Par François Jarraud
« Nous ne sommes plus là pour distribuer des subventions mais pour faire des politiques ». L’Association des régions de France (ARF) marque qu’elle est un interlocuteur incontournable pour l’Etat. Le 24 janvier, Alain Rousset, son président, et François Bonneau, vice-président en charge de l’éducation, ont manifesté la volonté de l’ARF d’un nouveau partage des compétences qui prenne en compte la place des régions sur le terrain en matière de formation professionnelle, d’enseignement supérieur, d’orientation et d’éducation. Ils ont demandé que la formation professionnelle et le service public d’orientation soient pilotés par les régions.
« L’acte fondateur de la reforme en ce pays c’est la décentralisation et décentralisation égale responsabilité« , affirme Alain Rousset. « Nous ne sommes plus là pour distribuer des subventions mais pour faire des politiques pour la recherche, l’emploi, le développement industriel, ou la croissance des pme ». Parlant au nom de l’ARF, il a fait le voeu d’un nouveau dialogue avec l’Etat. Mais il a aussi présenté les revendications régionales en matière de formation professionnelle et de service d’orientation.
Enseignement supérieur. « Pour la recherche, on dépense plus d’argent que l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) », précise-t-il. « Alors quand M Wauquiez vient nous dire a la fois que les régions dépensent trop et qu’il y a 4 ou 5 régions qui dépensent moins cette année pour les universités, on trouve cela incorrect. Car on doit oeuvrer d’abord pour les compétences qui nous ont été données ». Pour lui, « l’Etat ne peut pas à la fois réduire les ressources des régions avec la réforme de la fiscalité locale et la réduction des dotations, les accuser de participer au creusement des déficits publics et les solliciter sur les grandes compétences nationales (comme l’enseignement supérieur) ». Les régions investissent chaque année près d’un milliard dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Formation. Alain Rousset demande le transfert aux régions de la compétence en matière de formation professionnelle. « Quand on regarde nos budgets de formation professionnelle on se dit qu’on représente une force importante pour l’insertion des chômeurs. Nous revendiquons le service public de l’emploi car on est la collectivité la mieux placée. L’apprentissage et la formation professionnelle doivent être une compétence des régions en totalité avec les ressources qui vont avec ». François Bonneau, vice-président en charge de l’éducation, précise le voeu de l’ARF. » On est sur une décentralisation inachevée avec des difficultés à mettre en cohérence la politique de l’Etat et celles des régions. Les régions ne demandent pas que l’Education nationale demain soit régionalisée. Les programmes, les examens, les enseignants doivent relever de la responsabilité de l’Etat. Mais aujourd’hui on finance des bâtiments, on entretient des relations avec ceux qui peuvent aider la formation mais la carte des formations répond à deux niveaux de décision : les régions pour l’apprentissage, l’Etat s’agissant de la carte des lycées professionnels. Or on n’arrive pas à mettre en cohérence ces deux éléments. Nous revendiquons d’être responsable du pilotage de la carte des formations professionnelles. Pour une meilleure concertation avec les milieux économiques et sociaux et avec l’Etat. Aussi pour que les lycées professionnels, qui sont dans une grande inquiétude, puissent retrouver de la visibilité et de la confiance ». François Bonneau a également rappelé l’ effort des régions pour équiper les exploitations des lycées agricoles : environ 500 millions en 5 ans.
Service public d’orientation. « En matière d’éducation au sens large, le service d’orientation est atomisé sans véritable pilotage », a complété François Bonneau. « Au delà de ce qui se fait dans les établissements scolaires, il y a à mettre en place un grand service d’orientation public, régional. On souhaite en exercer le pilotage. »
Et l’Etat ? Il a appelé un dernier voeu. « On souhaite que l’Etat puisse parler aux régions ». Avec des régions très majoritairement à gauche, l’alternance politique, si elle se produit, devrait faciliter le dialogue…
François Bonneau : La personnalisation doit passer par des moyens
Vice-président de l’ARF en charge de l’éducation, président de la région Centre, François Bonneau parle de l’innovation pédagogique dans les régions et de la rentrée.
L’ARF a mis en avant cette année l’innovation. Dans votre région vous avez choisi l’innovation pédagogique avec un programme portant sur les manuels numériques. Pourquoi ?
