Par François Jarraud
François Hollande, Eva Joly et François Cocq, pour Jean-Luc Mélanchon, évoquent leur projet pour l’Ecole.
- François Hollande fait six propositions pour l’école
- F. Cocq (Parti de Gauche) : On ne changera pas l’école sans changer la société !
- Eva Joly « Remettre l’école au centre du combat pour l’égalité »
François Hollande fait six propositions pour l’école
Quel projet éducatif pour le candidat François Hollande ? En visite à Pierrefitte (93), vendredi 13 janvier, le candidat socialiste a choisi les thèmes de la violence scolaire et du décrochage pour aborder cette question. Il parle de sécurité, de fermeté et d’éducabilité. Un discours qui peut rassembler sur un projet d’école à la fois enseignants et parents.
« Notre responsabilité, notre devoir par rapport aux enseignants, aux élèves, aux parents c’est d’assurer non seulement une sécurité mais de faire en sorte que ceux qui ont des comportements qui peuvent les conduire a des actes graves puissent être accompagnés et parfois écartés de l’établissement pour mieux y revenir ». François Hollande promet aux enseignants et aux parents de rétablir la sécurité à l’école en maniant à la fois la punition et la rééducation. Avec un objectif : lutter contre le décrochage, ne pas tolérer les sorties sans qualification.
La visite de François Hollande à Pierrefitte (93) commence dans les locaux de l’association AFPAD (Association pour la Formation, la Prévention et l’Accès au Droit). Il écoute longuement les responsables de l’association, d’anciens élèves exclus de leur collège et accueillis par l’AFPAD, des élus locaux, des parents et des cadres de l’éducation nationale. Il pose des questions, s’intéresse et plaisante. L’AFPAD fait de la médiation. Elle accueille les élèves exclus d’un des collèges de la ville et les remet sur les rails. Mais elle ne le fait pas seule. L’AFPAD est présente dans le collège et c’est là aussi que les élèves exclus viennent tous les matins de leur temps d’exclusion travailler. Cette formule du « fil continu » ne va pas de soi. Pour les enseignants, comment prendre le risque de croiser dans la cour un élève qui a été exclu après un incident grave ? L’AFPAD a des solutions techniques (en l’occurrence des horaires décalés) mais surtout humaines. L’AFPAD réunit les parents et les aide à faire face à la situation et à entrer dans l’école. Elle fait un gros travail avec les élèves pour que la sanction soit comprise et que le jeune dépasse son ressentiment. Pendant toute la durée de l’exclusion il continue à faire du travail scolaire donné par les enseignants. Il peut encore être suivi plus tard grâce à d’autres activités de l’association comme un atelier théâtre fort prisé. L’association a aussi tissé de vrais liens avec les enseignants, qui animent des ateliers AFPAD. Elle est soutenue par la ville de Pierrefitte et le département de Seine-Saint-Denis, par exemple pour des crédits de voyage qui sont vécus par les jeunes comme un signe de confiance. C’est tout ce travail qui permet à l’AFPAD d’afficher de bons résultats. Un CPE, un chef d’établissement étaient là pour en témoigner et parler aussi de leur étonnement quand, arrivant à Pierrefitte, ils ont trouvé ce dispositif. Les exclusions et les conseils de discipline sont en baisse et seules les guerres entre cités semblent limiter l’influence positive de l’AFPAD. Mais les plus beaux résultats étaient portés par les élèves passés par l’AFPAD. Autour de la table tous étaient maintenant en lycée avec des formations en série S avec de vrais projets.
Sarkozy a aggravé l’insécurité dans les établissements. Puis devant les élus et ses partisans, à la mairie de Pierrefitte, le ton change. » Il y a eu une politique qui a conduit a relâcher l’effort. Les 70 000 suppressions de postes de ces 5 dernières années ont forcement eu des conséquences sur l’encadrement, sur la surveillance ». F Hollande dénonce « la division par deux du nombre de surveillants depuis 2004 ». Il évoque la suppression de la formation initiale des enseignants. De ce fait, « pour beaucoup de personnels de l’éducation il n’est pas simple de régler des questions aussi lourdes ». Enfin il critique aussi « la disparition de la carte scolaire qui fait qu’on a concentré dans les mêmes lieux les mêmes problèmes. Comment s’étonner que cela ait des conséquences fâcheuses ? » Pour lui, « la violence à l’école augmente et s’intensifie. En deux ans le nombre d’incidents graves dans les établissements a progressé de 20% ». Les chiffres ministériels de SIVIS donnent 10,5 incidents graves dans les EPLE en 2008-2009 pour 1000 élèves, 11,2 en 2009-2010 et 12,6 en 2010-2011. Mais dans quelle mesure les enregistrements du fichier ministériel SIVIS sont-ils fiables ?
