Marjorie Lévêque est webdomina des rubriques Latin et Grec du site du Collège Léonard de Vinci de Carvin, dans le Pas-de-Calais
Nous renouons ce mois-ci avec les interviews d’enseignants de langues anciennes qui s’illustrent sur la toile et nous avons choisi, pour ce numéro, de poser quelques questions à Marjorie Lévêque, auteur, entre autres, des magnifiques pages Internet consacrées au latin et au grec du très beau site d’établissement du collège Léonard de Vinci.
On trouvera, sur ses pages réalisées avec beaucoup de goût et de maîtrise informatique, de nombreuses leçons de grammaire et points de civilisation accompagnés d’exercices auto-corrigés pour réviser, mais aussi une rubrique divertissement et l’actualité très riche de la section de langues anciennes qui accueille d’ailleurs actuellement, du 12 novembre au 10 décembre, l’exposition itinérante « les voies romains dans le Pas-de-Calais ».
CP – Bonjour Marjorie et merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions pour le Café Pédagogique langues anciennes. Tout d’abord, pourriez-vous nous dire quelques mots de vous et de votre cursus ?
ML- Bonjour. J’ai 30 ans, et j’enseigne depuis 6 ans. Ma première affectation a été le collège Léonard de Vinci de Carvin, une ville du bassin minier du Pas-De-Calais. On me l’avait décrit comme un collège REP terrible, en réalité, c’est vraiment un établissement très agréable, assez beau, avec des élèves relativement volontaires et respectueux, leur grave défaut étant de ne pas travailler à la maison, ce qu’il faut combattre tous les jours… Je me plais beaucoup dans l’enseignement du latin et du grec au collège.
J’ai la chance d’avoir connu des équipes administratives favorables aux langues anciennes. Depuis deux ans par exemple, j’ai le bonheur d’avoir une vraie classe d’hellénistes. Ils ne sont que 8 cette année, ils étaient 13 l’an dernier… J’ai souvent de l’écho quand je tente de monter des projets. Depuis trois ans, nous organisons une journée de compétition entre les latinistes de trois établissements du bassin minier par exemple.
Je viens d’une famille assez modeste, des parents ouvriers, qui m’ont toujours encouragés à travailler, mais pour qui les langues anciennes, c’était vraiment un drôle de choix. J’ai donc appris jeune à argumenter sur ma passion « atypique » des langues anciennes. Après la classe préparatoire, j’ai été étudiante à l’université Lille III en lettres classiques. J’étais peu assidue aux cours car impliquée dans beaucoup d’activités (j’étais surveillante, correspondante de presse, je traversais la France et l’Europe pour aller voir des concerts…), mais j’ai eu le CAPES de lettres classiques en 2002. Depuis l’an dernier, j’ai repris les études, je suis inscrite en deuxième année de licence d’histoire de l’art/ archéologie, et je suis des cours de grec moderne. Je me sens ainsi plus à l’aise sur la question de l’art.
CP – Nous avons remarqué un petit détail sur votre site : seule la matière « grec » bénéficie d’une majuscule à son initiale, et pas le latin. Est-ce seulement une faute de frappe ou est-ce à dire que vous êtes plus helléniste que latiniste comme beaucoup d’antiquisants ?
ML – Simple erreur de frappe, mais peut-être révélatrice du bonheur que c’est d’avoir une vraie classe de grec ancien. J’ai arrêté de pratiquer l’ECLA depuis (j’avoue que j’étais partisane de l’ECLA, mais dans la pratique, j’avais du mal à m’en sortir).
CP – D’où vous est venue l’idée de créer votre propre site web ? / Quels étaient vos objectifs au début de la création du site ?
