Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Quel a été le parcours de carrière de Catherine ?
Après deux années de médecine et une réorientation en histoire médiévale où elle décroche une maîtrise, Catherine Laboubée effectue des remplacements dans des collèges et des lycées pendant deux ans. De 1981 à 1994, elle oriente sa carrière vers l’enseignement pour adultes comme professeur de Français pour des élèves de CAP, BEP, Bac Pro et BTS, au Ministère des Anciens Combattants, qui dispose d’écoles pour handicapés civils. Elle y enseigne l’histoire de l’art et la culture générale à plein temps, soit plus de 26 heures de cours par semaine, bien au-delà du temps d’enseignement ordinaire des certifiés (18 heures) ou des agrégés (15 heures). Son contrat est alors renouvelé d’année en année, puisqu’elle a un statut de contractuelle, jusqu’en 1994 où il s’arrête. Après une période de chômage, le rectorat lui indique « vous êtes trop vieille pour enseigner », alors qu’elle n’a alors que 42 ans… Cela ne l’empêche pas pour autant d’aller faire ses preuves de nouveau face à des classes de BTS en 1997-98, avant d’opter pour une reconversion. Dans un premier temps, elle réalise durant deux ans des enquêtes médicales de haut niveau pour des laboratoires. Les savoirs nécessaires à cette activité, Catherine les possède depuis sa jeunesse, puisque son père était pharmacien et sa mère médecin, et qu’elle était alors baignée dans un vocabulaire spécifique qui lui permet alors de mener cette nouvelle carrière. En 1999, un nouveau projet naît : mettre en pratique l’écriture de mémoire, puisque Catherine est avant tout une littéraire. L’idée est de rédiger l’histoire de parents âgés qui souhaitent léguer à leurs enfants et petits-enfants une mémoire, leurs souvenirs, sous forme d’un ouvrage tiré à un petit nombre d’exemplaires.
Le 1er janvier 2000, Catherine s’installe en profession libérale comme « auteur, éditeur » auprès de l’URSSAF. Cette déclaration est obligatoire et l’engage à payer des charges. Durant les deux premières années, le système de l’URSSAF est relativement indolore, mais à partir de la troisième année « c’est le coup de bambou », puisque près de 45% du chiffre d’affaires avant impôt est collecté par cet organisme : il est donc indispensable, dès le démarrage de son activité libérale, de prévoir cet élément impondérable. Actuellement, sur 100 € gagnés, Catherine peut espérer en conserver 30 à 35%.
Quelles compétences acquises dans l’enseignement ont permis à Catherine de réussir dans sa seconde carrière ? Quelles compétences complémentaires y a-t-elle acquises ?
En termes de compétences acquises, Catherine nous indique celles-ci : « le contact avec les gens, je l’avais naturellement. Le fait de rencontrer des gens très différents rapidement aussi. L’enseignement conduit la personne à savoir s’adapter très rapidement à tout milieu culturel rencontré » (une compétence de caméléon en quelque sorte). « L’enseignement me sert aujourd’hui en ce sens que je suis plus à l’aise pour faire une intervention publique, comme dans le cadre de celles que je réalise pour des bibliothèques par exemple ».
Au niveau des compétences complémentaires, Catherine les a bien analysées : « peaufiner mes qualités d’écoute, savoir me mettre à la place d’autrui constituent 75% des compétences attendues dans le métier que j’ai choisi. » Les savoir-être, dans ce métier, sont de « s’enrichir moralement de toutes les vies et les histoires que je découvre, souvent extraordinaires », et les savoir-faire, de « me mettre à la place d’autrui : je suis, dans ce cadre, performante dans mon activité professionnelle. »
Lorsqu’elle accompagne ses clients dans ce travail de mémoire, Catherine prend des notes, afin de rendre le récit plus vivant, et surtout de faciliter le travail de synthèse, réalisé au fil de l’entretien. Une prise de notes d’une heure génère ensuite une heure et demie de travail, son rôle étant de retranscrire les propos de la personne de la manière la plus sincère.
« Je travaille par tranches de 1h à 2h. Souvent, ceux pour qui je travaille me disent : « quand je vous lis, je m’entends » : c’est pour moi le signe d’une reconnaissance, puisque cela signifie que l’objectif est atteint : je les aide à faire leur livre, pas le mien. Il est indispensable qu’ils aient le sentiment d’avoir écrit le livre eux-mêmes ». « Les livres que je réalise oscillent entre 40 et 800 pages et sont publiés à compte d’auteur, destinés à la famille, à des amis de l’auteur. C’est un véritable ouvrage en termes de fabrication, puisque je travaille avec un imprimeur-éditeur qui réalise cette production. Depuis 8 ans, j’ai réalisé 37 livres dans des normes très différentes. Pour un livre de 40 pages, j’aurais travaillé 4 à 5 heures, tandis que pour un ouvrage de 800 pages, j’aurais rencontré la personne 1 heure par semaine pendant 4 ans. En moyenne, 30 heures de rencontres permettent d’aboutir à un livre de 200 à 250 pages. ». Le nom de son nouveau métier est « écrivain-biographe », qu’elle a identifié sous le nom de « Aide-Mémoires », accessible sur son blog : http://aide-memoires.over-blog.com
Dans le cadre de son activité libérale, Catherine Laboubée travaille aussi pour des entreprises ou des collectivités locales, afin de retracer leur histoire, à travers les témoignages de leurs différents acteurs. Ainsi a-t-elle réalisé en 2004 un ouvrage « Rouen, Mémoires 44 » pour la Mairie de Rouen. Elle a également publié aux Editions Petit-à-Petit « Mémoires de Villages », évoquant les communes de Bourgtheroulde-Imfreville.