Plus de décrochage. L’idée maîtresse de François Hollande c’est de ne pas rompre le fil éducatif tout en sécurisant les établissements et en sanctionnant. « Aucun élève ne doit être en rupture », dit-il. « Aucun ne doit être exclu pour qu’il puisse lui même se dire qu’en définitive c’est le système qui l’a mis de coté. Le rôle de l’Etat c’est de faire qu’aucun ne se sente exclu de l’éducation nationale. Il faudra agir pour la sécurisation des établissements. Ce qui compte c’est de mettre en place des moyens humains ». Il veut parallèlement lutter contre le décrochage. « C’est un gâchis formidable sur le plan financier et humain. On met des moyens pour que les élèves puissent être qualifiés et 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification ! J’ai pris l’engagement qu’aucun jeune de 16 à 18 ans ne se trouvera sans solution ».
Six propositions. Pour cela F Hollande fait six propositions. La première c’est « augmenter le nombre d’adultes dans les établissements les plus difficiles ». Par adultes, il veut dire enseignants (« Comment imaginer une école avec toujours moins d’enseignants et toujours plus de savoir à transmettre ? »), mais aussi des personnels de la vie scolaire, de santé ou des assistantes sociales.
François Hollande veut aussi créer un nouveau métier. « Il y a un nouveau métier qu’il conviendra d’introduire dans nos établissements. C’est le métier chargé de la prévention et de la sécurité dans les établissements qui sera affecté de façon permanente dans les lieux où il y a le plus de difficultés. Nous aurons dans les établissements un personnel formé, en lien avec les équipes pédagogiques qui pourra prévenir les phénomènes de violence ». Vincent Peillon, chargé de l’éducation dans l’équipe de F. Hollande précisera qu’il s’agira de fonctionnaires et de personnels éducatifs et non de policiers.
« Il faudra revoir le mode d’affectation des personnels« . F. Hollande veut affecter des personnels expérimentés dans les établissements. On sait que le système actuel dirige les nouveaux enseignants vers ces postes. Luc Chatel a aussi mis en place une procédure d’affectation extraordinaire pour les établissements Eclair sans qu’il soit certain qu’elle puisse vraiment alimenter les établissements. Interrogée par le Café, l’équipe de F Hollande n’a pu indiquer par quel moyen elle changera les règles d’affectation. Probablement cela doit faire encore l’objet de négociations avec les syndicats.
Dans la formation initiale des enseignants, « qui sera rétablie » seront prévus des modules pour apprendre à gérer les conflits. Le travail en équipe entre enseignants mais aussi avec les autres acteurs (policiers, justice, associations, élus locaux, assistantes sociales etc.) sera favorisé. Mais là aussi rien de précis n’a filtré.
Généraliser des dispositifs comme l’AFPAD. » Ce que vous faites ici en Seine-Saint-Denis devra être généralisé », déclare F Hollande. « Pour le moment c’est le Conseil général qui le fait au titre des collèges mais nous avons aussi à le faire au titre des lycées » Ce sera une politique « où l’Etat, les collectivités locales, les associations agiront ensemble pour accompagner les jeunes ».
« J’ai pris l’engagement qu’aucun jeune de 16 à 18 ans ne se trouvera sans solution« . Pour lutter contre le décrochage, François Hollande promet que tout jeune sera accueilli dans « une formation qualifiante, par apprentissage ou professionnelle, ou mis dans un dispositif y compris avec le service civique ». Ou encore dans une école de la deuxième chance. François Hollande veut aussi « intégrer le travail personnel dans les établissements ». « Que l’accompagnement soit sur le lieu même de la transmission du savoir. Pour que les enfants des familles les plus pauvres soient suivies davantage que les autres ».
La prochaine étape du candidat en matière d’éducation c’est sa rencontre officielle avec les syndicats le 23 janvier. Ce sera peut-être le moment de mettre en avant face à N. Sarkozy un programme global pour l’Ecole et le métier enseignant. Pour, François Hollande, » la confiance est la condition indispensable pour le redressement ».