ML – J’ai proposé de mettre en place le site du collège il y a 2 ou 3 ans je pense. J’estime important d’avoir une « vitrine web » pour l’établissement, pour les parents déjà, qui voient rarement ce qui s’y passe, où ne le voient qu’à travers ce que les enfants peuvent en dire (ou pas…). Pendant deux ans, je l’ai tenu à jour pour expliquer les différents projets, parler de l’actualité de l’établissement. L’an passé, j’ai commencé à y mettre des exercices pour mes élèves, suivie par les professeurs de mathématiques. Ces exercices sont souvent là pour les aider à réviser à la maison. A la rentrée, nous avons aussi mis en place le cahier de texte en ligne, où je verse tous mes cours, et mets des liens vers des exercices de révisions.
J’ai surtout mis un point d’honneur à proposer de nombreux exercices à mes hellénistes. Ils adorent ça, et peuvent ainsi prolonger le travail à la maison.
L’an passé, nous avons édité un vrai yearbook à l’américaine en reprenant la trame de l’année postée sur le site, ça a été un beau succès! Cette année, je tente d’animer un club presse, où les élèves mettent en ligne des articles, à partir du second trimestre, nous entamerons le travail de création du yearbook, qui est en étroite liaison avec le site du collège.
CP – Quel était, lorsque vous avez décidé de créer votre propre site web, votre degré de maîtrise informatique ?
Mon degré de maîtrise informatique est sûrement un peu plus élevé que celui de la majorité des collègues. J’ai eu mon premier ordinateur à 12 ans, depuis je pianote avec plaisir sur des claviers. Je me suis impliquée dans la création de site web en 2000 (depuis 2001, je suis la webmastrice du site www.radiohead.fr ), d’abord en html, puis en php. Depuis cette période donc, je bidouille seule chez moi, et j’apprends petit à petit des langages informatiques, qui finalement ont beaucoup à voir avec le fonctionnement des langues anciennes, mais aussi l’utilisation de divers logiciels, de retouche image (photoshop, photophiltre), de codage, de PAO (scribus…) Je sais donc aujourd’hui parfaitement mettre en place des sites internet, les modifier pour qu’ils fonctionnent à ma guise, leur donner l’apparence que je souhaite, et créer des plaquettes, des maquettes. Je suis mariée à un illustrateur, ça aide… J’ai à mon actif la création d’une bonne dizaine de sites internet aujourd’hui.
CP – Compte tenu de la qualité de réalisation de votre site, on a forcément envie de vous demander si vous avez bénéficié de formations informatiques particulières ?
ML – Aucune, je suis parfaitement autodidacte…
CP – La fraîcheur et la variété des documents que vous partagez sur la toile nous incite à penser que vous passez beaucoup de temps sur le web. Qu’en est-il en réalité ?
ML – Bien sûr, je passe beaucoup de temps sur l’Internet, peut-être trop d’ailleurs… Pas essentiellement pour les langues anciennes, mais déjà pour gérer les sites musicaux, pour m’informer, et ensuite pour essayer d’enrichir mes cours, ou de donner une forme acceptable à mes idées de séquences. Mes cours sont tous informatisés, et je les enrichis constamment.
CP – Quels sont vos 5 sites web ou blog langues anciennes préférés ?
ML – 1. Latine Loquere, belle source de documents sur l’antiquité. Je partage complètement la philosophie du site : proposer gratuitement le maximum de choses.
(http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/index.html)
2. Multamedia, je me retrouve dans la démarche de ce professeur (http://multamedia.free.fr/)
3. les sites académiques, où l’on trouve vraiment des idées de séquences très intéressantes, en particulier MENAPIA (mon académie : http://www2b.ac-lille.fr/langues-anciennes/accueil.html), les sites de l’académie de Versailles et de Nancy.
4. Musagora (http://www.musagora.education.fr/)
5. Le portique, le webpedagogique et depuis peu les news de l’antic’ (http://www.ac-strasbourg.fr/sections/enseignements/secondaire/pedagogie/[…])
où l’on trouve toute l’actualité de l’antiquité!
et en bonus je rajoute ça :
http://www.fleche.org/anti-latin/index2.htm
ça fait réfléchir sur nos pratiques.
