Comment se construire, fonder une famille, après un abandon à la naissance ? Orphelins, adoptés ou déracinés, beaucoup, arrivés à l’âge adulte, butent sur le mystère de leurs origines et sont confrontés à des questions existentielles. En quoi la connaissance de l’identité de ses géniteurs aide-t-elle à se constituer comme sujet, à élever un enfant à son tour ? Après « Une vie toute neuve »- tourné en Corée du Sud, comme un retour à sa terre natale, quittée à l’âge de 9 ans, Ounie Lecomte nous offre « Je vous souhaite d’être follement aimée », son deuxième film, réalisé en France, le pays de sa famille d’adoption, devenu le sien. Nous accompagnons ainsi la quête exigeante d’Elisa, née sous X, à travers une fiction délicate, dénuée de sentimentalisme, nourrie par l’expérience personnelle de la réalisatrice.
Dunkerque, terre inconnue
Décor portuaire, lumière claire et froide. Elise, kinésithérapeute, vient vivre, avec son fils Noé, dans cette ville inconnue, où elle est née à la suite d’un ‘accouchement sous X’. Corps tendu, regard intense, la jeune femme paraît portée par une détermination à la mesure de l’enjeu : les démarches pour retrouver sa mère biologique effectuées quelques mois auparavant se sont heurtées à une fin de non-recevoir, cette dernière refusant que son identité soit révélée à sa fille. Une issue à laquelle Elisa ne peut se résoudre au point de décider d’un retour dans la ville natale sur les traces de cette mère qui se refuse, à la recherche d’une histoire à transmettre à son fils (sans que le père, resté dans la ville et l’appartement du couple, ne soit associée à cette quête).
La relation entre la mère et l’enfant se révèle difficile : le petit (regard et cheveux sombres, peau basanée) se demande inconsciemment d’où il vient et trouve mal sa place à l’école auprès de ses camarades. La jeune femme paraît habitée par un questionnement qui la rend peu disponible sur le plan affectif en dépit de ses élans maladroits. De façon délibérée, la cinéaste (et sa coscénariste, Agnès de Sacy) choisit alors de faire connaître aux spectateurs l’identité et la profession de la mère d’Elisa avant que cette dernière ne les découvre : Annette est employée préposée à la cantine et au nettoyage dans l’école fréquentée par Noé, petit garçon qui suscite en elle une attention particulière.
Reconnaissance des corps, fragments de vérité
Ce parti-pris risqué déplace les enjeux. Plutôt que de déceler à quel moment Elisa va découvrir le visage maternel, nous nous demandons par quelles voies la rencontre va avoir lieu. Dans son cabinet de kinésithérapeute, Elisa soigne le mal au dos d’une femme d’une cinquantaine d’années, fatiguée par les travaux physiques. De massages énergiques en mouvements délicats, une relation silencieuse se dessine entre la spécialiste et sa patiente, dont nous n’ignorons pas l’identité.
Au fil des séances, nous assistons à la naissance d’une étrange intimité, liée au toucher des mains de l’une sur la peau de l’autre. Le moment arrive, douloureux et nécessaire, où la (re)connaissance des corps ne suffit pas. La mise en mots et la grande explication ont lieu dans un café-restaurant devant la famille et les proches d’Annette, en une sorte de ‘déballage’, où s’entrechoquent et s’opposent vécus et points de vue. Nous apprenons, -et Elise en même temps que nous-, les circonstances de la naissance, le profil du géniteur (un immigré d’origine maghrébine, travailleur occasionnel des chantiers navals), l’opprobre subie, la fierté revendiquée après coup, la part de hasard et de nécessité entrant dans la terrible décision d’abandonner son enfant…
Peu à peu, nous saute aux yeux, le propos sous-jacent de ce drame subtil qui dépasse la question des origines : pour pouvoir s’accomplir soi-même, enfanter et transmettre, la famille biologique ou d’adoption doit s’appuyer sur un choix affectif, toujours recommencé, une reconnaissance et un partage mutuels. En mettant au jour la ‘part manquante’ de l’histoire individuelle d’une fille abandonnée à la naissance et de la mère qui a décidé de cet abandon, la fiction redistribue les cartes affectives et ouvrent des perspectives inédites.
La promesse de l’aube
Servi par une lumière franche, cadrée par la grande directrice de la photographie Caroline Champetier, traversé par le souffle de la partition inspirée d’Ibrahim Maalouf, « Je vous souhaite d’être follement aimée » porte bien son titre, comme un hommage discret à ‘L’Amour fou’ d’André Breton. Plus qu’un traitement intelligent des questions soulevés par le destin des êtres abandonnés à leur naissance et autres déracinés, ce drame, intimiste et sobre, plaide en faveur de la rencontre authentique entre deux personnes, au-delà des supposés liens du sang.
Comme le souligne la géniale interprète d’Elisa (Céline Sallette), à l’évocation de sa relation avec la comédienne qui joue sa mère biologique (Anne Benoit, toute en finesse) : ’Annette et Elisa se sont trouvées, à la fois, dans le pardon et l’acceptation de la situation, et dans leurs libertés respectives. Ce n’est pas seulement une mère et une fille, mais une femme et une autre femme qui se sont trouvées ».
A sa façon, exigeante et lucide, « Je vous souhaite d’être follement aimée » nous invite à rencontrer l’autre, sans limiter l’horizon des possibles aux contraintes de la parentalité.
Samra Bonvoisin
« Je vous souhaite d’être follement aimée »-sortie le 6 janvier 2016