C’est une des plus importantes élections et pourtant elle est annuelle. Le 14 ou le 15 octobre, près de 15 millions de parents d’élèves vont désigner leurs délégués dans une certaine discrétion : la campagne promotionnelle consacrée à cet événement est des plus modestes… Ces contradictions témoignent d’un fait bien connu : la difficulté qu’a l’école française à accepter les parents. Pourtant des milliers de parents se portent cette année encore candidats. Ils vont s’investir dans une mission qui demande des connaissances techniques et de sérieuses compétences humaines pour se faire accepter. Qui sont ces gens ? Quelles sont leurs motivations ? Comment s’organise le dialogue avec les enseignants et l’administration ? Agnès van Zanten, sociologue, auteur de « Choisir son école » et de « L’école de la périphérie » dénude leurs aspirations, leurs contradictions et les conflits qui font vivre les associations de parents.
Peut-on dessiner un profil type du militant des associations de parents d’élèves ?
Il y a une sur représentation des catégories sociales supérieures, avec un profil qui est différent d’une association à l’autre. Les militants Fcpe appartiennent plutôt à la classe supérieure du pôle intellectuel. Ils sont proches du monde de l’école et s’investissent à la fois sur un plan instrumental, pour améliorer al scolarité de leur enfant, mais aussi avec une visée de justice sociale. Il y aussi des catégories supérieures du pôle économique qui vont s’investir davantage avec des visées instrumentales plus individualistes. Enfin il y a des personnes des classes moyennes du pôle culturel, proches de l’école : enseignants, conjoints d’enseignants. Ils s’investissent avec des considérations sur le climat de l’école, et des visées de justice sociale. On a une petite fraction de classes populaires, plutôt des employés, en ascension sociale et proches de l’école.
Il faut souligner qu’il y a beaucoup de femmes chez les militants. Cela s’explique évidemment par l’investissement éducatif des mères devenu si important pour la réussite des enfants, car elle dépend de plus de cet investissement, non seulement en terme de capital culturel mais aussi dans le fonctionnement de l’école. Mais ça peut aussi pour une fraction de femmes ca peut permettre une sorte de carrière compensatoire pour des femmes qui ne sont pas forcément à la maison mais qui travaillent à temps partiel ou comme enseignante qui utilisent cette participation car elles n’ont pas forcément une carrière satisfaisante. Ca devient une sorte de carrière bis. Elles mobilisent beaucoup leurs compétences pour la réussite de leurs enfants mais elles y trouvent aussi une compensation car elles exercent des fonctions d’encadrement.
Il y a la question de la disponibilité. Quand ils occupent des fonctions élevées, ca devient un métier à mi-temps. Du coup ca se passe souvent dans des couples où les tâches sont plus équilibrées que la moyenne.
Peut-on dégager des profils d’engagement ?
Il y a d’abord « le militant ». Il est en perte de vitesse mais il existe encore. Ce sont plutôt des gens des classes moyennes, souvent issus des classes populaires, de gauche, plutôt Fcpe. Ils s’engagent sur des thématiques relatives à l’égalité, la lutte contre les discriminations. Ils investissent localement. Ceux de la Peep sont plutôt investis sur la cause des enfants. C’est la différence avec la Fcpe.
Il y a les « professionnels ». Ce sont des parents qui font une sorte de carrière de parents d’élèves. Ils sont très compétents. Ils voient leur rôle come nécessaire pour les enfants et pour aider au bon fonctionnement de l’institution scolaire. Ils se voient au sein de l’institution.
Il y a les « amateurs » : des parents moins engagés, arrivés parfois par hasard. Ils sont plus centrés sur l’enfant que sur une motivation générale.
Il y a des différences entre militants Peep et Fcpe ?
Les militants de la Fcpe sont plus politisés. Les représentants Peep s’engagent plus au nom de la défense de la famille et de la cause de l’enfant. Mais dans les quartiers privilégiés, les militants Fcpe développent aussi une logique consumériste qui les rapproche des militants Peep. Il y a encore des différences entre les associations mais on voit une grande proximité chez les parents des catégories supérieures.
Comment s’exerce ce métier de parent d’élèves ?