CP – Quel est selon vous l’apport des TIC à l’apprentissage des langues anciennes ?
ML – En premier lieu, les TIC font des langues anciennes une matière comme les autres : où l’on utilise aussi l’informatique, où l’on varie les activités…
CP- La création de ce site Internet dédié aux langues anciennes a-t-elle changé quelque chose dans vos rapports avec vos élèves / vos collègues ?
ML – Cette année, on m’a demandé d’animer dans l’établissement une formation à l’utilisation du cahier de texte en ligne et du site Internet du collège pour tous les collègues. je conseille donc régulièrement, conjointement avec le responsable TICE mes collègues, je les encourage à poster, à tester… Je leur montre les chiffres de fréquentation du site, de leurs articles, qui sont de plus en plus encourageants…
Quant à mes élèves, ils visitent régulièrement les pages, font les exercices, ils me donnent des conseils, me corrigent, me font part de leurs aspirations.
CP – Quels logiciels utilisez-vous pour la création de votre site web ?
ML – Je base mes sites sur le CMS libre SPIP, largement préconisé et utilisé pour la mise en place de site Internet scolaires.
Pour les retoucher, j’utilise le bloc note (pour retoucher le langage html ou php), photoshop pour la retouche d’image.
Pour les quizz, j’utilise tous les générateurs de quizz proposés gratuitement sur internet : le plugin jeux de spip, hotpotatoes (facile, mais je n’aime pas l’apparence austère des exercices), netquizz, Jclic…
CP – Disposez-vous d’une aide pour la mise en ligne de vos créations ou êtes-vous seule à travailler sur le site ?
ML – Je suis la webmatrice, j’ai donc créé le site, son architecture, son look, je mets en ligne la majorité des articles, mais de plus en plus, mes collègues s’y mettent. Chaque matière a son « mini site » et peut y mettre en ligne des articles. On trouve au moins un article dans la plupart des matières. Les professeurs des matières scientifiques sont toutefois les plus actifs.
CP – Quelles difficultés rencontrez-vous pour la mise en ligne de vos documents ?
ML – Les logiciels générateurs de quiz intègrent souvent difficilement les caractères grecs anciens, on peut parfois contourner, mais quand il y a des accents, des esprits… ça se corse, il faut mettre les mains dans le code html…
L’autre souci est la possibilité pour les élèves de taper les caractères grecs au clavier…
CP – Utilisez-vous également l’informatique en cours de langues anciennes et si oui, pour quels types de travaux ?
ML – Etonnement, je n’emmène pas si souvent que ça mes élèves de langues anciennes en salle pupitre, ponctuellement, pour une recherche ou une activité particulière. Trois heures de cours par semaine, ça passe vite, et je dois faire des choix, de plus j’ai constaté que le plus souvent, ils cliquent très vite pour le plaisir de cliquer, et pas tellement pour apprendre des choses. Toute visite en salle pupitre est donc réfléchie. Je ne vois pas ça comme un plus, un complément ou du ludique mais comme un cours à part entière.
Nous allons en salle pupitre pour faire la visite virtuelle d’une domus romaine, entendre des poèmes latins lus par des professeurs d’université américains (http://www.fas.harvard.edu/~classics/poetry_and_prose/poetry.html) pour constater la prosodie, et essayer de faire de même, faire des exercices de grammaire, réviser les déclinaisons, travailler sur une liste d’animaux fantastique (bestiaire antique), apprendre l’alphabet grec, apprendre à utiliser internet pour trouver une liste de vocabulaire, écouter des reportages (2000 ans d’histoire), regarder le travail d’autres élèves latinistes, nous visitons l’acropole grâce à google earth, lire des textes antiques en latin, en grec, ou en français…
CP – Sur votre site, on peut également découvrir les voyages scolaires que vous avez organisés pour vos élèves. Pour vous quelle est l’utilité des voyages d’étude pour les classes de latin ou de grec ?
