Par Marcel Brun
Enfin un livre grand public sur l’Ecole qui ne soit pas un pamphlet. Enfin un ouvrage qui traite de l’Ecole avec respect, connaissance, douceur et intelligence. Le livre de Nicole Geneix et Philippe Frémeaux parle du terrain, pas d’idéologies. Il donne à voir ce qui se fait réellement en classe, sans complaisance, sans excès. L’école française a ses faiblesses, nous disent les auteurs. Elle peut être dure aux plus faibles. Les enseignants ont leurs moments de doute et même de démoralisation. Mais ils connaissent aussi ces moments où ce qui a été semé prend, où l’oeil de l’élève s’allume parce que ce jour là, une attention, une situation pédagogique bien adaptée ont créé l’échange. Leur essai pourrait n’être qu’un nouveau pamphlet de présumés experts autoproclamés. Mais on est à mille lieues de la diatribe. D’abord parce que les auteurs ont fait l’effort de s’extraire des jargons, mais aussi parce qu’ils refusent manifestement d’user des armes de ceux qu’ils brocardent…
Pourtant, le constat réalisé dans les premiers chapitres n’est pas en demi-teinte : oui, l’Ecole est confrontée à de nouveaux défis à relever, à la fois du fait de l’élévation de qualification requise par les emplois du XXIe siècle, mais aussi par la conséquence des nouveaux statuts de l’enfant et des membres de la famille. Mais non, les politiques devant conduire les changements ne vont pas dans le bon sens, usant davantage de la communication démagogique que de l’investissement stratégique. Par leurs injonctions paradoxales, « ils affaiblissent le lien entre l’Ecole et les parents », conduisent à la démobilisation en confondant sciemment le temps court des ministres et le temps long de l’Education, alimentant les discours médiatiques superficiels rendus indispensables par les courses à l’audience et aux petites phrases. « La communication nuit gravement à la subtilité » pastichent-ils en étayant par de multiples exemples documentés : faux débats autour des méthodes de lecture ou des programmes, vrais débats escamotés sur les rythmes scolaires ou la prise en charge des plus petits, le socle commun ou l’éducation prioritaire, évaluation transformée en Gosplan soviétique…. Et évidemment suppressions de postes…
Mais c’est dans les propositions de solutions qu’ils font la différence. Refusant les sirènes passéistes d’un âge d’or qui n’a jamais existé, N. Geneix et Ph. Frémeaux assument une posture tout à la fois « contestataire et pro-réforme », en consacrant toute la seconde partie de leur ouvrage aux propositions, après un constat qu’ils veulent exigeant.
D’abord, être modeste et ne pas penser qu’un décret peut changer l’Ecole… Et donc, organiser largement les espaces de discussion professionnelle et de formation pour permettre aux professionnels de regagner confiance en leur action individuelle et collective. Mais aussi d’être mieux capables de comprendre les difficultés d’apprentissage des élèves, pour mieux s’attaquer aux inégalités scolaires, en disposant du temps nécessaire : « Il faut aider les élèves, mais également aider les maîtres à faire leur travail et à analyser », écrivent les auteurs en reprenant la formule de R. Goigoux. Pour rendre l’école plus juste, il faut donc mieux faire sur le langage en maternelle ou la lecture en primaire. « S’intéresser aux plus faibles, c’est nécessairement questionner le système ». Mais pas d’optimisme béat : les confrontations sont nécessaires, et les conflits font partie de la vie. « Encore faut-il les organiser pour les rendre féconds », sans pour autant prétendre que les enseignants sont les seuls dépositaires de l’intérêt de l’Ecole.
La place des partenaires, toujours contestée, ne leur semble pas une option. Les collectivités territoriales sont indispensables pour ne pas traiter des problèmes scolaires « hors-sol » : pour les politiques d’accueil de la petite enfance ou l’argent de l’école, l’Education Nationale doit apprendre à construire à plusieurs. Pas sûr que les enseignants eux-mêmes n’aient pas besoin de porter un regard plus exigeant sur les subtiles manières de « scolariser les familles » lorsqu’ils réclament que tous les parents aient des comportements éducatifs connivents avec ceux de l’Ecole : « Il ne faut pas délégitimer les parents ni les transformer en auxiliaires pédagogiques »
Mais beaucoup se fait déjà, qui devrait être mieux valorisé. « L’école montre chaque jour qu’elle peut réussir à se réformer, comme le montre les progrès réalisés dans la scolarisation des élèves handicapés ou l’enseignement des langues ». Encore faut-il quelques conditions. Nicole Geneix se souvient des pistes que son syndicat a contribué à populariser : installer des maîtres surnuméraires dans les écoles pour favoriser les souplesses d’organisation et la prise en charge en petit groupe, professionnaliser les « nouveaux métiers » arrivés dans l’Ecole depuis la fin du XXe siècle, trouver des solutions pour la direction d’école, questionner la polyvalence pour rompre la solitude, mais aussi renforcer les compétences didactiques dans toutes les disciplines d’enseignement…
Pas sûr que toutes les solutions préconisées soient mises en œuvre dans les mois à venir. Encore faudrait-il que l’école primaire redevienne un objet d’attention, au-delà des polémiques. Comme l’écrivait déjà Antoine Prost en 2001, les auteurs rappellent que le primaire est le parent pauvre d’une recherche en éducation elle-même bien affaiblie : « Le vivier des spécialistes du primaire s’est amenuisé au fil du temps ». Et on ne s’improvise pas spécialiste du primaire sans une longue expérience professionnelle. A quand un nouveau « Programme Incitatif de Recherche en Education et Formation » (PIREF) comme celui initié en 2002, « une bonne initiative trop vite enterrée, comme souvent dans l’Education Nationale » qui avait donné lieu à la première conférence de consensus sur la lecture, en 2003…
Parents, élèves, enseignants, ministres… Et si on aimait enfin l’école ?, Editions « Les petits matins », Alternatives Economiques, 2012.
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