La majorité cède à la pression des enseignants et des maires. Les sénateurs LREM proposent de rétablir les EPSF, supprimés par la commission de l’éducation du Sénat, mais en demandant pour leur ouverture l’accord des maires et des conseils d’école et CA de collège. Ils ont aussi déposé un amendement revenant sur le pouvoir hiérarchique accordé aux directeurs d’école par la commission. Le gouvernement souhaite revenir sur la compensation versée aux communes pour les maternelles privées. Il propose une nouvelle rédaction de l’article 17 sur la réforme territoriale permettant de ne pas recourir aux ordonnances. Par contre, le gouvernement ne revient pas sur l’article 1 , maintenu par la commission et les sénateurs LREM en renforcent le poids juridique. Le Sénat se prononcera sur ces amendements à partir du 14 mai.
A la veille de l’examen en séance de la loi Blanquer par le Sénat, 482 amendements ont été déposés. Ils permettent de dessiner les points de tension sur la loi et d’estimer dans quelle mesure le gouvernement et la majorité sont prêts à céder aux demandes du Sénat.
L’article 1 maintenu et assumé par LREM
L’article 1 a fait couler beaucoup de bruit depuis que le Café pédagogique, en décembre 2018, a révélé ce qui se cachait derrière une rédaction d’apparence anodine. JM Blanquer avait promis de le réécrire « pour lever les ambiguités » mais la rédaction issue de l’Assemblée ne les a pas levées. La commission du Sénat a maintenu le texte. Le gouvernement le maintient aussi. Un amendement du groupe LREM (n°65) précise que « l’importance du devoir d’exemplarité des professeurs a été rappelé dans une décision du 24 avril 2019 du Conseil d’État qui a rejeté une demande de sursis à l’exécution de l’arrêt de la CAA en raison de « l’exigence d’exemplarité » qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs ». Ainsi les sénateurs LREM rappellent l’utilisation qui a été faite de l’obligation « d’exemplarité » des enseignants pour licencier un professeur. Ils assument ainsi pleinement la rédaction de l’étude d’impact du ministère et approuvent l’utilisation répressive de cet article. Les groupes socialiste et communiste (CRCE) ont déposé des amendements de suppression de cet article 1 qui ont peu de chances d’aboutir.
Recul partiel sur l’EPSF
Par contre les sénateurs LREM proposent un vrai recul sur les établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF). Devant les protestations des enseignants, notamment des directeurs d’école, et des collectivités territoriales, la commission du Sénat a supprimé cet article. Les sénateurs LREM proposent le rétablissement des EPSF mais en soumettant l’ouverture à l’accord des conseils d’école et du CA du collège (n°208bis). » Après avis de l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation et après votes du ou des conseils d’écoles et du conseil d’administration du collège impliqués, ces établissements sont créés par arrêté du représentant de l’État dans le département sur proposition conjointe des collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale de rattachement du collège et des écoles concernés, après conclusion d’une convention entre ces collectivités. L’accord du conseil d’administration et des conseils des écoles impliquées sont nécessaires », précise l’amendement.
Par contre, l’amendement soumet les écoles faisant partie de l’EPSF à l’autorité du principal du collège, seul détenteur des pouvoirs attribués au directeur d’école. » Les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux sont dirigés par un chef d’établissement qui exerce simultanément les compétences attribuées au directeur d’école par l’article L. 411-1 et les compétences attribuées au chef d’établissement par l’article L. 421-3. Un ou plusieurs chefs d’établissement adjoints, dont un au moins est chargé des classes du premier degré, exercent aux côtés du chef d’établissement. Ce chef d’établissement adjoint, chargé du premier degré, est issu du premier degré. Les modalités de son recrutement sont fixées par décret. L’établissement est administré par un conseil d’administration qui exerce les compétences définies à l’article L. 421-4. La composition de ce conseil d’administration est fixée par décret et permet notamment la représentation des personnels du premier degré et des communes ou établissements publics de coopération intercommunale parties à la convention ». Il est prévu un « conseil des maitres » pour toutes les classes du 1er degré de l’EPSF dont on ne connait pas les compétences.
Cet amendement marque un réel recul de la majorité sur une question qui a enflammé les écoles. C’est une vraie victoire des enseignants. Il marque quand même la disparition des directeurs d’école dans les EPSF. Visiblement la majorité mise sur la « gestion de proximité » pour faire accepter par les maires et les conseils d’école la création des EPSF.
