Enseignante de lettres et cinéma au lycée polyvalent Estournelles de Constant à La Flèche, Sandrine Weil a réorganisé son travail durant le confinement. En mettent en ligne son cours virtuel et en laissant les élèves le consulter à leur guise elle a augmenté leur appétence.
Qu’avez-vous fait de plus novateur lors du confinement pour garder le lien avec vos élèves ?
J’ai fait en sorte de mieux organiser chaque séance en donnant le plan, les extraits étudiés et en enregistrant un cours virtuel avec OBS (qui permet de se filmer et d’insérer du web, des vidéos, du texte, tout ce qu’on peut lire sur son ordinateur) et de déposer tout cela sur un espace numérique de travail que l’élève pouvait consulter quand il le souhaitait. Car j’ai vite constaté que vouloir fonctionner aux horaires dédiés était souvent impossible et que l’accès à ces « liens » dans tous les sens du terme, les rassurait, les réconfortait, redonnait du sens à une période extrêmement anxiogène et dépourvue de sens.
J’ai pu constater aussi que tous les élèves qui ne « suivaient pas », comme on dit, parce qu’ils n’avaient pas pris assez de notes claires et cohérentes, obtenaient soudainement de bons résultats parce qu’ils avaient tout sous la main. Rien n’était perdu et ils pouvaient y revenir quand ils le souhaitaient. Cette organisation « idéale » s’est mise en place après des essais et des erreurs de ma part. A chaque fois, j’ai demandé conseil aux élèves tant en termes d’outils numériques, de supports numériques que d’avis sur la qualité du message. En effet, je savais que nombre d’entre eux n’avaient accès qu’à un téléphone, j’ai donc cherché des outils lisibles sur tous les supports et qui permettent aux élèves d’être aussi créatifs. Ils se sont sentis plus investis, plus autonomes et ont beaucoup apprécié de discuter sur la manière d’apprendre.
Cela a-t-il entraîné des changements dans votre pratique pour favoriser le bien être des élèves ?
Je me suis rendu compte que je devais encore plus organiser, dire où on va et pourquoi et comment. Et négocier avec eux le « comment ». J’ai réfléchi cet été à leur faire vraiment maîtriser la fameuse prise de notes afin que ce soit un automatisme. On fait souvent une sorte d’atelier de 2h sur la prise de notes, et hop, on estime que c’est maîtrisé et on désespère que personne n’y arrive, ou presque.
Je viens de commencer Phèdre de Racine avec les secondes, la langue est complexe et le sujet aussi. Je veux évidemment travailler là-dessus mais aussi leur lire le texte à voix haute en leur demandant de prendre des notes pour faire un résumé de chaque scène. Contrairement à mes habitudes, je leur ai clairement dit ce qu’on faisait et pourquoi et que je voulais essayer cette technique pour qu’ils apprennent à prendre des notes et à faire un résumé. J’ai ajouté que je comptais sur eux pour l’évaluer.
Ils se sont vraiment pris au jeu et quand nous avons fait la correction à l’oral du résumé de la scène 1, je n’ai rien noté au tableau et je leur ai demandé s’ils avaient bien noté. Un élève a dit qu’il avait mal noté. J’ai dit que je ne pouvais pas lui dire ce qui lui manquait parce que je ne l’avais pas noté. C’est donc un autre élève qui l’a donné. Comme cela allait sonner, je leur ai dit que je comptais sur eux pour me donner la correction à la séance suivante pour que je puisse la noter. J’ai remarqué que cette façon de faire – dire on essaie ensemble, et c’est vraiment à vous de prendre des notes – les a beaucoup impliqués sans mettre de pression inutile. Un élève a même fait la conclusion que j’attendais, tout seul. Il a dit qu’il y avait tout de même beaucoup d’informations à préciser pour une seule scène (en trois phrases). J’ai répondu oui mais c’est la scène 1 de l’acte I, vous savez pourquoi. Un autre a répondu : parce que c’est la scène d’exposition, l’intrigue, les personnages sont présentés. J’ai eu l’impression que tous les élèves étaient motivés, intéressés, impliqués et réfléchissaient aussi bien aux savoirs et aux compétences qu’à la manière de les acquérir individuellement tout en aidant les autres. Je crois que je deviens de plus en plus « cheffe d’orchestre » comme le dit Daniel Pennac dans Chagrin d’école.
Ces idées vous sont venues à partir de ce que vous avez partagé d’heureux avec vos élèves durant la fin de l’année scolaire dernière, c’est cela ?
Oui, nous avons beaucoup discuté pédagogie. Comment faire pour continuer à coopérer, comment faire pour apprendre. Ils étaient aussi très demandeurs de travaux qui leur permettent de poursuivre presque comme s’ils étaient en classe, de garder le lien avec les autres et avec leurs professeurs. Plusieurs œuvres cinématographiques ont été réalisées par des élèves isolés chez eux et le film des terminales tourné en décembre a été fini de monter avec des allers et retours entre eux et moi. De plus un élève a réalisé la musique à partir du dernier montage avec un enregistreur que je lui ai prêté quand nous avons eu le droit de nous déplacer. On peut voir le film ici.
Mais, ce dont je suis encore plus fière, c’est un « cadeau » réalisé pour Olivier Liron, auteur d’Einstein le sexe et moi, que nous avons lu dans le cadre du Prix littéraire de la Région Pays de La Loire. Les élèves souhaitaient vivement lui offrir un « cadeau », une lecture vidéo d’un extrait. Je me suis inspirée d’un collègue de musique qui a réussi à faire une chorale confinée avec ses élèves en leur demandant de s’enregistrer individuellement et de lui envoyer la vidéo.
J’ai choisi un extrait, je l’ai découpé et je l’ai envoyé aux volontaires. Ensuite, je les ai fait répéter en leur donnant rendez-vous individuellement par visioconférence. Je leur ai alors proposé de porter certaines couleurs et de faire certains gestes. L’élève qui joue le présentateur a même réalisé un habillage et une musique. Ce travail nous a beaucoup soudés, y compris avec l’auteur, qui a été extrêmement touché et qui souhaite venir les rencontrer cette année scolaire pour son nouveau roman. Ce film a été montré lors de la remise dématérialisée du prix littéraire qu’Olivier Liron a d’ailleurs remporté. Pour voir le résultat.
Propos recueillis par Line Numa-Bocage,
Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS
CY-Cergy Paris Université