D’abord parce qu’on veut que chaque jeune trouve un chemin de réussite et pour cela il faut diversifier, innover avec des supports nouveaux, des situations nouvelles, qui vont développer de la motivation. D’autre part on est à un moment où de nouveaux supports apparaissent qui ne sont plus la transcription numérique d’ouvrages imprimés mais des outils où les jeunes vont trouver une assistance. Il faut donc libérer la créativité des pédagogues et des éditeurs pour tirer profit des innovations. On le fait aussi dans les formations professionnelles parce que les métiers se transforment. La formation doit épouser ces changements. On a besoin de tirer profit des opportunités en matière d’innovation pour penser le monde de demain. Mais à un moment où il faut cette innovation, la diminution du nombre de postes est inquiétante. Pour donner sa chance à chacun dans l’économie de demain, il faut des ressources humaines dans l’éducation. L’acharnement idéologique du gouvernement à supprimer des postes contrevient à cette vision.
Les élèves utilisent peu le manuel scolaire traditionnel en papier. Le manuel numérique, que vous expérimentez dans votre région Centre, peut-il inverser les choses ?
Le comportement des jeunes se transforme à une grande vitesse. Ils utilisent peu le manuel papier et sont très acquis à l’utilisation du numérique partout. Notre tâche c’est d’engager une réflexion pour qu’on puisse demain définir le bon équilibre entre le support papier, qui restera longtemps utile, et le numérique. On est en train de transformer nos lycées avec le câblage, avec des équipements numériques. Par exemple on facilite l’exao en sciences, l’apprentissage des langues avec des laboratoires numériques. Il faut donc vraiment un travail d’anticipation sur la cohabitation du livre et du numérique.
Comment cette initiative est-elle accueillie par les enseignants ?
Nos expérimentations menées par les régions se heurtent à plusieurs choses. On a demandé au ministère de réfléchir sur deux données : la France est 4ème sur 24 pays européens pour les équipements informatiques, grâce aux régions, mais 24ème sur 27 pour les usages pédagogiques. On voit bien le retard des usages. Si on veut demain que les enseignants voient demain le numérique comme un soutien, il faut d’abord une formation initiale et continue des enseignants. Il faut les accompagner. Il faut aussi un nombre suffisant d’enseignants formés pour qu’ils puissent sécuriser ceux qui sont moins en avance. Or la politique menée va dans le sens inverse. Les enseignants sont prêts à y aller mais il faut que les supports soient là et il faut que les professeurs soient formés.
La région Centre va accueillir le Forum des enseignants innovants. Est-ce important pour vous ?
On a dans la région une dizaine de lycées en expérimentation pour le numérique. Et c’est important d’accueillir les enseignants qui sont en pointe de la recherche en ce domaine pour les écouter et pouvoir avancer ensemble. Les régions veulent être dans le dialogue le plus étroit possible avec les enseignants pour pouvoir relever le défi de la non qualification de 150 000 jeunes par an et de l’objectif d’un jeune sur deux au niveau licence. On a confiance dans les enseignants pour nous aider à atteindre ces objectifs.
Comment se passe la préparation de la rentrée 2012 ?
On discute de la rentrée en demandant aux recteurs de mobiliser les moyens nécessaires. Mais on sait que les enveloppes qu’ils ont reçues sont en diminution particulièrement pour les postes qui ne sont pas directement devant les élèves. C’est très préoccupant.
Il y a de grands discours sur la lutte contre le décrochage mais tant qu’on n’aura pas dans ce ministère les moyens pour conduire l’action éducative on continuera de créer du décrochage structurel, institutionnel. Arrêtons de croire que tous les jeunes peuvent avancer au même rythme dans des classes de 30 à 35 élèves. La personnalisation doit passer par des moyens. Un jeune a besoin d’écoute, d’assistance, d’être sécurisé. Plus on retire de pédagogues des établissements, plus on diminue les chances des plus fragiles d’y arriver. Il y a au ministère des volontés affirmées, mais pas de moyens. Les collectivités ne sont pas là pour payer les factures de l’Etat. S’il n’y a pas définition de politiques ensemble, on ne pourra pas avancer.
Propos recueillis par François Jarraud
Le 4ème Forum des enseignants innovants
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