A noter que J Grosperrin et d’autres sénateurs LR, dont Mme Darcos, ont déposé un amendement visant à rétablir les EPSF, permettant leur ouverture sur accord des maires seulement. Cet amendement (265) maintient les directeurs d’école par délégation de pouvoir du chef d’établissement.
Recul sur l’autorité hiérarchique des directeurs et les jardins d’enfants
Un amendement LREM (296) demande la suppression de l’article 6 ter, créé par la commission, qui donne autorité hiérarchique et pouvoir d’évaluation aux directeurs d’école sur les enseignants de l’école.
Un double amendement gouvernemental (185) et du groupe LREM (72) rétablit le caractère provisoire de la dérogation accordée aux jardins d’enfants. Le gouvernement accorde 3 années aux jardins d’enfant pour accepter des enfants de 3 à 6 ans, LREM seulement deux années. La commission du Sénat a pérennisé l’existence des jardins d’enfants comme une structure parallèle à l’école maternelle.
Limitation des versements aux communes
La compensation financière versée aux communes du fait de l’obligation crée par la loi de financer les maternelles privée fait l’objet d’un double amendement (en termes identiques) du gouvernement (128) et des sénateurs LREM (212). » L’État attribue de manière pérenne à chaque commune les ressources correspondant à l’augmentation des dépenses obligatoires qu’elle a prises en charge en application des dispositions des articles L. 212-4, L. 212-5 et L. 442-5 du code de l’éducation au titre des années scolaires 2019-2020, 2020-2021 ou 2021-2022 par rapport à l’année scolaire 2018-2019 dans la limite de la part d’augmentation résultant directement de l’abaissement à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire », précise l’amendement gouvernemental. Il supprime donc la prise en charge par l’Etat de la dépense des communes qui avaient accepté de financer les maternelles privées avant la loi que la commission avait décidée. Enfin il supprime aussi la révision annuelle du montant versé.
Précisions sur la réforme territoriale
Le gouvernement revient en arrière sur la réforme territoriale (n°23). Il renonce à faire des ordonnances suite à la pression du Sénat. Mais il rétablit l’article 17 en énumérant les pouvoirs des recteurs d’académie et des simples recteurs. » La fonction de chancelier des universités et, plus généralement, les compétences académiques en matière d’enseignement supérieur et de recherche sont confiées exclusivement aux recteurs de région académique. Les recteurs d’académie voient leurs compétences maintenues en matière de ressources humaines et de contrôle des établissements scolaires », précise l’amendement.
L’évaluation de l’Ecole sous controle gouvernemental
Face à la forte opposition touchant à la suppression du Cnesco et son remplacement par un Conseil d’évaluation de l’école (CEE) soumis à l’autorité ministérielle, un amendement gouvernemental (160) propose une nouvelle composition du conseil d’administration du CEE avec 6 personnalités choisies par le premier ministre , 3 par le ministre de l’éducation nationale, 2 par chaque assemblée et 1 par l’institut, le président étant nommé par le président de la République. « Le présent amendement permet d’apporter des garanties supplémentaires d’indépendance », écrit sans rire l’amendement. En réalité c’est un retour en arrière par rapport à la composition modifiée en commission qui attribuait 8 places aux deux assemblées.
SOS articles
A noter un amendement gouvernemental spécifique que l’on pourrait appeler « amendement Grenoble ». De façon aventurée, JM Blanquer a annoncé la fermeture d ‘une école « salafiste » à Grenoble qui s’est avérée impossible. Il a aussi annoncé l’inscription d’office des élèves dans une autre école mais là aussi le ministre échoue. Aussi le gouvernement propose par l’amendement 206 d’ajouter un article à la loi. Selon cet article » lorsque l’une des autorités de l’État mentionnées au I constate que les conditions de fonctionnement de l’établissement présentent un risque pour l’ordre public, elle met en demeure le directeur de l’établissement de remédier à la situation dans un délai qu’elle fixe en l’informant des sanctions dont il serait l’objet en cas contraire. En cas de refus de la part du directeur de l’établissement de remédier à la situation, l’autorité mentionnée au premier alinéa du présent III avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale, puis l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation met en demeure les parents des élèves scolarisés dans l’établissement d’inscrire leur enfant dans un autre établissement, dans les quinze jours suivant la mise en demeure qui leur est faite ».
