Quels sont les principaux obstacles rencontrés dans l’apprentissage de la lecture ? Comment enseigner la lecture dans toutes les disciplines ? Quelles sont les spécificités de la lecture numérique ? Les conclusions de la conférence de consensus de mars 2016 du CNESCO ont été rendues mercredi 12 octobre 2016 dans une conférence virtuelle interactive organisée en partenariat avec l’Ifé/ENS de Lyon, le Réseau Canopé et l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.
Trois constats pour une conférence
Jean-Émile Gombert, président du jury de la conférence de consensus de mars 2016, et Jean Écalle, expert de l’apprentissage de la lecture, ont présenté l’état de la recherche et les conclusions concrètes proposées par le jury. La conférence virtuelle interactive était animée par Nathalie Mons, présidente du Cnesco. Elle précise que les recommandations de cette conférence 2016 s’appuient sur celles de 2003 les prolongent et les précisent. Les querelles de méthodes ont été dépassées. L’automatisation du code et l’attention portée à la compréhension sont devenus principes incontournables. On est passé du « ce qu’il ne faut pas faire » à « ce qu’il faudrait faire ».
En préambule, JE Gombert énonce trois constats de la recherche sur l’apprentissage de la lecture : le premier concerne les écarts qui se creusent de plus en plus entre élèves bons lecteurs et élèves en difficultés avec des troubles plus profonds qu’avant. Le second note que les chercheurs s’accordent à dire que les processus principaux à l’oeuvre dans les apprentissages se retrouvent peu dans les pratiques de classe. Le phénomène s’explique par trop peu d’échanges entre chercheurs et praticiens. Enfin, on constate que si la recherche et la réflexion pédagogiques se préoccupent beaucoup des débuts de l’apprentissage en lecture, il n’en n’est pas de même pour ce qui est de la continuité de cet enseignement qui devrait être pensé sur l’ensemble de la scolarité.
Les recommandations s’articulent autour de six axes.
Identifier les mots
Cette compétence se construit par différentes actions : enseigner le principe alphabétique et la capacité à analyser les mots à l’oral pour identifier les composants phonologiques. Introduire au moins une dizaine de correspondances graphèmes/phonèmes dès le début du CP pour permettre un décodage autonome. Faire régulièrement des exercices d’écriture, de lecture à haute voix. Poursuivre l’analyse des correspondances graphèmes/phonèmes et oraliser les mots écrits tant que les difficultés persistent. Construire des automatismes afin que les stratégies de lecture des mots s’installent : pour cela, associer la découverte implicite du code dans l’approche par les textes et le travail explicite de ces correspondances graphophonologiques.
Question d’un internaute : quels textes choisir début CP pour l’enseignement du code (manuels, littérature, texte écrit par le maître )?
JE Gombert Dans le choix du support, qu’il soit construit ou disponible, l’essentiel est d’être clairvoyant sur le but de l’activité et que le support soit adapté à cette activité, qu’elle soit vocabulaire, étude des phonèmes ou morphologique (chat, chaton, chats)
Développer la compréhension des différents textes
Elle doit être enseignée de façon explicite, dès la maternelle, car la complexité des processus de compréhension augmente avec celle des textes abordés. Un élément essentiel est la maîtrise du vocabulaire, dès la maternelle. À l’entrée au CP, on observe entre les élèves, des écarts qui vont jusqu’à 1000 mots. Il est normal pour un lecteur, d’être confronté à des mots inconnus dans un texte, et c’est d’ailleurs la lecture elle-même qui sera le principal vecteur de développement du vocabulaire. Mais quand un élève est très dépourvu, il ne peut pas entrer dans ce processus.
Les processus inférentiels nécessaires à la compréhension des textes doivent également faire l’objet d’un enseignement explicite. Contrairement à la compréhension orale, le langage écrit s’appréhende de façon décontextualisée et l’élève doit apprendre à discerner tout ce à quoi il renvoie de manière implicite.
Question internaute : Comment enseigner le vocabulaire en collège de façon efficace ?
J. Ecalle -JE Gombert – Les chercheurs n’ont pas encore beaucoup de données dans ce domaine. La question est pourtant récurrente. Un bon lecteur a environ 40 000 mots à sa disposition. Comment y parvenir avec les adolescents ? C’est difficile. Travailler sur les définitions des mots, les synonymes, les catégories de mots est un premier levier. Face à un texte inconnu, privilégier l’entrée par le vocabulaire qui pose problème. Mais au-delà de l’explication, la maîtrise des mots passe par leur utilisation et il importe de privilégier des dispositifs pédagogiques qui le permettent. Un autre vocabulaire qui doit être travaillé est celui des disciplines, ce qui nécessite à la fois un travail d’équipe et une implication de chaque professeur dans sa discipline.
