Dans la mobilisation de l’Université, un des points d’achoppements persistants est celui de la formation et du recrutement des enseignants, dans le cadre de la masterisation. Lancée par un appel le 11 janvier, à l’initiative de Sylvie Plane, Claire Pontais et André Ouzoulias, la coordination nationale des enseignants d’IUFM tenait samedi une seconde réunion nationale, au lendemain de la coordination nationale des universités. 19 IUFM y étaient représentés, mais étaient aussi présents des universitaires venus faire le lien avec le mouvement global de l’Université, inquiets pour l’avenir. Point de suspension ?
Engager un travail de fond pour penser la formation, dans la sérénité. Ouvrant la journée, Sylvie Plane n’hésite pas à poser l’ambition de dépasser les urgences, le calendrier… Belle ambition. Quelle poursuite de l’action, mais aussi quelles propositions, ce sont les deux urgences du jour, présentées par Claire Pontais. « Il faut à la fois mener la lutte et la réflexion » insiste Marie-France Carnus, de Toulouse.
En effet, dans la plupart des académies, les maquettes de mastère PE sont bloquées, soit par l’IUFM soit par l’Université. En maths, en sciences, dans d’autres disciplines, une proportion conséquente l’est aussi. Pour l’instant, X. Darcos continue de faire la sourde oreille, bloqué sur ses déclarations du 12 février : « je définis les concours dont j’ai besoin ». Sous-endendu : la formation professionnelle sera faite en interne après le concours, en T1 et en T2, par compagnonnage. Le cadrage national des stages, le financement (quid du MEN et du MESR ?) est inconnu.
Georges Molinié, président de Paris-Sorbonne, un de ceux qui a lancé la fronde des présidents d’université, prend brièvement la parole : « Nous ne pouvons pas accepter la disparition du statut d’élève-enseignant stagiaire. Si le ministre veut le supprimer, ce n’est pas que pour faire des économies, c’est pour mettre en place la vision Wall-Street vendue par l’Elysée : une fonction publique recrutée sur liste d’aptitude, avec des gens qu’on jette quand on n’en n’a plus besoin ». Pour lui, si les concours sont organisés en milieu d’année de M2, « on risque d’avoir à la fois des concours au rabais, avec peu d’exigence disciplinaire, et des masters au rabais ». C’est pour lui le plus grand coup porté à la formation de l’Ecole depuis 65 ans. « Si d’ici la semaine prochaine, nous n’avons pas un signe clair de l’Elysée ou du MEN, on va vers une situation type CPE dans les universités. Si le gouvernement joue le pourrissement, il doit savoir qu’il risque en même temps la radicalisation, si c’est le seul moyen qu’il nous reste ».
Il rejoint donc la position majoritaire de l’assemblée : il faut qu’une formation ait lieu l’an prochain, pour qu’on puisse recruter des gens en limitant la casse pour les étudiants. Mais aucune ligne « transitoire » n’est pour lui acceptable…
Patrick Demougin, responsable d’IUFM, insiste sur les contradictions de l’appareil d’état : «Les contradictions, les mise en concurrence entre IUFM et les différentes UFR est un mode de gouvernance qui se retourne aujourd’hui contre ceux qui l’ont mis en œuvre, prisonniers de leurs propres contradictions, aujourd’hui exacerbées, qui empêchent de faire fonctionner la machine, tout simplement. Un ministre qui ne prend pas de décision, comme X. Darcos le fait aujourd’hui, est un ministre qui ne fait pas son travail. »
Comment les dépasser ? « On sait que nous ne pensons pas tous la même chose sur ce que nous voulons, dans la formation et dans les concours. Les contradictions sont à régler aussi en notre sein, au-delà de l’empathie d’aujourd’hui.. »
Jean-Louis Auduc revient sur la nécessité de maintenir des structures autonomes de formation pour les écoles professionnelles, que ce soit les IUFM ou les IUT. « C’est tout simplement la privatisation de la formation » poursuit Claire Pontais, au vu des propos du ministre.
Aline Becker, secrétaire nationale du SNUipp, insiste sur « le très grand coup porté sur la formation » par la contre-réforme Darcos, qui risque de briser le métier d’enseignant. Elle insiste sur la « formation en biseau » revendiquée par son syndicat, garantie par un diplôme et un concours national qui fonde actuellement le lien organique entre l’Etat et ses agents, avec des étudiants prérecrutés, avec le statut de fonctionnaire-stagiaire. Elle met en avant la place essentielle des IMF en tant que formateurs. Une maître-formateur présente les conséquences qu’aurait la réforme sur la formation continue, si les stages de formation professionnelle des PE stagiaires étaient amputés. Un PE1 de Paris met l’accent sur la baisse du nombre de postes au concours, signe de la tentation de l’Etat de recruter des enseignants sans statut. Françoise Salvadori, représentante d’un collectif de formateurs au CAPES de SVT, rend compte d’un échange au ministère où son interlocuteur reconnaissait, pour l’avenir proche, la perspective d’ « inversion de la proportion entre les titulaires et les vacataires ». Tout un programme.
Christian Chevallier, pour l’UNSA, défend le principe de la formation « par alternance ». « 108h, ça ne passe pas. Le recrutement après 5 ou 6 ans d’université, c’est impossible. Il faut défendre les écoles intégrées, lieu de formation unique pour tous les enseignants, répartis dans les départements, garantissant un potentiel pour la formation continue. Là dessus, les « mesures transitoires » ne sont pas acceptables, ne serait-ce que parce qu’ils ne parlent ni des PE, ni des CPE, ni des profs d’EPS… ».
