Par François Jarraud
Réformer l’Ecole ? Encore ? L’ouvrage de Xavier Sorbe ne prétend pas réformer mais affirmer les ambitions de l’Ecole. Bon connaisseur du système éducatif – X. Sorbe est inspecteur général – il montre à quelles conditions l’Ecole pourrait relever cinq défis : restaurer la confiance, croire dans les potentialités de chaque élève, promouvoir une réflexion pédagogique, rénover l’organisation des établissements et instaurer un pilotage dynamique. Loin des pamphlets à la mode, voilà un livre bien informé, qui offre des perspectives raisonnables à l’Ecole de la République.
Un aspect original de votre ouvrage c’est que vous plaidez pour une réflexion pédagogique, voire une forme de pilotage pédagogique. Pourtant le discours officiel c’est celui de la « liberté pédagogique ». Que penser de cette forme de « relativisme » pédagogique ?
La liberté pédagogique fait en effet partie de la culture de notre enseignement. Elle est sûrement un atout pour ce qu’elle apporte de créativité et de responsabilisation.
Cette liberté s’exprime d’autant plus efficacement qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un projet collectif et repose sur une réflexion de qualité.
Sur ce plan, l’institution a son rôle à jouer en prenant des positions nettes, sous peine d’abandonner le terrain à des discours sans fondement scientifique, souvent guidés par la nostalgie.
Pour prendre quelques exemples parmi d’autres : différencier l’enseignement selon les besoins des élèves, leur donner la possibilité d’être actifs sur la base de situations ayant du sens, ou simplement exercer leur mémoire, sont des fondamentaux qui méritent d’être clairement affirmés.
De plus, l’autonomie pédagogique est au service des performances des élèves, ce qui exige que l’action soit guidée par une évaluation objective des résultats obtenus, plaçant chacun face à ses responsabilités.
Est-ce susceptible de « redonner confiance en l’école », une autre idée forte de votre livre ?
La confiance se nourrit aussi d’une certaine clarté. Afficher ses objectifs et mesurer leur degré d’atteinte doit permettre à l’École d’être mieux comprise. Dans le cas contraire, on ne fait qu’alimenter les soupçons.
Une certaine transparence autour des résultats permet de dépasser les rumeurs sans fondement et d’aller au-delà des palmarès arbitraires publiés par quelques médias.
Comment l’institution peut-elle promouvoir cette réflexion pédagogique ?
En se rappelant que c’est un aspect essentiel !
Il ne faut pas oublier que les pratiques pédagogiques ne sont pas neutres. Qu’il s’agisse des pratiques individuelles ou des stratégies collectives, ce sont elles qui, pour une bonne part, décident de la réussite des élèves.
Promouvoir cette réflexion passe par le développement, en partenariat avec l’université, d’une véritable recherche pédagogique. Centrée autour de quelques chantiers d’envergure, celle-ci doit être plus utile aux acteurs en alimentant le contenu de leur formation.
Il ne s’agit évidemment pas de prescrire des consignes ou d’imposer des méthodes prêtes à l’emploi, mais bien d’inciter à l’échange, à la curiosité et à la réflexion, voire à l’investigation.
Quelle place peuvent tenir les TICE dans cette réflexion pédagogique ?
Nous sommes passés à côté de la révolution audiovisuelle, il ne faut pas manquer le tournant de l’informatique et d’Internet qui offrent des possibilités incomparablement diversifiées.
Il n’est pas question ici d’imiter dans un format numérique ce qui se fait dans les livres pour tenter vainement de « faire moderne ». S’engager dans une telle voie serait irresponsable et sans avenir.
Un effort particulier doit être fait pour concevoir des produits pédagogiques tirant le meilleur profit de l’interactivité et des possibilités de simulation des outils informatiques.
Là aussi, l’institution doit jouer un rôle moteur et ne pas se contenter de s‘en remettre aux projets des éditeurs privés.
Déjà présent dans les établissements, Internet pourra occuper à terme une place plus centrale dans les pratiques. L’accès au réseau mondial ne doit pas être perçu comme une concurrence. Si l’on accepte l’idée que le rôle de l’enseignant se trouve ainsi sensiblement modifié, on dispose là d’une chance de renouveler la recherche documentaire et, plus largement, les modes d’accès au savoir.
Vous plaidez pour la confiance dans l’école. Qu’est ce qui l’atteint le plus aujourd’hui : l’excès de critiques ou de satisfaction ?
On entend d’abondantes critiques venant de l’extérieur, alors que l’on voit beaucoup de conscience professionnelle à l’intérieur. Dans tous les établissements, de nombreux collègues inventent et s’investissent pour faire réussir leurs élèves.
Dépasser cette approche souvent irrationnelle exige de placer le débat sur le plan des acquis réels des élèves. Notre système éducatif n’a pas la culture du résultat. On note beaucoup, mais on évalue très peu.
De ce point de vue, les évaluations internationales offrent une ouverture nouvelle à saisir, pour peu que nous ayons le courage de les interpréter avec lucidité.
