« On est en train de passer d’un conseil ponctuel à une politique ambitieuse d’équipement intellectuel des élèves dans leurs choix d’orientation ». Alors que la réforme du lycée impose un effort sans précédent pour accompagner les jeunes dans leur orientation, le Cnesco organise les 8 et 9 novembre, en partenariat avec le CIEP, une conférence de comparaisons internationales sur l’éducation à l’orientation. La première a cherché à savoir si cette éducation à l’orientation peut prendre en compte l’évolution des métiers et quelles compétences elle doit développer. Elle a aussi présenté 4 modèles étrangers. A 80 jours du passage de l’orientation scolaire aux régions, il semble bien que la France soit aux balbutiements d’une politique d’éducation à l’orientation…
Le défi de la réforme du lycée
Faut-il être orienté ou que chaque jeune sache s’orienter ? Cette question, posée par Nathalie Mons, présidente du Cnesco, en ouverture de la conférence de comparaisons internationales sur l’éducation à l’orientation le 8 novembre, trouve facilement réponse. La réforme du lycée, en laissant les jeunes à la sortie de 3ème choisir leur lycée et donc déjà des spécialités, a nettement avancé les choix de filières pour le supérieur. Par conséquent , beaucoup plus qu’avant, il faut que les jeunes sachent s’orienter et beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui où beaucoup attendent la terminale pour se poser cette question.
Si le défi français est spécifique (ailleurs on a plutôt tendance pour des raisons de justice sociale à retarder l’âge des choix d’orientation), l’éducation à l’orientation est un défi partout. Et les pays le relèvent selon des formules spécifiques.
Comment fait-on l’éducation à l’orientation ailleurs ?
En Angleterre et en Australie, selon Jules Donzelot (EHESS), l’effort porte sur l’élévation des aspirations des jeunes avec comme objectif de développer l’accès au supérieur avec le programme Aimhigher. En effet l’Angleterre s’est rendue compte que les mesures d’intégration du supérieur dans des universités, le contrôle des frais d’inscription et la fin du numerus clausus universitaire (mesures de la fin du 20ème siècle et début 21ème) n’ont pas suffi pour démocratiser l’accès au supérieur.
L’Angleterre a donc lancé un programme de développement des aspirations des jeunes qui est la base de l’éducation à l’orientation. Ce programme intervient dès le primaire. Dès l’école on sensibilise les parents aux études supérieures en les rencontrant. De l’école au lycée, les jeunes sont invités à faire travailler les élèves sur leurs aspirations. Pour cela des visites en université, des rencontres avec des universitaires sont organisées. Ce sont les universités qui pilotent les différents acteurs qui interviennent dans le scolaire. Elles sont équipées de grandes équipes pour cela. Au total le pays dépense un milliard d’euros par an dans ce programme. Les résultats étaient au rendez vous avec une réduction de l’écart dans l’accès au supérieur entre classes favorisées et défavorisées. Mais l’arrivée au pouvoir des conservateurs a réduit les financements.
En Corée du Sud, selon Ji-Yeon Lee ( de l’institut de recherche KRIVET), le focus a ete mis sur une politique d’éducation à l’orientation axée sur l’intégration dans le marché du travail. Une loi a été prise en 2015 pour développer cette politique. D’une part on a mis e place dans les écoles des professeurs spécialisés dans l’orientation qui et devenue une matière obligatoire au programme. D’autre part on a introduit un semestre « libre » de découverte de la vie professionnelle pour tous les élèves. Là aussi le programme d’éducation à l’orientation commence dès l’école et s’étend tout au long de la scolarité. Il s’appuie sur des entretiens avec des gens de métiers et aussi sur l’acquisition de compétences pour s’intégrer en entreprise. Pour cela il a fallu mettre en place une coopération entre les établissements scolaires et le marché de l’emploi.
Le Québec est souvent montré en exemple en France pour sa politique d’orientation. Anne Pilote (Université de Laval au Québec) explique dans quel contexte « l’approche orientante » s’est installée au Québec depuis le début du siècle. La compétence à s’orienter est devenue une compétence centrale en 2000 et elle exige la collaboration de tous les acteurs de l’école même si elle repose déjà sur des conseillers d’orientation installés dans les établissements. L’éducation à l’orientation est intégrée dans les disciplines, les enseignants collaborant avec les conseillers d’orientation pour cela. Par exemple cela prend la forme d’un portfolio réalisé sur les différentes années du primaire.
Le bilan reste cependant mitigé. Seulement une école sur quatre et la moitié des établissements secondaires ont vraiment mis en place une planification de l’éducation à l’orientation. Depuis 2017 des contenus (10h par an) sont devenus obligatoires dans les curriculums).
Pourquoi ce semi échec ? Pour A Pilote, on demande trop de choses aux enseignants. Ils doivent aussi mener d’autres programmes prioritaires. D’autre part le nombre de conseillers d’orientation a fortement diminué (de 2000 à 700). Le résultat c’est l’iniquité dans l’accès aux ressources pour élargir les perspectives des élèves.
L’éducation à l’orientation peut-elle suivre l’évolution des emplois ?
Ces politiques, et globalement l’éducation à l’orientation, peuvent-ils répondre aux enjeux actuels de l’éducation à l’orientation ? Borhene Chakroun (Unesco) se demande si cette éducation peut prendre en compte l’évolution rapide des métiers ? Il relève que dans les économies européennes on assiste à la baisse des emplois demandant des compétences intermédiaires. ON va vers davantage d’emplois très qualifiés et d’emplois peu qualifiés. Cette évolution rend l’éducation à l’orientation plus nécessaire car les possibilités d’évolution de carrière se réduisent de ce fait. Le challenge est plus important. L’éducation à l’orientation doit donc à la fois avoir un système d’anticipation de l’évolution des emplois, une forte gouvernance et faire particulièrement attention aux publics défavorisés. Il faudrait développer des compétences nouvelles chez les élèves pour faire face à cette évolution.
Ronald G Sultana (université de Malte) interroge justement ces compétences. L’évolution de l’emploi implique de développer chez les élèves des capacités nouvelles : synthèse, compréhension du monde, conscientisation de soi, apprentissage d ela prise de décisions, capacité de changement. L’éducation à l’orientation doit à la fois éduquer à l’intégration sociale et à la reconstruction sociale. Un sacré défi.
François Jarraud