Luc Chatel a immédiatement réagi aux déclarations de F. Hollande. « François Hollande prouve aux Français qu’il n’a aucune idée personnelle sur l’éducation », a-t-il déclaré. Le ministre estime que lui-même a mis en place des mesures sur les sujets abordés par F Hollande comme l’affectation des personnels, la lutte contre l’insécurité, la prise en charge des élèves difficiles et les décrocheurs. Il rappelle notamment les Etats généraux de la sécurité à l’école, qui ont abouti à lancer une réflexion dans l’institution sur le harcèlement scolaire, des équipes mobiles intervenant dans les établissements et un programme de formation. Il a rappelé « les policiers référents » et déclaré que « chaque nouvel enseignant est désormais formé à la tenue de classe », une formation qui dure une ou deux journées juste avant la rentrée… Quant à Salima Saa, secrétaire nationale de l’UMP elle a déclaré : « on ne resoudra pas les questions d’échec scolaire et de suivi des jeunes en difficulté sans changer le système du collège unique… Attaquons nous au collège unique pour éviter que les élèves les plus fragiles ne soient oubliés jusqu’en fin de troisième. Quand il est déjà trop tard ». Elle rappelle ainsi la différence entre les deux projets socialistes et UMP. Pour l’UMP la solution aux élèves perturbateurs, faibles ou décrocheurs c’est la pré-orientation dès la 4ème vers des filières de relégation.
François Jarraud
Liens :
La violence scolaire
L’association APCIS dans le 93
L’Ecole, Peillon et Chatel dans Libération
Dans Libération du 19 janvier, Véronique Soulé interroge le ministre de l’éducation nationale d’aujourd’hui et celui qui le sera peut-être demain. Le responsable éducation du candidat Hollande et l’homme de N Sarkozy font face aux mêmes questions ce qui éclaire fortement le débat citoyen.
Sur le métier d’enseignant. » Pour moi, il est clair que dans le secondaire, il faut désormais déterminer le temps de travail des enseignants par des heures de présence dans l’établissement afin d’inclure toutes les missions, et non plus seulement par des heures de cours », affirme L Chatel. « Commencer par revoir les obligations de service est une erreur et même une faute à l’égard des enseignants qu’on a l’air de désigner comme responsables d’échecs imputables à une politique », répond V. Peillon. « Aucun professeur du secondaire ne travaille 15 heures ou 18 heures, mais 37, voire 38 heures », affirme-t-il.
Même opposition sur le collège où Luc Chatel préconise des « parcours différenciés », c’est à dire la sélection précoce, alors que V Peillon explique que » les systèmes qui réussissent sont ceux qui proposent les parcours communs les plus longs ». Il y a bien deux projets d’école.
Dans Libération
http://www.liberation.fr/societe/01012384286-luc-chatel-et-vincent-peillon-une-education-deux-ecoles
F. Cocq (Parti de Gauche) : On ne changera pas l’école sans changer la société !
Par Jeanne-Claire Fumet
François Cocq, professeur de mathématiques en collège, est secrétaire national à l’Éducation et aux Services publics du Parti de Gauche. Il considère que la transformation de l’école ne peut pas aller sans un changement radical de la société. Les mesures à la marge ne peuvent rien résoudre, sans une profonde remise en cause du partage des richesses, en gouvernant face aux banques, l’instauration d’une 6ème République, la planification écologique et la lutte contre la précarité. Dans cette perspective, la question des moyens matériels importe moins que celle des idéaux que l’on entend servir : pour le Parti de Gauche, c’est le pari d’un haut niveau de culture pour tous, dans une école rendue à ses missions d’enseignement et grâce à des enseignants bien formés et dotés d’une liberté pédagogique plus grande ; c’est aussi une véritable revalorisation sociale et salariale des métiers, condition préalable à la reconnaissance d’une égale dignité des filières professionnelles.
Quelle serait, selon vous, la priorité de l’action politique dans le domaine de l’éducation ?
F.C. : Sur la question de l’éducation comme sur d’autres questions, on ne peut se contenter aujourd’hui de mesures à la marge, qui se contenteraient de revisiter l’existant. La ritournelle selon laquelle il faut mettre l’école au cœur du projet de société n’est plus tenable. Nous souhaitons un vrai un changement de société, et c’est ce projet global qui dicte ce que l’on souhaite comme école pour l’avenir. Lors de ses vœux, le Président Sarkozy a décrété qu’il voulait donner de nouvelles missions aux enseignants et qu’il voulait revaloriser la voie professionnelle, cela dans une perspective clairement libérale de concurrence et d’autonomie économiques. Ce que nous voulons, c’est un projet commun d’émancipation, qui se fonde sur la réussite par l’élévation du niveau de connaissances et de qualifications pour tous, pas un système d’individualisme libéral ou une fausse égalité des chances qui passe par la mise en valeur de quelques-uns.
