C’est une décision historique et un soulagement. Annoncée par E Macron le 12 mars au soir, la fermeture de toutes les écoles et tous les établissements scolaires a été commentée un peu plus tard par JM Blanquer. Pour le ministre, tout est prêt : « nous y sommes préparés ». Mais pourquoi cette fermeture ? Que vont faire les enseignants et les élèves ? Est-on vraiment prêt ?
Un moment historique
Le moment est historique. Jamais on n’a fermé toutes les écoles et les établissements scolaires en France, nous confirme l’historien Claude Lelièvre. En 1968, les fermetures avaient été locales et jamais totales. Là c’est l’Etat, par une décision présidentielle, qui ferme totalement toutes les antennes du système éducatif. 12 millions d’élèves, auxquels il faut ajouter les étudiants et les enfants des crèches, resteront chez eux à partir de lundi.
Le président de la République justifie la fermeture par « la plus grave crise sanitaire depuis un siècle », ce qui renvoie à la « grippe espagnole » de 1917. Il s’agit de freiner l’épidémie et « gagner du temps ». Dans cette perspective, les écoles, collèges, lycées, universités et crèches sont fermés à partir de lundi. Un service de garde sera mis en place pour les enfants des personnels de santé et de sécurité mais E Macron n’a pas précisé son organisation.
Pour JM BLanquer, qui s’est exprimé un peu plus tard, la fermeture des écoles a lieu « jusqu’à nouvel ordre ». Mais le ministre estime que c’est sans doute jusqu’aux vacances de printemps. Les concours et examens seront maintenus « au cas par cas ».
Un soulagement
Depuis 48 heures, la tension montait dans les établissements. Les enseignants étaient bien conscients de la prolifération du virus et d’être en première ligne face au risque sanitaire. Ils ont vécu ces derniers jours la valse habituelle des ordres et contrordres, sauf que cette fois ci on jouait avec leur vie. Certaines instructions ont paru incompréhensibles. Par exemple demander aux enseignants vivant dans les clusters d’enseigner dans les établissements hors clusters. C’était prendre le risque de faciliter la propagation de la maladie simplement faute de remplaçants. Ailleurs des établissements étaient maintenus ouverts alors que des élèves ou des enseignants étaient infectés. On a vu se multiplier les cas d’utilisation du droit de retrait. Le cas des enseignants malades ou à risques n’avait pas été nettement réglé, donnant l’impression que la vie d’un enseignant ne vaut pas bien cher aux yeux de leur ministre.
Les enseignants ont vu aussi les fermetures se multiplier autour de la France. Finalement la France est le 27eme pays à fermer totalement ses écoles. Des études étrangères ont mis en doute les communiqués officiels rassurants. Thomas Pueyo, par exemple, annonce que le nombre réel de personnes porteuses du virus peut déjà concerner 100 000 personnes en France. On est très loin des quelques milliers de cas officiels. Tout montre que le pays suit le chemin de l’Italie avec quelques jours de retard.
La décision de fermeture est incontestablement la bonne décision. Et elle est prise au dernier moment où elle peut avoir un impact sur la propagation du virus.
C’est une décision incontournable mais courageuse. La fermeture a un coût très important quand elle est complète du fait des journées de travail perdues. Selon une étude du Haut Conseil de la Santé Publique de 2012, le cout total peut atteindre jusqu’à 6% de PIB. Ce coût s’ajoute aux autres effets économiques négatifs de la pandémie. Les foyers sont aussi inégaux devant ce problème, les plus défavorisés ayant le plus de difficulté à s’arrêter pour garder les enfants.
Fermer les écoles ça sert à quoi ?
Pourquoi fermer les écoles ? Cette question difficile a fait l’objet d’une étude approfondie par le Haut Conseil de la Santé publique en 2012. Ce que montre l’étude c’est que les enfants sont bien des auxiliaires très actifs de la pandémie. « Les enfants jouent un rôle particulièrement important dans la transmission de la grippe ; ils sont plus réceptifs à l’infection que les adultes, sont responsables de plus de cas secondaires dans les foyers que les adultes, ont un portage viral plus important et prolongé, « maîtrisent » beaucoup moins leurs sécrétions respiratoires, et sont en contact étroit avec les autres enfants à l’école, favorisant ainsi les transmissions », écrit le HCSP. « L’école constitue une zone d’amplification de la grippe ». Même si les enfants sont peu atteints par le virus dans l’épisode actuel, ils gardent toute leurs capacités à le propager.
« Les stratégies reposant sur des mesures (de fermeture) autour des cas identifiées sont intéressantes en début de pandémie pour retarder la diffusion du virus sur le territoire mais deviennent insuffisantes quand cette circulation est avérée », estime le HCSP. Ce qu’on peut attendre d’une fermeture générale c’est de gagner du temps et peut-être de diminuer le nombre de malades. Ce que montre l’étude du HCSP c’est que « l’impact de la fermeture des écoles ne concerne pas que les enfants d’âge scolaire : 66 % des cas évités sont hors du groupe d’âge scolaire (qui représente 20 % de la population) ». Fermer les écoles c’est diminuer le risque de propagation dans l’ensemble de la population. Gagner du temps permet d’étaler le nombre de malades et peut éviter d’engorger le système de soins ce qui va être maintenant le principal problème.