Mais cette confiance est-elle atteinte partout ou s’agit-il de redonner confiance à quelques uns ? Et si oui comment ?
C’est avant tout aux élèves qu’il convient de donner confiance !…Il est primordial de croire dans les potentialités de chacun pour susciter leur goût de l’initiative et leur permettre de prendre des risques. Un élève qui n’ose pas n’apprend pas.
Comme l’ont compris beaucoup de professeurs, aider les élèves, ce n’est pas faire à leur place, mais c’est surtout stimuler leur désir d’apprendre. De ce point de vue, le développement des cours particuliers auquel nous assistons est à la fois un signal d’alerte et une aberration.
La confiance des élèves dans leurs propres capacités est un atout déterminant pour relancer le processus de mixité sociale en ouvrant plus largement l’accès aux filières les plus réputées.
Par ailleurs, l’École doit savoir regagner la confiance des familles en communiquant plus efficacement autour de ses multiples réussites.
Communiquer, cela pourrait d’ailleurs commencer par cesser de s’associer à la complainte du niveau qui baisse… depuis des siècles.
En 1970, 33 % d’une génération quittait le système scolaire sans qualification ; ils sont aujourd’hui un peu moins de 8 %. C’est certes encore beaucoup trop, mais cela témoigne de la capacité du système à se mobiliser pour évoluer, même si cette évolution reste aujourd’hui à poursuivre.
L’École ne doit-elle pas redonner confiance d’abord à ceux qu’elle a du mal à faire réussir, les enfants de milieu défavorisé ou des « minorités visibles » ? Mais comment faire ?
Certainement ! Si l’élévation moyenne du niveau général de la population peut faire la fierté de notre système éducatif, l’intégration des élèves en difficulté a atteint un seuil.
Alors que 33 % des élèves de sixième sont des enfants d’ouvriers, ceux-ci ne représentent que 6 % des classes préparatoires aux grandes écoles.
On constate notamment un phénomène d’autocensure, entretenu par les familles.
Il est donc essentiel, non seulement de proposer des parcours lisibles par tous, mais aussi de développer l’estime de soi chez chaque élève.
L’établissement qui manque d’ambition pour ses élèves, en privilégiant abusivement les filières courtes, ne fait que conforter les familles qui hésitent à franchir le pas. Insuffisamment informées, celles-ci préfèrent alors souvent jouer la carte de la proximité.
Plusieurs initiatives prises ces dernières années pour faire connaître à tous les publics les filières d’excellence méritent d’être suivies avec attention.
Les débats actuels tournent beaucoup autour du management du système éducatif. Vous-mêmes vous plaidez pour la décentralisation. Comment voyez-vous le partage des rôles entre Etat, collectivités locales et établissements ? Pourquoi ?
En procurant de réelles marges de manœuvre aux académies, on a judicieusement rapproché le lieu des décisions de celui de l’action.
Cette déconcentration, assez exemplaire dans le paysage de notre service public, a permis davantage de souplesse en matière de gestion des ressources humaines et dans la définition des cartes des formations en liaison avec les collectivités.
Il semble pertinent de prolonger cette démarche jusqu’aux établissements en leur donnant davantage d’autonomie, tout en les accompagnant plus régulièrement dans leurs projets.
Concernant la décentralisation, on voit certaines collectivités prendre des initiatives relevant directement du domaine pédagogique. Cela peut fonctionner lorsqu’existe un partenariat étroit avec l’institution, fondé sur un projet académique cohérent et bien identifié.
Mais il existe aussi un risque de voir apparaître des contradictions en multipliant les niveaux de tutelle des établissements. De ce point de vue, il importe que les rôles soient clairement répartis, y compris à l’intérieur de l’institution.
Eu égard à leur engagement financier, il est légitime que les collectivités aspirent à aller au-delà. Davantage de décentralisation pourrait apporter dynamisme et lisibilité à la politique mise en œuvre.
Peut-on par exemple envisager ainsi une gestion plus appropriée des ressources humaines, y compris en matière de recrutement ? Les mentalités n’y sont pas forcément encore prêtes.
Dans tous les cas, des précautions sont nécessaires si nous ne voulons pas détruire ce que d’autres pays nous envient. Il faut par exemple éviter que la réputation des diplômes ne varie selon la région où l’on habite, comme cela est le cas en Allemagne. Le statut national des programmes, au moins pour leur noyau dur, doit aussi demeurer une garantie.
Pour avancer dans de bonnes conditions, une concertation suffisamment nourrie entre les collectivités, non seulement à l’intérieur de la même entité géographique mais aussi à un niveau interrégional voire européen, sera bienvenue pour éviter de nouvelles formes de disparités.
Xavier Sorbe
Dernier ouvrage de X. Sorbe :
Cinq défis pour l’Ecole. Réflexions et propositions en faveur du système éducatif, L’Harmattan, 2008, 200 pages.
Entretien : François Jarraud