Peut-on concevoir des alternatives au projet de pilotage par évaluation et mise en concurrence des établissements, déjà effectifs dans d’autres pays ?
F.C. : Nous sommes d’abord favorables à l’abrogation de la loi L.R.U. (Libertés et responsabilités des universités) qui signe le désengagement de l’État dans l’enseignement supérieur. Et nous préconisons une réorganisation de l’école à partir de la Maternelle, en donnant les moyens réels d’une scolarisation des enfants dès l’âge de 2 ans, avec à terme la création d’un service public d’accueil pour la petite enfance, intégrant des personnels qualifiés et des normes d’accueil définies conformément aux conditions d’une bonne prise en charge des enfants. Nous défendons la scolarité obligatoire à partir de 3 ans. Nous sommes en opposition complète avec le projet actuel des jardins d’éveil, qui entretiennent la confusion entre ce relève de la scolarité et ce qui est de l’ordre du pré-scolaire. Le but de ces jardins, c’est marchandiser le secteur de la petite enfance et faire sauter l’école maternelle. Nous voulons au contraire le dédoublement des classes de grande section pour assurer de meilleures conditions de scolarisation.
Mais cela n’est-il pas contradictoire avec la situation économique actuelle ?
F.C. : La question des moyens est une fausse question. Quelle est la dette contre laquelle il faut lutter : celle dont on nous parle tous les jours, dont on surjoue ou la dette de l’ignorance qui nous jettera demain dans les ténèbres ? Nous, nous voulons donner du sens à la République, pas à l’austérité. Ce pays n’a jamais été aussi riche ! Le problème réside dans le partage des richesses. Si on s’attaque à cette question, on se redonne des moyens pour agir.
Partagez-vous le bilan pessimiste sur le collège unique ?
F.C. : On sait tous que cette question est un nœud gordien. Nous sommes bien sûr favorables au collège unique ! C’est une conquête forte de la classe ouvrière, qui était revendiquée depuis longtemps. La question qui se pose maintenant n’est plus celle de la massification mais celle de la démocratisation – au collège et au-delà. Le problème, c’est le socle commun minimaliste et utilitariste qui scinde le collège en deux, entre ceux qui sont censés s’arrêter là et ceux qui sont appelés à continuer. La difficulté est celle de l’hétérogénéité : la voie unique du collège unique pousse au minimalisme, ce qui empêche de voir ce que peut être un haut niveau de culture commune pour tous. Avec la scolarisation obligatoire jusqu’à 18 ans, on dédramatise la question du collège et on supprime les stratégies d’éviction des élèves problématiques en fin de collège. Mais il faut aussi concevoir un renversement complet au niveau des formations d’apprentissage : les élèves qui se dirigent vers l’enseignement professionnel ne doivent pas être des élèves en échec, d’abord parce que ce sont des voies qualifiantes, et aussi parce qu’on doit avoir le temps de choisir sa filière et trouver des passerelles pour circuler entre les voies. Pour que cela fonctionne, il faut accorder davantage de liberté pédagogique pour les enseignants ; ils sauront trouver la manière de conduire leurs élèves vers la réussite en tenant compte de leurs différences.
Cette liberté pédagogique est-elle compatible avec une évaluation nationale ou conduit-elle à envisager une évaluation par compétences ?
F.C. : Le problème des compétences, c’est qu’elles seront attachées en bout de chaîne à la définition d’un poste de travail, et non à l’individu qui les porte en tant que qualifications. Elles ne sont pas pérennes puisqu’elles disparaissent avec le poste de travail. Nous sommes favorables aux qualifications, ne serait-ce que parce que sur le plan social, elles imposent une reconnaissance en termes de conventions collectives. Et l’examen national, le diplôme de même valeur pour tous, reste pour nous essentiel. Mais en amont, nous pensons qu’il faut faire confiance aux enseignants pour réaliser les conditions d’acquisition d’un haut niveau de culture commune par tous, dans ce cadre élargi.
