Le jour même où le ministère de l’éducation nationale annonce sa volonté de revoir les secteurs des collèges pour lutter contre l’apartheid scolaire, L’Etudiant met en place un comparateur des collèges qui va exactement en sens contraire. Reposant sur des bases discutables, le comparateur porte un coup funeste à une Education nationale qui tente de lutter contre la montée des inégalités. Elle va rendre plus difficiles ses efforts pour lutter contre la ségrégation scolaire. Le jour même où le gouvernement lance « la grande mobilisation pour les valeurs de la République », le travail ministériel est sapé de l’intérieur et de l’extérieur.
Une information tronquée des familles
» Que vaut votre collège ? Pour vous en faire une idée, voici notre comparatif des établissements publics et privés sur leurs résultats au brevet. Un bon moyen de connaître la réussite au DNB de votre (futur) collège. Et de découvrir, par exemple, comment il se situe par rapport aux autres établissements de votre commune », annonce L’Etudiant. Pour la première fois, le groupe lance un outil qui permet de situer chaque collège d’une commune en fonction de son taux de réussite au brevet et de son taux de mentions.
L’écran d’accueil montre immédiatement la supériorité du privé (comme par hasard en bleu) sur le public (comme par hasard en rouge). Il permet de voir quels collèges obtiennent le plus fort taux de réussite au brevet et le plus fort taux de mentions. Ce que ne permet pas le comparateur c’est d’avoir la valeur ajoutée de chaque collège, c’est à dire de calculer l’évolution du niveau des élèves depuis leur entrée dans le collège. Cet indicateur existe pour les lycées. Il donne une indication de l’efficacité pédagogique de l’établissement. Cette information manque totalement dans le comparateur de L’Etudiant ce qui limite beaucoup l’intéret de l’information apportée.
Quelle responsabilité sociale ?
La publication de ces palmarès d’établissements les met directement en concurrence là où elle est possible. On sait les effets que cela entraine. Les établissements qui ont de faibles taux de réussite perdent des élèves des classes moyennes. Ceux-ci veulent tous aller dans les collèges les plus réputés ce qui permet à ceux ci de choisir leurs élèves. Les parents contournant la carte scolaire on arrive à une ségrégation des établissements. Cet effet a déjà été constaté en Ile de France par M Oberti par exemple. En réduisant la mixité sociale, ce type de comparateur accélère la ségrégation sociale et dégrade au final la situation de l’Ecole. Elle a aussi des effets moraux et politiques que l’actualité vient de mettre en évidence avec les refus de silence observés dans les établissements.
Interrogé par le Café pédagogique sur le fait que les données publiées ne reflétaient pas le travail pédagogique effectué dans chaque établissement et sur les effets ségrégatifs du comparateur, Philippe Mandry, rédacteur en chef du mensuel l’Etudiant, estime que « ces données pourraient être complétées » mais que « c’est déjà un élément pour les parents » Pour lui, la publication de ces données « permet d’assurer l’égalité devant l’information ». Il renvoie au ministère de l’éducation nationale qui a rendu ces données publiques.
L’Etudiant n’est pas la première entreprise à mettre en ligne un outil de tri des collèges. En novembre France Examens avait crée un palmarès des collèges. Mais l’impact de L’Etudiant est bien plus important par l’audience du site et la renommée du groupe. L’Etudiant a raison de se tourner vers l’Education nationale. Ceux qui ont pris au ministère la décision de rendre ces données publiques ont choisi de mettre en concurrence les collèges. Mais le groupe de presse y donne la main. La mise en ligne du comparateur ne permettra pas réellement aux familles de connaitre la qualité des établissements. L’information qui est donnée est trop incomplète pour éclairer vraiment les parents. Par contre elle va rendre beaucoup plus difficiles les efforts de la ministre pour travailler la sectorisation et lutter contre la ségrégation scolaire. Elle marque aussi que les limites de la « grande mobilisation pour les valeurs de la République » le jour même où elle est annoncée.
François Jarraud