Maintenir la circulaire Chatel alors que Conseil d’Etat a démontré qu’elle n’a pas de base légale est-il une bonne solution ? Il aura fallu peu de temps pour que la décision ministérielle soit suivie d’un dérapage local et que celui ci remette en question la décision de V. Peillon.
Selon l’AFP, une mère de famille musulmane de l’école Jules Ferry à Nice a saisi le Conseil d’Etat suite à la décision de la directrice de l’école de son fils de lui interdire de participer à une sortie au motif qu’elle porte un voile. Très impliquée dans l’école, selon l’AFP, la mère de famille a saisi le tribunal administratif qui a renvoyé l’affaire sans même l’entendre. Elle a donc décidé de poursuivre sa plainte en justice. Et elle met ainsi le système éducatif au pied du mur.
En décembre dernier, le Conseil d’Etat avait rappelé que » les usagers du service public et les tiers à ce service ne sont pas soumis en tant que tels à l’exigence de neutralité religieuse ». Mais le ministre a décidé, au nom de la défense de la laïcité, de maintenir la circulaire Chatel de 2012 interdisant aux parents accompagnateurs le port de signes religieux.
Ce débat laïc ne pèserait pas si lourd si le contexte de l’Ecole française n’était devenu discriminatoire. Pisa ne fait pas que dire que l’Ecole française est particulièrement injuste socialement. Il montre aussi qu’en France les résultats scolaires sont liés à l’origine ethnique. A condition sociale égale, on observe un fort écart (environ une année d’école) entre un jeune autochtone et un allochtone. Et on sait fort bien, par exemple depuis les travaux de G Felouzis, que la ségrégation ethnique est à l’oeuvre dans le système éducatif. Cet « apartheid scolaire », pour reprendre la formule de G Felouzis, est devenu banal. Dans ce contexte, toute mesure qui cible une catégorie déjà discriminée accentue le sentiment de discrimination. Or c’est bien le cas des personnes de tradition musulmane.
La démarche de cette mère oblige aussi l’Ecole à peser le poids réel de la loi d’orientation. La loi d’orientation a rompu avec l’ancienne conception de l’Ecole en adoptant l’idée d’une école inclusive. C’est à dire non pas une Ecole où l’élève doit se fondre dans le moule pour être inclus mais une Ecole qui accepte la différence. C’est aussi au nom de l’école inclusive que l’Ecole fait de la lutte contre l’échec et le décrochage scolaires des priorités absolues. Pour l’Ecole française, selon la loi, la scolarité des jeunes issus de l’immigration doit devenir l’objectif principal. Mais que pèse réellement la loi d’orientation ? Il y a t-il une volonté réelle de l’appliquer ? C’est aussi cette question qui va obtenir une réponse dans les semaines à venir.
La plainte déposée par cette mère de famille pose donc des questions de fond à l’Ecole. Elle met aussi le ministre face à ce qui ressemble bien à une contradiction fondamentale.
François Jarraud