Autrement dit, le ministre tente de se faire attribuer un pouvoir de fermeture effective qui appartient en fait à la justice sous prétexte de « protéger les enfants » et à l’aide d’un cureux raisonnement : » il peut ainsi être difficile d’obtenir la fermeture de l’établissement et la scolarisation des enfants dans un nouvel établissement en cas d’atteintes à l’ordre public. Or il n’est pas concevable que des atteintes à l’ordre public qui auraient justifié, si elles avaient été portées à la connaissance de l’administration avant l’ouverture de l’établissement, qu’il soit formé opposition à cette dernière sur le fondement de l’article L. 441-1 du code de l’éducation, ne puissent donner lieu à aucune mesure de mise en demeure du chef d’établissement concerné. » L’autorité administrative, préfet ou autorité académique, pourrait faire fermer une école de sa simple autorité, diminuant ainsi davantage l’Etat de droit.
Une autre manoeuvre apparait dans l’article 6 (amendement 258) concernant les EPLEI. Ces établissements élitistes ont été maintenus par la commission du Sénat. Le gouvernement propose que « ces établissements peuvent également accueillir des élèves préparant les diplômes nationaux du brevet et du baccalauréat qui ne sont pas assortis de l’option internationale ni préparés dans une section binationale, sous réserve que l’effectif de ces élèves n’excède pas le quart des effectifs de l’établissement ». Pourle gouvernement, il s’agit de répondre à l’accusation de créer des écoles pour les plus privilégiés dérogeant aux règles des autres écoles et établissements. Mais cet amendement ne donne aucune obligation aux EPLEI. Un amendement les obligeant à prendre un quota d’enfants défavorisés a été écarté par la commission du Sénat.
Les sénateurs LREM ont de leur coté rétabli l’obligation d’afficher une carte de France avec les territoires d’outre mer dans les salles de classe (406) que la commission avait écartées.
Enfin les sénateurs de la majorité demandent aussi de déroger aux règle communes des marchés publics pour la construction d’écoles en Guyane et à Mayotte au risque de développer le clientélisme local (amendement 468). Ainsi se banalise déjà une disposition prévue pour la seule Notre Dame.
Un net clivage droite – gauche
Le clivage droite gauche est fortement marqué dans les amendements déposés au Sénat, assemblée dominée par la droite (LR et UDI).
Ainsi les groupes socialistes et communistes ont déposé des amendements de suppression de l’article 1 (198 et 254), de maintien des ESPE (343 et 344) et de rétablissement du Cnesco avec également une partie des sénateurs LR. Les deux groupes demandent aussi la suppression de l’article qui impose des formations obligatoires pour les enseignants durant les vacances (346 et 463).
Par l’amendement 44, le groupe socialiste demande la suppression des PIAL. Le groupe communiste par les amendements 456 et 333 demandent une vraie carrière pour les AESH.
Le groupe communiste (n°271) demande la suppression de l’article qui impose drapeaux et Marseillaise dans chaque salle de classe : « Les auteurs de cet amendement refusent de voir l’institution scolaire renvoyée vers sa caricature de la IIIème République. Outre les questions de coûts inhérents à ces installations, l’apposition des symboles républicains sans aucune analyse et sensibilisation préalable ne peut que sonner comme une injonction. Si les initiateurs de cet article souhaitent renforcer le sentiment d’appartenance à la République, l’enjeu n’est pas de décorer des salles de classes mais bien de faire remplir aux institutions républicaines leur rôle émancipateur ».
Le groupe socialiste demande d’établir la formule neutre « responsable légal » sur les formulaires administratifs , mesure que la commission a écarté. L’amendement 381 vise à imposer la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat. Les sénateurs socialistes reviennent aussi à la charge avec les amendements 25 et 81, pour permettre la scolarisation de tous les enfants « des deux sexes et étrangers », deux catégories victimes de refus de scolarisation.
Le sénateur Retailleau, chantre de la droite « populaire », a déposé un amendement pour supprimer les allocations familiales aux parents d’enfant absentéiste (n°317). Dans un autre amendement (228) il demande que les accompagnatrices voilées soient écartées.
La couronne pour le sénateur Leroy
C’est le sénateur Henri Leroy (LR) qui remporte la palme des propositions les plus affligeantes. Par l’amendement 216 et 407 il propose de porter à 3 jours le délai de carence pour les professeurs du public et du privé sous contrat. Par l’amendement 387, il souhaite faire inscrire dans la loi l’obligation pour les élèves de se lever « lorsqu’un professeur entre dans une salle de classe », montrant ainsi une belle ignorance du sujet où il s’aventure.
François Jarraud