« Après tant d’innovations opaques, après tant de mouvements peu coordonnés, voire contradictoires, est-il fondé de poursuivre ? » La question du maintien du socle commun est posée par la dernière livraison (2012, n°2) d’ « Administration & Education », la revue de l’Afae (association des administrateurs de l’éducation). Remarquable, ce numéro réussit à croiser les regards des chercheurs, des enseignants et des cadres de l’Ecole, des partisans et des opposants, des écoles française et espagnole, amenant ainsi la réflexion à un niveau rarement atteint. Mais on le lira aussi parce qu’il livre les intentions des nouveaux dirigeants de l’Education nationale. Outre les contributions de RF Gauthier et C. Lelièvre, animateurs de la concertation nationale, les regards se posent sur l’article de JP de Gaudemar, l’actuel conseiller éducation du premier ministre. On passe ainsi à ce qui fait la complexité de ce débat et l’intérêt de ce numéro. Le socle ne renvoie pas seulement à des questions de pratiques pédagogiques, déjà très débattues. Il implique aussi une vision de la gouvernance et de l’organisation de l’Ecole et, encore au-dessus, interroge sa démocratisation.
Mais où en est exactement l’adoption du socle dans le système éducatif français ?
La revue va au-delà des constats dressés par le rapport Grosperrin en 2011 ou le récent rapport du HCE. Pour l’inspectrice générale Annie Mamecier-Demounen, tout dépend déjà des disciplines. A l’intérieur même du pôle scientifique, SVT et maths considèrent différemment le scole. F. Lantheaume, L. de Cock et V. Youx témoignent pour les disciplines littéraires que le pari n’est pas gagné : « idéal dévoyé » en français pour cette dernière, le socle est aussi méconnu en histoire géo. Philippe Claus, inspecteur général, pense que « si l’idée… est aujourd’hui largement admise, sa mise en oeuvre concrète dans les classes des écoles primaires comme des collèges reste à approfondir ». Il résume le défi que présente le socle commun pour l’Ecole. « L’Ecole du socle traduit une nouvelle organisation de notre système éducatif… Il ne s’agit pas moins que de faire disparaitre ou de réduire drastiquement une inégalité fondamentale, celle qui exclut de l’accès à la connaissance des dizaines de milliers de jeunes tous les ans ». Le socle est « un changement de paradigme » pour l’Ecole. Si « la différence de statuts des enseignants n’apparait pas comme un obstacle à la construction d’une véritable école du socle », cela « suppose une redéfinition des missions des enseignants, de collège notamment ». La comparaison avec l’Espagne est très éclairante sur l’importance des changements qu’exige le socle. L’école espagnole a défini un nouveau curriculum basé sur des compétences et parmi celles-ci, « le traitement de l’information et la compétence numérique ». Mais il fait aussi concevoir de nouveaux modes d’évaluation des élèves et du système et amener les enseignants à travailler « de manière coopérative et coordonnée ». Une vraie révolution !
Que projette la nouvelle équipe ?
Pour Roger-François Gauthier, inspecteur général, « un point de non-retour s’est trouvé franchi… Pourtant les conditions de précipitation dans lesquelles le socle a été écrit… mais aussi les leçons qu’il est légitime de tirer après quelques années d’essais légitimeraient que ce socle soit réécrit ». C’est ce que propose Jean-Paul de Gaudemar pour le brevet. Il montre la contradiction existant aujourd’hui entre la logique du socle et l’examen traditionnel dans l’actuel DNB (diplôme national du brevet). « Au delà d’une période de transition raisonnable, par exemple… la session 2014, un choix devrait être fait pour dissiper les ambiguïtés actuelles… simplifier l’organisation de l’examen ». JP de Gaudemar propose « une délivrance du brevet fondée essentiellement sur l’examen attentif essentiellement sur l’examen attentif des livrets de compétence », lesquels seraient ajustés. Cette modification de l’examen serait « une incitation forte pour que les enseignants modifient leurs pratiques pédagogiques ». Il est significatif que la publication de cet article ait déjà suscité la réaction d’un syndicat (le Snalc).
Un débat franco-français ?
On rejoint dans cette vision du pilotage par les examens du système éducatif une vision française classique de l’Ecole qui, par la suite, forcément, est la limite de ce numéro. Face au souci légitime d’élever le niveau de qualification de la jeunesse et de limiter le gâchis des sorties sans qualification, le débat s’organise sur les questions de pilotage, celles du socle et de l’école du socle. Les débats de la concertation nationale ont rappelé que, si l’accord existe sur l’objectif, cette approche est toujours fortement minée. Par contre peu d’intérêt est accordé aux questions de savoir comment on fait pour évaluer le niveau réel des élèves, quelles pratiques pédagogiques peuvent être recommandées et comment former les enseignants. Trois questions qu’il faut souhaiter voir invitées au débat.
François Jarraud
L’école du socle, Administration & Education, n°2 – 2012 , AFAE 2012, 174 p.