Jean-Jacques Hazan, président la FCPE, fait l’unanimité : « Nous avons été très opposés aux propositions de réformes de la formation, au nom du fait de la nécessité pour les enseignants d’ête mieux formés à prendre en charge les difficultés des élèves, mais surtout par ce qu’elle contribuait encore à disloquer ce qui fait la base de la République, l’Ecole, en la dénigrant, en minimisant ses réussites, en diminuant les heures d’enseignement, en laissant croire que le soutien pouvait être organisé en dehors de la classe, et aujourd’hui en cassant ce qui fait la culture commune des enseignants, la formation. C’est une brique essentielle de l’ouvrage ministériel, malheureusement cohérent. Les parents n’ont pas l’intention de plier. »
C’est l’intervention de Patrick Baranger, président de la conférence des IUFM, fait remuer la salle, une part de la salle pensant que la conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM) n’a pas assez « joué collectif », pas assez pris position sur la mobilisation :
« Nous ne savons plus tellement comment nous défendre. Lorsque Fillon nous a présenté le deal entre les écoles sous la coupe des Recteurs, et l’intégration dans l’Université, nous avons préféré l’autonomie à la caporalisation. Mais ce choix a entraîné des menaces sur nos moyens. Nous n’avons peut-être pas assez mobilisé les enseignants d’IUFM sur cette question. En juin 2008, la réaction des IUFM et des syndicats du second degré n’a dépassé le stade du poli, alors qu’on était face à la mort des IUFM, pas par décret, mais en manipulant les autres composantes de l’université pour faire le travail. Ce risque n’est pas écarté. A cette époque, le discours du MEN étair de rester sur le strict recrutement disciplinaire. Nous avons eu comme stratégie de sauver la dimension professionnelle de la formation, par l’alternance, par des masters professionnels qui puissent permettre d’inventer un cursus spécifique, notamment pour les PE. Certains d’entre nous (directeurs d’IUFM) ont été sur la position de faire des maquettes des préparation aux concours, puisqu’il y avait des concours. Sans quoi, on court un risque mortel, par la privatisation de la formation ».
En accord avec la motion issue de la coordination nationale des universités, plusieurs textes seront votés par l’assemblée, parfois avec des difficultés à faire consensus, s’opposant à l’appauvrissement de la formation, à la fin de la formation en alternance rémunérée, dénonçant une atteinte à la démocratisation du métier d’enseignant, le renforcement du recrutement d’enseignants hors concours, et plus globalement une atteinte au statut de la fonction publique d’état. L’assemblée exige le retrait immédiat de la réforme, le maintien des IUFM, en tant qu’école professionnelle, avec leur potentiel de formation et de recherche, le maintien des concours et des préparations pour l’année à venir, la tenue d’Etats Généraux, des postes aux concours à la hauteur des besoins, de la maternelle à l’université.
Elle appelle également les IUFM et les universités à développer dès à présent un système de pré-inscription prévisionnel aux concours, dans le but de médiatiser la demande des étudiants d’avoir une visibilité sur leur avenir. « C’est même légal, souligne un intervenant, puisque à l’heure actuelle, les communiqués de presse du ministre ne remplacent pas encore la loi, qui continue de nous régir, selon les plans de formation et les contrats interministériels en vigueur ».
Quel avenir pour la mobilisation ?Si certaines sont encore en vacances, d’autres sont en pleine action : Caen, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nantes, Rennes, Toulouse, Bordeaux, Créteil, Versailles, Paris où on multiplie les « happenings » et les « freezings ». « On essaie d’être imaginatifs » explique une représentante de Toulouse, insistant sur la convergence nécessaire entre les enseignants, les ATOSS, les usagers. Blocages symboliques, pique-niques, parrainages entre écoles et professeurs stagiaires, nuits revendicatives, cours sur les places publiques, envahissements, manifestations se succèdent…
Mercredi 11 mars, l’appel à la mobilisation sera un test sur les capacités des IUFM, de leurs étudiants et de leurs personnels à poursuivre et amplifier la mobilisation.
Pour la coordination des IUFM, il restera, pour la prochaine fois peut-être, le travail sur le fond… En effet, les uns et les autres se sont gardé d’aborder ce qui fâche : dans les revendications des opposants à la masterisation à la sauce Darcos, certains réclament plus de professionnalisation, de rapport avec le métier, quand d’autres réclament au contraire de centrer les concours sur du strictement disciplinaire…
« Le ministère cherche toujours à cliver ses opposants » a rappellé opportunément un intervenant appelant à ne pas négocier des demi-mesures face à un pouvoir capable de jouer le pourissement, devant lequel le mouvement social n’est pas toujours armé. Pas sûr que certains ne soient pas prêt à lui donner un coup de main, et pas forcément ceux qu’on montre du doigt : quand la tension monte, on est souvent tenté de penser que seule sa position est digne de foi… « Gardons notre énergie pour lutter contre notre ennemi commun » avait osé demander P. Baranger. « Les IUFM, les syndicats, les personnels sont-ils convaincus qu’on peut gagner le retrait de décret sur la formation ? » ont demandé plusieurs intervenants. Réponse dans les jours à venir, sur le terrain. L’assemblée s’est quittée en promettant d’y jeter toutes ses forces.