Catherine termine en précisant : « je suis un artisan de l’écrit, mon travail, c’est de la broderie. »
Quand Catherine a créé son activité, comment a-t-elle vécu ce « grand saut » ?
« Cela n’a pas été un grand saut, mais la continuité d’une vie normale. Je réalisais beaucoup d’activités en parallèle de l’enseignement, et je n’ai pas vécu les aspects sclérosants du métier de professeur. J’ai, par contre, vécu l’angoisse de ne pas avoir de boulot, du fait de mes périodes de chômage, et j’ai toujours cette angoisse dans le cadre de l’activité que je mène. Dans le travail que je réalise, je me fais rémunérer par mes clients à l’heure, car certaines personnes interrompent en cours de conception le travail de mémoire. Il est donc important que je puisse être rémunérée régulièrement du temps que je passe avec chacune des personnes. Mes clients sont des personnes de tous milieux sociaux, même des personnes peu cultivées, qui souhaitent simplement donner du sens à leur vie, à ce qu’ils ont traversé. »
Que pense-t-elle de ses conditions de travail actuelles ?
« Elles sont beaucoup plus confortables que dans l’enseignement, même si je n’ai plus la garantie du salaire à la fin du mois. Je n’ai pas de formatage horaire, je me sens plus libre. Je travaille parfois 12 heures une journée et pas du tout le lendemain, c’est très variable. Ma semaine comprend souvent des déplacements. C’est une forme de liberté contraignante, puisque je dois travailler moitié chez moi et moitié chez mes clients. Cela me conduit à organiser mon temps de travail, c’est très important de se structurer dans ce type d’activité libérale. »
Quels conseils Catherine tient-elle à prodiguer à une personne qui souhaite enseigner ?
« Je leur conseille de se défaire totalement des théories pédagogiques qu’on a pu leur enseigner. Ce métier suppose de travailler au feeling : cette approche ne présente en effet que des avantages, même avec des publics difficiles. L’enseignant s’adresse à des personnes, des personnalités très variées, il est essentiel d’en tenir compte. Ce métier doit apporter beaucoup de satisfaction. Si on ne se fait pas plaisir soi-même en transmettant des savoirs, on ne donnera aucun plaisir aux autres de l’entendre, de le comprendre et de le retenir. Il est important d’éprouver du plaisir à enseigner. Enseigner, c’est partager le savoir qui est en soi, c’est aussi un don de soi aux autres, en termes de savoir-faire et de savoir-être, de savoir-agir. »
Et que conseille-t-elle, grâce à sa riche expérience, aux professeurs tentés par une mobilité professionnelle en-dehors de la classe ?
« Surtout, n’allez pas trop vite, bétonnez votre reconversion. Pour ma part, j’ai passé une bonne année à peaufiner mon projet. 75% de mon temps est consacré aujourd’hui à rechercher ma clientèle, et le restant au travail de mémoire. Cela suppose d’être organisé, de bien saisir les contraintes de la voie que l’on a choisie. Il faut vraiment être sûr de son coup avant de lâcher ce que l’on a déjà. Il faut aussi être prêt à faire des concessions : par exemple, lorsque j’ai changé de job, ma rémunération a baissé de 20% dans le secteur médical, puisque j’étais très bien payée par le Ministère des Anciens Combattants (l’équivalent de 30 000 francs par mois dans les années 80-90).
Pour faire son métier, quelles ont été les démarches à réaliser avant de se lancer ?
« Lorsque l’on est demandeur d’emploi, on peut bénéficier d’aides, de donations aussi. J’ai d’abord fait mon enquête sur l’existant, les différents possibilités, je suis allé à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) rencontrer le pôle dédié aux chefs d’entreprise qui font du bénévolat pour aider ceux qui aspirent à le devenir. Ce fut un long travail d’investigation. Des fondations offrent le budget pour aider des entreprises à démarrer. C’est une manière de placer leur argent pour diminuer leurs impôts. J’ai déposé des dossiers un peu partout, je me suis renseignée pour bien savoir gérer mon entreprise : aide en comptabilité, en gestion. Il faut beaucoup d’organisation et de rigueur, être lucide, faire de la prospective, lorsque l’on décide de créer sa propre entreprise, si l’on souhaite dès le départ la pérenniser. »
Comment Catherine trouve-t-elle ses clients ?
« Je ne fais pas d’annonces…car c’est un gouffre financier. Pour faire connaître mon activité, je saisis la chance qui m’est offerte lorsqu’un journaliste souhaite publier un article sur ce que je fais. Je distribue aussi mes cartes de visite ici et là, par exemple au Salon du Livre, dans d’autres salons et bibliothèques aussi ». Catherine tient aussi à préciser que, dans le travail de mémoire, il y a des entreprises qui ne respectent pas la clientèle, en leur promettant de « rédiger leur livre » en ne passant qu’une matinée à leur domicile. « Il est important de bien tenir compte du fait que ce travail est un travail qui se réalise en plusieurs étapes, c’est une relation de confiance, de proximité qui s’établit entre l’auteur, qui raconte son histoire, et l’écrivain-biographe qui la rédige. Il faut être très professionnel dans son approche et respecter les gens. »
Que pense Catherine de la création d’une association comme Aidoprofs ?
« C’est une initiative drôlement intéressante. Mais comment persuader les professeurs qu’ils en ont besoin ? Et tous les professeurs en ont-ils besoin ? Je trouve que l’idée est géniale, cela peut permettre de déscléroser ce métier, c’est formidable, et je suppose que c’est beaucoup de boulot pour arriver à faire connaître ce dispositif associatif aux enseignants. Vous découvrez comme moi que lorsque l’on mène une telle activité, les heures de travail ne se comptent pas, car on réalise un projet personnel, quelque chose qui compte beaucoup pour soi ».
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