L’adaptation de nouvelles de Maupassant est un classique de la télévision et du cinéma : et si les élèves s’en chargeaient à leur tour ? Au lycée Camille Claudel de Digoin, les secondes de Marc Plateau ont ainsi réalisé d’étonnants courts métrages. Ils y développent maitrise du langage cinématographique, réflexion sur le réalisme, attention aux textes et aux contextes, capacité à dégager les valeurs et les leçons portées par un récit… Selon le principe du BYOD (Bring Your Own Device : apportez votre propre matériel), les lycéens ont essentiellement utilisé leurs propres smartphones. Et la récompense est forte : « Comme tout projet mené sur le long terme et qui aboutit, il a laissé à chacun un sentiment de satisfaction, l’idée qu’en se mobilisant on peut surmonter des difficultés et que les films étaient peut-être davantage qu’un simple projet scolaire. »
Dans quel contexte avez-vous conçu ce travail d’adaptation cinématographique d’un récit littéraire ?
L’idée est née de la volonté d’aborder la transmission des valeurs dans les textes littéraires et en particulier dans le récit (un thème proposé au niveau national par les Travaux académiques mutualisés (TRAAMs) en 2015-2016). Voici les interrogations que cela a suscitées au départ : comment les récits littéraires transmettent-ils les valeurs propres à une société ? Comment interrogent-ils celles-ci dans la représentation de la société qu’ils proposent ? Comment les lecteurs que sont les élèves reçoivent-ils cette réflexion sur les valeurs ?
Pour éviter absolument une lecture univoque et préétablie par l’enseignant, il m’a semblé que le travail d’adaptation amènerait naturellement les élèves à s’interroger sur la signification du texte, sur le sens d’un récit, sur son interprétation.
L’idée a germé aussi au début d’une année durant laquelle je participais avec une autre classe au prix Jean Renoir des Lycéens, j’étais amené à évoquer très souvent le cinéma, à proposer des activités le concernant en histoire des arts et à évoquer les liens qui unissent ces deux formes d’expression que sont la littérature et le cinéma.
Le travail est relié à l’objet d’étude de seconde « réalisme et naturalisme » : comment s’est opéré le choix des nouvelles à adapter ? en quoi le projet a-t-il développé selon vous des compétences de lecture chez les élèves et/ou des connaissances littéraires ?
Il a fallu sélectionner un corpus de textes courts (nouvelles, extraits de roman, poèmes narratifs …) appartenant aux mouvements précités et/ou qui relèvent de leur esthétique. Les nouvelles de Maupassant se sont imposées facilement, j’ai retenu aussi des extraits de Choses vues d’Hugo, des textes extraits du Spleen de Paris ou d’un roman d’Octave Mirbeau. Il a fallu trouver des textes porteurs de valeur (s), c’est-à-dire qui contiennent un récit présentant des situations ou des réflexions dans lesquelles les principes moraux et sociaux de notre société sont évoqués explicitement ou implicitement. Le texte, sans rappeler ces valeurs, invite le lecteur à s’y référer et à interpréter le récit.
Au cours du projet, les élèves ont acquis, selon moi, une véritable autonomie face aux textes et une acuité dans l’examen de ceux-ci. Avant même de commencer nous avions observé des textes et des exemples d’adaptations cinématographiques, ils avaient ainsi mesuré les écarts d’interprétation qu’offre un texte littéraire. En adaptant eux-mêmes des récits littéraires, ils ont eu à mener eux-mêmes cette réflexion : Comment et pourquoi le récit est-il construit ainsi ? Pourquoi l’auteur choisit-il ce parti pris narratif ? Quel en est l’effet ? Comment l’auteur joue-t-il sciemment de la polysémie d’un mot dans le titre de son récit ? Comment rendre compte en images de mes observations ? Comment manifester aux yeux du spectateur la situation sociale d’un personnage ?…. Ce sont des questions qui les ont animés très fréquemment.
Il peut paraître ambitieux et difficile de demander à des élèves de réaliser des courts-métrages : comment le travail s’organise-t-il et se réalise-t-il concrètement ?
Il a semblé tout d’abord assez naturel aux élèves de réaliser un court-métrage car ils ont à leur portée des moyens techniques très abordables (smartphones, tablettes…), avec lesquels ils (se) filment assez fréquemment. Néanmoins, je ne leur ai jamais caché l’ampleur du projet et ses difficultés : sa durée, les étapes successives à atteindre, la rigueur qu’il faudrait manifester dans le travail et l’organisation. Leur adhésion leur a été demandée au début du travail, sans celle-ci, nous ne nous serions pas lancés. Pour mener à bien les adaptations, nous avons utilisé une heure de cours en demi-classe tous les quinze jours même si celle-ci n’a rapidement pas suffi. Les élèves ont constitué des groupes de six ou sept membres. La prise de décisions démocratique et la répartition des rôles instaurée à chaque séance ont permis de rendre chacun d’eux responsable du projet entrepris.
Le travail s’est déroulé par étapes successives : choix du texte à adapter, rédaction du synopsis, de la note d’intention puis du scénario, planification du tournage puis montage. Les travaux ont été avancés d’une séance à l’autre par les élèves. Les possibilités offertes par le numérique ont permis la continuité et le suivi du projet grâce notamment aux documents partagés et collaboratifs présents sur un espace de stockage numérique (Google drive).
Sur le plan technique, quel matériel avez-vous utilisé ?
Les élèves se sont filmés avec leur propre matériel pour l’essentiel. J’ai prêté une caméra à un groupe mais qui a utilisé aussi un smartphone. Un autre groupe a emprunté un APN (appareil photo numérique) à une grande sœur (!). Deux autres groupes ont filmé avec le téléphone (ils ont choisi le meilleur téléphone qu’ils ont pu trouver dans le groupe). J’avais proposé aussi un APN et une caméra du lycée mais qui ont été dédaignés.