ML – Faire une sortie ciblée permet de rencontrer d’autres types d’interlocuteurs que le professeur pour parler des langues anciennes, de montrer que le latin ou le grec ancien, ça n’est pas que du domaine de l’éducation nationale, qu’il n’y a pas que les élèves que ça concerne, que d’autres gens, divers et variés dans leur profil et dans leur intérêt visitent les musée ou sites antiques. Nous sommes par exemple allés au musée de Bavay l’an passé, c’est dans la région, (et il est important de parler du patrimoine local), et les archéologues qui animent le musée ont vraiment travaillé sur l’animation pédagogique. Les élèves ont adoré. Idem pour le musée de Bruxelles, bien plus calme que le Louvre, et où les animatrices ont su faire passer beaucoup de connaissances en amusant les élèves. Ils veulent absolument y retourner, car ils sont frustrés de n’avoir pas pu visiter toutes les sections du musée.
La Grèce l’an dernier a été mon premier grand voyage. Nous sommes partis avec 24 élèves, dont 12 hellénistes. Avant le voyage, le grec était pour eux une langue « scolaire », c’est devenu ensuite une langue vivante, un patrimoine existant pour de vrai, et non pas pour des livres.
CP – Quels prolongements ou remaniements envisagez-vous d’apporter à votre site ?
ML – Je me dis qu’il faudrait que j’implique les élèves dans la section latin, que je leur fasse écrire des articles, taper des exposés…
CP – Comment voyez-vous l’avenir des langues anciennes dans les prochaines années et compte tenu de la réforme des lycées à venir ?
ML – Difficile de le dire. Je déplore surtout le manque de cohésion entre les collègues du lycée et ceux du collège. Souvent, on ne s’entend pas, comme si nous ne travaillions pas dans le même but.
Je sais que c’est de plus en plus difficile d’avoir des élèves latinistes en lycée, j’ai moi-même beaucoup de mal à convaincre mes élèves de continuer… Je pense que l’enseignement du grec ancien va disparaître ou devenir le fait de quelques professeurs chanceux (soit parce qu’ils auront des principaux qui osent encore y croire, soit parce qu’ils ont un public favorable), et que le latin va prendre cette voie aussi… sauf s’il continue à innover, et ça j’y crois encore.
CP – Quels sont vos auteurs latins et/ou grecs favoris ?
ML – J’aime beaucoup les auteurs de théâtre ou de romans antiques, plus en phase avec ce que le latin ou le grec devaient être, plus proche du peuple, légèrement moins des élites.
CP – Avant de nous quitter, pourriez-vous conseiller à nos lecteurs un livre, un cd ou un film que vous appréciez particulièrement ?
ML – Ma dernière découverte, en Angleterre, un « guide pour soldat romain » édité par USBORNE (non traduit en français) : « Roman Soldier’s handbook » Ça me laisse admirative, c’est à la fois ludique, on y apprend plein de choses, c’est joliment illustré, pas cher, et ça plairait aux élèves! J’adore ce genre de livres qui met le latin et sa culture au service de la pédagogique d’une manière agréable. je suis très sensible aux livres jeunesse, qui peuvent convaincre les jeunes. C’est sur les enfants qu’il faut porter nos efforts, après tout, ce sont nos futurs élèves, au même titre que vers les spécialistes que nous sommes.
CP – Merci beaucoup Marjorie Lévêque d’avoir répondu à toutes nos questions. Nous rappelons l’adresse de votre site et de certaines de vos réalisations :
Le site d’établissement. Pour les langues anciennes, utiliser le menu « matières », latin et grec :
http://www.collegedevinci.com/
Une découverte interactive de la maison et de la vie des riches romains : http://www.collegedevinci.com/Visitons-la-maison-d-un-riche
Un exercice sur les tableaux classiques représentant les héros et héroïnes des débuts de la République : Coclès, Clélie et Scaevola :
http://www.collegedevinci.com/Horatius-Clelie-ou-Scaevola