancé la végétalisation de toutes les nouvelles réfections de cours de la ville. De multiples partenaires ont participés au projet. « Côté entreprises, Eiffage a proposé un revêtement naturel – issu des terres ocres de Roussillon agglomérées à de la colle issue du bois- qui l’a obligé à dédier une ligne de production spécifique. Côté universitaire, l’École urbaine de Lyon a réuni des chercheurs de l’INSA pour les mesures, et du département géographie urbaine de l’université Lyon 3. Côté pédagogique, l’association Fréquence écoles a conçu des ateliers pédagogiques avec deux enseignantes d’une école, en REP+, sur laquelle un travail autour des mesures de températures a été faite. Et les services municipaux ont dessiné les espaces et travaillé avec les équipes pédagogiques et périscolaires ».
Du côté des écoles, « elles ont été associées pour réfléchir aux nouveaux espaces, avec les équipes enseignantes mais aussi les équipes périscolaires, car la cour est utilisée sur tous les temps de l’enfant. L’usage a été repensé avant de reconfigurer l’espace ». Comme à Paris, le projet a permis de travailler l’occupation de l’espace par les enfants. « Repenser la cour pour le végétal, c’est aussi repenser la place des enfants. Il s’agissait de casser les grands espaces qui favorisent souvent les jeux collectifs genrés, les filles devant souvent raser les murs pour éviter les tirs de ballons. Redonner de l’espace à chacun, c’est surtout permettre à chaque enfant, quel que soit son sexe, de trouver des espaces pour être plus tranquille, à son rythme… C’était selon moi la première pierre de la ville à hauteur d’enfant qui doit évidemment déborder sur tout un quartier ».
Les cours végétalisées sont donc un enjeu d’écologie mais pas que… Repenser cette espace pour une meilleure égalité fille-garçon est aussi un enjeu de poids surtout dans la société d’après le #MeeToo, de mobilisation pour une égalité des salaires ou encore de meilleure répartition des tâches ménagères… L’école est le laboratoire de la société, alors autant faire en sorte que le citoyen de demain soit éclairé d’un point de vue écologique mais aussi d’égalité des sexes.
Lilia Ben Hamouda