JE Gombert « Si les briques constitutives des textes ne sont pas maîtrisées, on ne comprend pas l’ensemble de l’édifice ».
Préparer l’entrée en littérature
Entrer dans un patrimoine littéraire développe l’esprit critique citoyen. L’élève doit apprendre à identifier les différents types de textes et à réfléchir sur ses pratiques de lecture. Mettre en œuvre un travail différencié en fonction des types de textes afin de rendre l’élève capable d’avoir des objectifs de lecture différents suivant les textes fait partie des outils qui vont lui permettre d’entrer dans la littérature. L’échange, l’interaction, l’écoute des autres contribuent à installer cette culture littéraire. La classe doit être un lieu d’écoute et de parole et les lectures-plaisir que les élèves pratiquent de type BD ou Manga ne doivent pas être écartées au nom de la « Grande Littérature ».
Question internaute : « Le Dormeur du Val », c’est dépassé ?
JE Gombert :Quel beau texte, à la fois élément important de notre patrimoine et adapté à une compréhension explicite, un travail inférentiel… « Deux petits trous rouges au côté droit ».
J. Lecalle – Il est nécessaire de prendre le temps d’entrer dans les textes littéraires en tenant compte de leur vocabulaire et de leur syntaxe qui évoluent avec le temps, du contexte de l’écriture du roman, en pratiquant l’intertextualité qui met en lien des écrits de périodes différentes sur un même thème. Ces pratiques contribuent à la formation de la culture.
Lire pour apprendre
L’énoncé d’un problème c’est un texte. Un résumé d’histoire, c’est un texte. Et ils ne se traitent pas de la même façon. Si je ne maîtrise pas l’écrit, je n’ai pas accès aux connaissances et notamment celles de l’école. C’est l’aspect outil scolaire de la lecture. Les textes ont des spécificités en fonction des disciplines. Il est nécessaire que les enseignants incluent dans leur enseignement, la forme de l’écrit utilisé. Il faut se poser la question des processus de compréhension et des difficultés face aux textes documentaires.
Lire à l’heure du numérique
J. Ecalle – Il y a deux aspects du numérique à l’école : les applications, logiciels, destinés à aider à la difficulté en lecture. Il faut être prudents avec ces outils très peu validés par la recherche. Et puis il y a l’utilisation du numérique pour aller chercher des informations, qui met en œuvre des habiletés complexes que les élèves doivent développer. Cette lecture non linéaire est cognitivement plus complexe que la lecture linéaire. Elle demande davantage de flexibilité et fait appel aux fonctions exécutives : savoir inhiber une information, passer de l’une à l’autre, planifier.
JE Gombert- Contrairement à ce qui est dit, les élèves, confrontés à leurs outils numériques, lisent davantage maintenant que naguère. Mais c’est au détriment de la lecture de textes longs et c’est là que réside la perte. Ils lisent plus, mais différemment.
J. Ecalle – Au-delà de l’efficacité, il faut examiner l’aspect ergonomique de ces outils numériques. Ils doivent être utilisables facilement par l’enseignant et l’élève, être intégrés dans leurs pratiques respectives. Ce n’est pas magique et quand il y a formation de l’enseignant, l’insertion de l’outil numérique dans la pédagogie est beaucoup plus efficace.
Prendre en compte la diversité des élèves
C’est transversal. Quand un élève est en difficulté avec l’écrit, il ne s’agit pas de faire différemment avec lui. Il faut faire de façon plus intense, clarifier la tâche en la morcelant. L’accès aux compétences en lecture et de compréhension doit être un objectif prioritaire de tous les élèves y compris ceux en difficulté.
La diversité des élèves implique une variété des difficultés dont les profils doivent être établis. Les principaux obstacles rencontrés dans l’apprentissage de la lecture doivent être identifiés pour proposer des démarches et des outils adaptés, notamment pour les élèves présentant des troubles spécifiques.
Former les professionnels pour qu’ils maîtrisent la mise en œuvre de l’apprentissage de la lecture est un incontournable. Il y a des progrès à faire. Le dispositif PMQC est une voie intéressante qu’il faut poursuivre.
Michèle Vannini