N’est-ce pas faire peser sur les enseignants la responsabilité du décalage entre les formes scolaires d’apprentissage et l’hétérogénéité réelle du public des élèves ?
F.C. : La vraie question, c’est de savoir si on leur donne les moyens de réaliser leur mission ! Dans le cadre de la fonction publique, chaque agent doit pouvoir exercer son métier dans le sens de l’intérêt général, en laissant de côté la question des intérêts particuliers. Pour nous, il est évident que les statuts ne sont pas négociables. Mais comment permettre aux enseignants d’exercer au mieux leur mission ? D’abord, il ne faut pas qu’ils soient écartelés entre la mise en concurrence des établissements, la liberté de recrutement des proviseurs, l’augmentation des postes précaires, qui les soumettent à une logique de gestion managériale qui décide à leur place. Et pour leur rendre davantage d’initiatives, il faut aussi les dégager des tâches qui ne sont pas de leur métier d’enseignants et qui demandent l’intervention d’autres catégories de personnels dans les établissements : les Conseillers d’orientation Psychologues, infirmiers, assistants sociaux, surveillants, etc. Ces acteurs sont indispensables dans les établissements : les élèves n’arrivent pas nus à l’école. Ils arrivent avec tous leurs problèmes extérieurs, et que l’institution a le devoir de prendre en compte. Aujourd’hui, on entretient volontiers une confusion dangereuse : on fait comme si l’échec scolaire devait être traité en termes de sécurité et de fichage, ou bien en termes de maladie, dont on serait responsable. Comme si ce qui se passe hors de l’école n’avait aucune influence sur le travail et la réussite scolaire…
Ne risque-t-on pas de vous reprocher de vouloir revenir à des conceptions anciennes, dont on a estimé qu’elles ne marchaient pas ?
F.C. : Il faut défaire beaucoup de ce qui a été fait dans ces dernières années ; il faut sortir de la logique de la logique de la marchandisation qui s’est progressivement imposée. Mais nous proposons un projet qui a une réelle cohérence verticale : on prend les difficultés du début jusqu’à la fin, sans prétendre qu’il suffit d’un coup de baguette pour tout résoudre. Nous apportons un concept nouveau, celui d’un haut niveau de culture commune pour tous : au contraire d’un socle commun réducteur, il a pour but de donner de la respiration, en particulier au niveau du collège, de permettre aux élèves les plus en difficulté de prendre leur temps et d’éviter toute orientation contrainte vers les filières professionnelles. Notre projet social implique aussi de revaloriser ces filières par la revalorisation des salaires et une meilleure reconnaissance sociale de la force productive.
Envisagez-vous aussi la revalorisation des salaires des enseignants ?
F.C. : La dernière remonte à Lionel Jospin ! Et elle était un peu piégée, puisque liée à l’ISOE, (l’indemnité de suivi et d’orientation des élèves) qui implique des charges de travail supplémentaires. Un parti politique n’a pas à se prononcer sur les montants des rémunérations, ce doit être l’objet d’une discussion avec les partenaires sociaux. Mais le passage des conditions de concours au niveau du Master pourrait donner l’opportunité d’une discussion sur les salaires enseignants. Et la longueur accrue des études pour atteindre le niveau du concours justifierait une aide financière particulière pour les étudiants issus de milieux modestes, afin qu’ils puissent aller jusqu’au bout. Nous sommes partisans d’un pré-recrutement qui favoriserait ainsi la mixité sociale dans le recrutement des personnels. C’est déjà à ce niveau là qu’on peut mettre l’école davantage en conformité avec la diversité de ses publics et de la société.
Pour consulter le programme intégral du Front de Gauche :
http://www.placeaupeuple2012.fr/
Eva Joly « Remettre l’école au centre du combat pour l’égalité »
Pour la candidate d’Europe Ecologie Les Verts, il est urgent de lutter contre le stress à l’Ecole. Pas seulement pour améliorer la qualité relationnelle dans l’Ecole mais aussi parce que c’est une étape vers plus d’égalité. Eva Joly souhaite créer 20 000 nouveaux postes d’enseignants dans les quartiers défavorisés. Elle veut lancer des « Etats Généraux de l’Education » pour refonder l’Ecole. Mais sa signature se retrouve particulièrement dans l’idée d’assouplir le rapport à l’école. « De 16 à 25 ans, je veux que chacun puisse facilement interrompre ou reprendre son parcours. Les jeunes français sont parmi les plus stressés du monde : ce stress est lié à l’absence de droit à l’erreur. Je veux donner le droit à l’erreur, le droit de rater, le droit de recommencer. Je veux donner le droit de partir, de travailler, de vivre une expérience personnelle grâce à l’éducation populaire, et de revenir ».