Il n’est pas étonnant de trouver chez ces militants des gens qui ont des fonctions d’encadrement. Car il faut savoir lire les textes réglementaires, savoir prendre la parole, avoir un sens du contact, une certaine familiarité avec l’univers scolaire. Parfois ces compétences ont été acquises par un engagement associatif dans d’autres associations. Du coup, les relations avec les autres parents est souvent un problème. Il y a la distance sociale avec les parents de milieu populaire car ces militants sont souvent de classe supérieure ou moyenne Il y a des problèmes de communication ou des sujets dans lesquels les classes populaires ne se reconnaissent pas. Tout cela affaiblit le rôle des parents délégués auprès de l’administration. On leur demande toujours qui ils représentent du fait de cet écart entre le profil des représentants et celui des représentés. Par exemple les délégués adressent aux parents des fiches de préparation au conseil de classe, mais les parents de milieu populaire n’y répondent généralement pas. Les parents venus de l’autre extrémité court-circuitent parfois les délégués pour traiter directement avec l’administration. Dans certains cas ils peuvent détourner le rôle de l’association.
Comment s’organisent les relations avec l’administration ?
En France le rôle des parents est très limité vis a vis des enseignants. Dès la maternelle les enseignants essaient de les coopter pour obtenir leur soutien ou des moyens matériels pour l’école. On limite leur intervention dans le domaine pédagogique. Il faut bien comprendre que cela ne convient plus aux parents d’aujourd’hui qui ont souvent fait au moins des études secondaires et qui ont donc des compétences dans ce domaine. Les freins à l’intervention pédagogique des parents sont vécus aujourd’hui de façon très frustrante par les parents. Du coté de l ‘administration il y a effectivement une faible distillation de l’information vers les parents. L’administration ne la distribue qu’à la fin du conseil d’administration par exemple. Ce qui fait que sur des dossiers très techniques les parents sont plus manipulés que considérés comme des partenaires. Du coup les parents sont d’autant plus tentés d’être individualistes qu’ils ne peuvent pas avoir un rôle au plan collectif .
Globalement on évolue vers moins de militantisme et plus de consumerisme ?
Il y a eu un accroissement du besoin ressenti par les parents de s’investir dans la scolarité de leur enfant qui a détourné une activité exercée par un groupe plus important sur le plan politique. Aujourd’hui ce sont plutôt les parents ceux qui s’ investissent éducativement qui l’emportent. Mais je ne parle pas de consumerisme car ces parents s’investissent aussi dans l’idée de garantir le bien être des enfants. Ils ne voient pas que la seule réussite des enfants . L’idée de la réussite n’est pas unique. Il y a aussi des parents qui mettent en avant l’épanouissement de l’ enfant.
Cela doit générer des frustrations ?
Au delà de ce qui se passe dans les établissements, les rapports entretenus par l’administration et les enseignants avec les parents apparaissent comme décalés par rapport à d’autres évolutions. Par exemple avec l’élévation du niveau d’instruction des parents. L’école se comporte comme si elle avait affaire a des assujettis. Or aujourd’hui elle a à faire à des gens plus capables. Dans l’ école on ne débat pas alors que dans la société tout est débattu. Le corps enseignant est dans une posture de repli défensif et donc il y a peu de capacité à dialoguer. En conseil de classe on parle du papier dans les toilettes. Mais ce n’est pas le seul objet dont les parents pourraient débattre… C’est frustrant de ne pas pouvoir s’exprimer comme parent et citoyen. On sent une sorte de mépris de l’administration envers les parents Par exemple c’est souvent dans les 5 dernières minutes lors d’un conseil de classe qu’on demande aux parents s’ils ont quelque chose à dire… Il faut alors des parents qui ont du métier pour intervenir dans ces conditions et à jouer un rôle…
C’est une élection très importante. Pourquoi les sociologues ne s’ intéressent-ils pas plus à ces sujets ?
Il y a peu de travaux. On s’intéresse plus aux enseignants. C’est aussi une question de financement. Il y a peu d’appels à projets sur ces questions .
Propos recueillis par François Jarraud
Agnès van Zanten, Choisir son école, Le lien social, Puf,2009, 284 p.
Liens :
Sur « Choisir son école »
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2[…]
Le guide 2009 des parents
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009[…]
A quoi sert l’élection des dé légués parents ?