Le système éducatif français remplit-il ses missions ? Faut-il davantage de moyens pour remédier au déclin éducatif français ? Directeur adjoint de l’éducation à l’OCDE, Bernard Hugonnier milite au sein de « Conseils sans frontières », un think tank qui veut aider à la mise en place de politiques publiques. Au regard des résultats de PISA, il interroge l’enseignement des mathématiques et invite, pour améliorer le niveau, à changer les pratiques pédagogiques. La France a besoin de réformes qualitatives plus que quantitatives.
L’enquête PISA de 2012, la cinquième depuis l’an 2000, met en avant pour la France un score moyen en compréhension de l’écrit et en culture scientifique et un recul en mathématiques, tandis que le nombre de jeunes en grandes difficultés augmente ce qui creuse encore les inégalités scolaires. Trois questions primordiales se posent alors : L’école en France remplit-elle toujours correctement ses missions premières ? Les mathématiques sont-elles enseignées de façon adéquate ? Manque-t-il de professeurs qualifiés en mathématiques ?
L’école remplit-elle toujours correctement ses missions premières ?
Parmi les missions de l’école figure celle de favoriser le développement social et émotionnel des élèves. Or, selon PISA, le pourcentage d’élèves, qui sont dans des écoles où l’importance de ce développement est reconnue, est de seulement 48% en France contre 70% pour l’ensemble des pays de l’OCDE. De plus, si ce pourcentage est déjà très bas, il est aussi le plus faible de tous les pays de l’OCDE.
Ce résultat peut être corrélé à une autre question de PISA adressée aux élèves qui révèle que le pourcentage de jeunes français percevant un sentiment d’appartenance à l’école est de seulement 47,4% contre une moyenne de 81,3% pour l’OCDE. C’est à nouveau le taux le plus faible de tous les pays de l’OCDE.
Une autre mission essentielle de l’école est l’égalité des chances au sens où chacun, quel que soit son milieu familial, a des chances de bien réussir en classe. Or, selon PISA, l’influence du milieu familial sur les performances des élèves est la plus élevée de tous les pays de l’OCDE, et cette influence s’est accrue ces dernières années. On est donc en droit de se poser la question de savoir si l’école en France ne manque pas à ses missions premières ?
Les mathématiques sont-elles enseignées de façon adéquate ?
Tandis que les jeunes français déclarent dans l’enquête PISA faire des mathématiques parce qu’ils aiment cela dans un plus grand pourcentage que la moyenne de l’OCDE (42% et 38% respectivement), l’anxiété qu’ils ressentent, lorsqu’ils ont à faire un devoir de mathématiques, est bien supérieure à la moyenne de l’OCDE (la France figure dans les six pays où cette anxiété est la plus forte). Cela peut s’expliquer par la façon dont les mathématiques sont enseignées.
Dans un cours de mathématiques, les élèves peuvent être amenés à résoudre des problèmes de mathématiques théoriques dites lexicales (à travers des questions de cours) ; de mathématiques formelles (résolution de problèmes mathématiques) ; ou de mathématiques appliquées (problèmes de la vie courante).
Les enquêtes PISA classent les pays suivant l’exposition des élèves à ces trois pratiques. Parmi les 65 pays de l’enquête PISA, la France arrive en 27ème position pour les mathématiques formelles ; en 18ème position pour les mathématiques appliquées et en 6ème position pour les mathématiques lexicales. Cela signifie que, étant plus exposés que la plupart des autres élèves à des questions de cours, les jeunes français sont plus particulièrement préparés à répondre à ces questions et nettement moins à des questions d’application (mathématiques formelles et appliquées).
Or, selon l’OCDE, « on constate une performance supérieure dans PISA chez les élèves exposés aux mathématiques formelles ainsi que, dans une moindre mesure, aux mathématiques appliquées ».
Les conséquences de cette situation sont doubles :
• Si les items de PISA ne portaient que sur les mathématiques théoriques, la France serait vraisemblablement parmi les premiers de la classe et non 25ème ;
• Pour améliorer le score de la France dans PISA en mathématiques, il faut développer des programmes plus pragmatiques mettant davantage l’accent sur les mathématiques formelles et appliquées. Il faut donc former les enseignants à pratiquer une pédagogie recourant davantage aux applications afin que les élèves comprennent mieux les théories et sachent mieux les utiliser. Une telle action aura pour effet, non seulement d’améliorer les performances des élèves en mathématiques, mais aussi de réduire l’échec scolaire : de fait, un enseignement plus tourné vers les applications réussira mieux à tous les élèves, tandis que le système actuel ne fonctionne principalement que pour les bons élèves.
Manque-t-il de professeurs qualifiés en mathématiques ?
Le niveau très moyen des performances des élèves français dans les enquêtes PISA en mathématiques pose la question du niveau de qualification des enseignants. Interrogés sur la mesure dans laquelle il manque de professeurs qualifiés en mathématiques, les chefs d’établissements dans les pays de l’OCDE indiquent que tel est le cas pour 17% des élèves scolarisés.
En France, ce pourcentage est de 8%, une situation bien meilleure que dans nombre de pays de l’OCDE. Ceci s’explique en partie par le fait que, souvent pour les chefs d’établissement, un professeur titularisé (ce qui est le cas de 95% des enseignants) est un professeur qualifié. En d’autres mots, pour les chefs d’établissement, si un professeur est titulaire, il sait nécessairement bien enseigner les mathématiques.
Or, on vient de le voir, ce sont les pratiques d’enseignement et leur fondement sur les programmes actuels qui posent problème en France. S’il s’agit de mieux exposer les élèves aux applications mathématiques, alors à cette aune la qualification des enseignants en France est à revoir par une formation initiale et continue bien davantage tournée vers des mathématiques plus pragmatiques car mettant l’accent sur les applications.
Ces trois questions primordiales appellent donc d’importantes réformes, qualitatives plutôt que quantitatives, touchant à la fois à la formation des enseignants, aux programmes et à la pédagogie afin que la France dispose d’une éducation digne et de son rang dans le monde, et de l’école républicaine dont elle se réclame tant.
Bernard Hugonnier