Quelle doit être la priorité de toute action politique sur l’éducation pour vous ?
Ma plus grande crainte pour l’école, c’est qu’elle devienne le lieu de la compétition acharnée. Que sous couvert d’excellence, ce soit le règne de la concurrence. Je ne veux pas d’un tel système qui gaspille les talents en condamnant dès le plus jeune âge des enfants. Et, comme par hasard, ceux qui sont condamnés sont bien souvent ceux qui sont nés au mauvais endroit, dans le mauvais quartier. Avec la lutte de tous contre chacun, l’égalité n’a pas plus sa place, ni comme postulat, ni comme horizon. Cela nous condamne à la reproduction sans fin de la domination.
Plutôt que de fragmenter, je veux remettre l’école au centre du combat pour l’égalité, en réunissant dès le début du quinquennat, des Etats Généraux de l’Education, avec toujours la même obsession : l’égalité. Nous mettrons sur la table la question de la carte scolaire, de la répartition des moyens sur le territoire, de l’affectation des jeunes enseignants. Plutôt que défaire le collège unique, je défends l’idée d’une école fondamentale accueillant toute une classe d’âge jusqu’à 16 ans sans sélection ni orientation. De 16 à 25 ans, je veux que chacun puisse facilement interrompre ou reprendre son parcours. Les jeunes français sont parmi les plus stressés du monde : ce stress est lié à l’absence de droit à l’erreur. Je veux donner le droit à l’erreur, le droit de rater, le droit de recommencer. Je veux donner le droit de partir, de travailler, de vivre une expérience personnelle grâce à l’éducation populaire, et de revenir.
A droite l’UMP met en avant un modèle sur l’Ecole : celui du pilotage par l’évaluation et de la mise en concurrence des écoles et établissements. C’est un modèle qui est déjà opérationnel dans plusieurs pays ce qui lui ajoute du poids. Pensez-vous que la France puisse échapper à ce modèle de gestion de l’Ecole ? Si oui, par quoi le remplacerez-vous ?
La mise en concurrence existe et s’étend, mais le pilotage est à courte vue. Les citoyens doivent se réapproprier la réflexion sur les critères et les confusions savamment entretenus sur l’évaluation doivent être levées. Par quoi le remplacer ? Par une logique de coopération, de complémentarité, entre les établissements. Cela implique une réelle transparence (par exemple les budgets consolidés des établissements). La coopération doit se construire à l’échelle des bassins de vie, sur une logique de projet. Les démarches démocratiques doivent être aussi encouragées qui associent les élèves, les parents et permettent de coopérer avec les acteurs d’un territoire, dont les dimensions s’étendent progressivement au fur et à mesure de la scolarité.
Dans les idées qu’on entend un peu partout (pas seulement chez Sarkozy), il y a l’idée qu’on peut augmenter le temps de travail des enseignants. Même si, de fait, les rectorats n’arrivent plus à caser leurs heures supplémentaires défiscalisées. Quel est votre sentiment là-dessus ?
Je suis opposée à cette logique si elle aboutit à augmenter les temps d’enseignement en classe entière. Car cela rend très difficile l’individualisation de l’enseignement, car cela ne permet pas de varier les groupements d’élèves en fonction des besoins, des rythmes ou des projets. Il faut au contraire que les enseignants puissent avoir moins d’élèves à suivre en même temps, et pour cela repenser le temps de travail des enseignants, des élèves… et aussi ce qu’on demande aux parents ! Les élèves sont de plus en plus tôt soumis à un stress permanent, leurs parents aussi. Et par ricochet, les enseignants… Il est temps d’afficher « RALENTIR ECOLE », pour s’approprier le savoir à son rythme. Pour apprendre à vivre en groupe, à prendre des responsabilités. Pour confronter ses émotions, ses impressions. Pour rencontrer l’autre. Pour comprendre ce que les adultes demandent.
Certains courants expliquent que l’amélioration des performances du système éducatif passe par une autonomie plus grande des établissements. Partagez-vous cette analyse et pourquoi ?