Il n’y a pas eu de problème de compatibilité de format car les élèves d’un groupe ont presque tous réalisé les prises de vue de leur adaptation avec un même outil. Je leur avais demandé avant les tournages de vérifier qu’ils étaient capables de transférer les images prises sur un ordinateur. Ils l’ont fait. Cette précaution aurait permis de gérer éventuellement les soucis de ce genre … J’avais envisagé aussi d’utiliser un programme pour convertir les fichiers que je possédais sur mon ordinateur mais nous n’en avons pas eu besoin. J’ai l’impression que les difficultés techniques liées à la prise de vue vidéo s’estompent de plus avec les matériels récents.
Pour le montage, j’ai proposé aux élèves d’utiliser Windows movie maker, un logiciel gratuit qu’ils connaissaient déjà. C’est là que quelques problèmes techniques se sont posés mais rien de très grave : le logiciel est assez simpliste, il faut prendre garde au lieu de stockage des images lorsqu’on travaille sur un projet. Si le film est trop long, l’ordinateur peut planter, tout le montage est perdu et il faut recommencer. Les ordinateurs ne sont souvent pas très puissants au CDI … Pour pallier ces difficultés, il faut travailler séquence par séquence et assembler le tout à la fin.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par l’expérience ?
Ce qui me semble essentiel à la réussite d’un tel projet consiste en plusieurs points : obtenir l’adhésion des élèves en leur présentant de manière positive mais objective le projet, prendre la mesure des moyens à sa disposition (effectifs des classes, temps, possibilités de travailler sur un espace numérique…), établir un calendrier assez précis mais aussi souple constitué d’étapes (rappeler ce calendrier très souvent aux élèves), évaluer les travaux qui jalonnent le projet, réinvestir dans le projet les travaux effectués en cours « traditionnels ». C’est grâce à ces points que les élèves se sentent particulièrement investis pour atteindre le but fixé.
Peu de problèmes techniques se posent si l’on s’en tient à des outils simples et que l’on maîtrise. Seule la phase de montage est parfois un peu plus délicate : les films doivent être assemblés par séquences séparées pour s’adapter à la puissance des ordinateurs habituellement présents dans un établissement scolaire…
Le travail est aussi relié à l’objet d’étude « genres et formes de l’argumentation » : comment avez-vous amené les élèves à réfléchir à la dimension argumentative de leurs récits ? comment l’ont-ils mise en œuvre dans leurs adaptations ?
Nous avons été inspirés par une séquence du film Le Plaisir de Max Ophüls projetée en classe dans laquelle le réalisateur fait intervenir avec malice la voix de Maupassant lui-même pour présenter l’adaptation de La Maison Tellier. Fort de l’idée que le récit filmique (comme le texte littéraire) se prête lui aussi à plusieurs interprétations, nous avons pensé que les films gagneraient à présenter aux spectateurs des clés pour mieux les comprendre. À chaque film, les élèves ont ajouté une séquence qui met clairement en lumière les idées qu’ils avaient déduites des récits adaptés. Ils se sont interrogés plus particulièrement sur les valeurs à ce moment-là. Comme le projet a couru sur une année entière, l’objet d’étude consacré aux formes de l’argumentation avait été étudié et il a semblé assez naturel de réinvestir ce qui avait été appris notamment en ce qui concerne l’argumentation directe et indirecte.
Comment les films ont-ils été diffusés, partagés, exploités ?
Les films ont été terminés en fin d’année et une projection a été organisée pour la classe avec le professeur principal. Étant donné que chacun était concentré sur la finalisation de son film, les groupes ont souvent découvert à cette occasion comment leurs camarades avaient adapté assez différemment un même texte. Mais la vie de ces films va se poursuivre cette année et dans les années à venir. Ils seront projetés dans les classes de 2nde de cette année lorsque les deux objets d’étude évoqués seront étudiés. Un projet de classes de 2ndes à « coloration cinéma » a aussi vu le jour cette année avec d’autres réalisations en vue. Il est certain que les courts-métrages réalisés constitueront des exemples de productions assez abouties.
Au final, à l’expérience du travail annuel et à la vue des productions, quels vous semblent les intérêts et les plaisirs de ce travail de (re) création ?
Avec les élèves, j’ai eu un grand plaisir de spectateur (mais je ne suis peut-être pas très objectif) à découvrir les projets terminés : les tournages se sont déroulés hors temps scolaire le plus souvent et nous avons été agréablement surpris par la qualité des images tournées et le soin pris pour parachever les films. Il m’a paru qu’en dehors des consignes et des ambitions affichées au départ, les élèves avaient fait souvent preuve de créativité en opérant certains choix techniques ou en trouvant une idée de mise en scène pertinente de manière autonome. Je me suis rendu compte qu’ils avaient su utiliser une certaine culture de l’image cinématographique ou télévisuelle.
Comme tout projet mené sur le long terme et qui aboutit, il a laissé à chacun un sentiment de satisfaction, l’idée qu’en se mobilisant on peut surmonter des difficultés et que les films étaient peut-être davantage qu’un simple projet scolaire. En fin d’année des échanges ont eu lieu avec des élèves qui doutaient et discutaient encore des choix de réalisation qu’ils avaient faits. Le projet a mêlé les bons élèves et ceux qui l’étaient moins dans une dynamique de classe très positive pour une année de découverte des exigences du lycée.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Des courts métrages d’élèves en ligne
Projet interdisciplinaire de Marc Plateau dans le Café pédagogique