Enseignants et élèves ne sont pas en vacances
La fermeture pour être efficace doit être préparée. La fermeture des écoles n’est efficace que si on évite que les enfants se regroupent en dehors de l’école. Car il est bien difficile de maintenir les enfants enfermés à la maison s’ils n’ont rien à faire. L’étude du HCSP montre que, faute de travail, ils peuvent relancer l’épidémie dans des lieux inattendus (magasins, parcs par exemple). Il faut donc occuper les enfants ce qui est la vraie raison de la mise en place la « continuité pédagogique » évoquée par le ministre. Sinon il suffisait d’avancer les vacances. C’est aussi ce qu’a martelé JM BLanquer le 12 mars : « la période qui s’ouvre n’est pas une période où les enfants ne doivent pas travailler ».
Une circulaire publiée au BO du 5 mars charge les enseignants et les chefs d’établissement de la responsabilité de la continuité pédagogique. Qu’il s’agisse des cas d’élèves éloignés temporairement de l’école ou des fermetures d’écoles ou d’établissements, » le lien éducatif et pédagogique doit être maintenu ». Ce sont les enseignants qui sont chargés de ce travail. Mais ce sont les directeurs d’école et les chefs d’établissement qui doivent l’organiser.
» Le directeur d’école ou le chef d’établissement concerné veillera à informer, aussi tôt que possible, les familles des modalités de continuité pédagogique.. Afin de maintenir la régularité des apprentissages et de permettre une organisation optimale des services, le directeur d’école ou le chef d’établissement concerné pourra, le cas échéant, en fonction du nombre de classes virtuelles et sur la base de l’emploi du temps ordinaire des élèves, préciser les horaires des classes virtuelles ainsi mises en place, les professeurs et les disciplines associées ». Dans ce texte, les directeurs sont mis aux commandes comme les chefs d’établissement. Or ils ne sont pas les supérieurs hiérarchiques des professeurs des écoles.
Quels outils utiliser ? » Plusieurs modes d’apprentissage à distance complémentaires peuvent être activés, notamment par des outils numériques », dit la circulaire. Elle recommande La Classe à la maison du Cned et sa classe virtuelle. » Pour communiquer avec les familles, la circulaire évoque les ENT et les messageries électroniques.
Est-on réellement prêt ?
Le 12 mars, JM Blanquer se voulait rassurant. « Nous y sommes préparés », a dit le ministre. « Depuis plusieurs semaines on a mis en place les mécanismes de la continuité administrative et pédagogique ». JM Blanquer cite le Cned et La Classe à la maison avec sa classe virtuelle.
Pourtant la circulaire du 5 mars évoque le cas des familles sans internet. « Pour les élèves ne disposant pas d’un accès à Internet, les professeurs, les directeurs d’école et les chefs d’établissement veilleront à préparer un ensemble de documents et propositions de sujets à étudier et de travaux à réaliser, adaptés à la situation d’un accompagnement en famille ». JM Blanquer promet de leur prêter du matériel mais on en sait pas encore par quel moyen.
Le fond du problème n’est pas là. Enseigner à distance ne s’improvise pas. Or on improvise. Si dans le second degré les élèves et les enseignants connaissent leur ENT, ce n’est pas le cas dans le premier degré où ils sont absents. En fait on a perdu le temps qui aurait pu être utilisé pour familiariser les élèves et les enseignants avec les outils du Cned. Comment demander aux enfants de découvrir seuls un outil jamais utilisé en classe ?
La seule chose qui a pu être anticipé c’est la recherche des adresses mail des parents d’élèves souvent e catastrophe. Dans l’Oise, département où les écoles ont été fermées en premier et où le Café pédagogique a rencontré plusieurs directeurs, les directeurs qui avaient mis en place une plateforme du marché s’en sont mieux sortis. Les autres, beaucoup plus nombreux, ont eu beaucoup de mal pour joindre tous les parents.
Ensuite ils ont du suivre des formations par visioconférence aux outils du Cned. Mais comment transmettre cela aux enseignants et aux familles ? De fait dans l’Oise comme dans le Bas Rhin, les enseignants ont le plus souvent recours aux méthodes qui sont accessibles à tous les parents. Ils préparent des photocopies envoyées par la poste dans les familles.
« Il ne faut pas leurrer les familles, on ne peut pas parler de continuité pédagogique comme si on avançait dans le programme. On créerait des inégalités si on utilisait la classe virtuelle. Les enseignants feront au mieux mais on ne peut pas promettre plus », estime F Popineau. L’objectif de la fermeture reste que les enfants du premier degré soient occupés. Dans le second degré la situation est meilleure dans la connaissance des outils et l’urgence des examens rend l’objectif plus élevé. Mais un véritable enseignement à distance ne s’improvise pas. Concevoir un cours sur des sujets neufs à distance est un vrai challenge que peu d’enseignants pourront relever.
Blanquer contredit
En attendant, JM Blanquer paye le prix politique de la décision. Il venait tout juste de dire le 12 mars que la fermeture des écoles n’était pas envisagée que le président de la République lui apporte un démenti. « C’est une petite humiliation pour un ministre qui avait eu des paroles condescendantes pour l’Italie », rappelle F Popineau.
François Jarraud