L’autonomie, oui, nous sommes pour, cela fait partie des fondamentaux de l’écologie. Mais qui l’exerce ? Le chef d’établissement ? Le gestionnaire ? L’équipe pédagogique ? On revient là au fonctionnement démocratique des établissements. Nous proposons qu’une partie de l’équipe de direction soit élue et apparaisse comme une émanation de la communauté éducative. L’autonomie pédagogique a plus de sens dans ces conditions. L’enjeu véritable est d’inventer, dans chaque établissement, le moyen adapté qui sera plus fécond que le modèle unique « une heure, une classe, un enseignant, une discipline » pour atteindre la culture commune des citoyens en s’appuyant sur un socle commun qui soit défini à l’échelon national. Cela requiert un autre mode de rédaction des programmes, en les définissant en termes d’objectifs de fin de cycle et non de contenus disciplinaires. Cela suppose une réorganisation des examens, qui orientent toute la pédagogie en amont et contribuent à fossiliser le système.
Le débat sur les « compétences » et l’évaluation des élèves est très fort depuis quelques années, dans les pays de l’OCDE. Il semble que ces notions fassent débat chez les enseignants. Comment pensez-vous que le système éducatif français puisse dépasser l’apparent antagonisme entre programmes et socle commun, entre évaluation par compétence et examens nationaux (brevet, bac…) ?
Ce cheminement sera long et la France s’y est engagée tardivement. Tout le monde est concerné : il suffit par exemple de lire les référentiels des diplômes de bac professionnel adoptés en 2008-2009 pour s’apercevoir que les différentes inspections disciplinaires elles-mêmes ne parlent pas le même langage sur des notions aussi triviales que les compétences, les attitudes, les connaissances. Il faut donc changer les habitudes.
Les leviers sur lesquels il faut agir portent sur les pratiques d’évaluation conditionnées par les examens finaux, mais aussi la formation initiale et continue des enseignants : on n’en prend pas le chemin ! La validation d’unités capitalisables, la présentation de travaux, des épreuves transdisciplinaires aux examens contribueraient à faire évoluer les priorités.
Les travaux de l’OCDE montrent que les salaires des enseignants ont relativement diminué depuis 1995 et qu’ils sont bas par rapport aux pays voisins. Là aussi, qu’est-ce qui peut être fait ? Avec quelles exigences en retour ? Comment rendre le métier à nouveau attractif ?
Cette question est centrale dans le débat public. Derrière se cache la question du temps de présence des enseignants dans les établissements. Dans beaucoup de pays d’Europe, les enseignants sont présents dans l’établissement, pas seulement pour faire leurs cours ou corriger leurs copies. Ils sont disponibles pour accueillir les élèves. Ils doivent en suivre un certain nombre individuellement. Aujourd’hui, ce n’est matériellement pas possible. Les enseignants ont-ils un bureau, un ordinateur personnel auquel accéder, des salles pour recevoir parents et élèves ?
L’urgence politique pour nous, c’est aussi de reposer les bases de l’entrée dans le métier : deux années de formation réellement professionnelle, en alternance, après le concours en fin de licence. Il faut aussi d’autres voies d’accès par concours : je pense à ceux qui sont déjà titulaires d’un mastère ou aux enseignants contractuels.
En démocratisant le fonctionnement des établissements, en soutenant l’innovation, en réduisant la précarité que le gouvernement actuel développe, en agissant sur le système d’affectation pour sécuriser le parcours des enseignants débutants, faciliter la constitution d’équipes stables et encourager la prise de responsabilité des enseignants expérimentés, on donnera à nouveau envie aux meilleurs étudiants d’embrasser eux-mêmes la carrière enseignante.
La situation économique ne cesse de se dégrader. Dans cette perspective est-il encore possible de dégager des moyens supplémentaires pour l’Ecole, par exemple pour embaucher 60 000 personnes ? Le futur gouvernement peut-il s’engager sur des moyens supplémentaires pour l’éducation ?
Je propose de recréer 20 000 postes d’enseignants, d’abord dans les quartiers défavorisés. Est-ce possible dans le contexte budgétaire ? La crédibilité de l’ensemble des propositions écologistes réside dans le fait que je les finance : j’ai dévoilé dès novembre dernier mon budget alternatif. C’est une question de choix politiques. Je préfère m’attaquer à la fraude fiscale, réintroduire de la progressivité dans l’imposition des citoyens et des entreprises, mettre un terme au gaspillage financier dans les autoroutes, les grandes infrastructures prestigieuses comme l’EPR…
Eva Joly
Sur le site du Café
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