« Pratiques personnelles vs pratiques scolaires«
Les pratiques scolaires renvoient à des cultures formelles (pratiques formalisées par l’école avec une légitimité) alors que les pratiques personnelles renvoient à des pratiques sociales ordinaires non prescrites ou non régulées mais qui satisfont les demandes quotidiennes. Elles sont considérées comme suffisantes et rentables par les jeunes internautes. L’école doit continuer à formaliser les pratiques, mais l’enseignant doit-il prendre en compte les pratiques personnelles pour développer les pratiques scolaires et formalisées ? Comment les divers acteurs de l’éducation interviennent-ils dans la formation implicite ou explicite des élèves, lors de pratiques documentaires par exemple, à leur maîtrise ?
L’objet de cet atelier est de comprendre comment mieux percevoir les articulations entre pratiques personnelles et pratiques scolaires.
L’atelier a débuté par la communication de Nicole Boubée (docteure en SIC, formatrice IUFM Midi-Pyrénées) sur le « rôle des copiés-collés » dans l’activité de recherche d’information des élèves du secondaire. Ce temps de réflexion décomplexée sur le phénomène du « copié-collé » met en évidence que cette pratique fait partie d’une véritable construction de la dynamique mise en place par les jeunes lors de la première phase de la recherche documentaire. Les travaux de recherche ainsi menés montrent que l’activité du « copié-collé » débute très tôt dans l’activité de recherche d’information. Les élèves opèrent un « empilement » sans ordre référent, ils ne modifient pas la police, la taille, la mise en page… Visiblement pour avoir fait un bon travail de recherche, ils considèrent que trois pages A4 est une bonne longueur. Ce document ainsi constitué ne provient pas d’un prélèvement aléatoire.
Le » copié collé » est bien une composante du processus de la recherche d’information
Il y a bien un lien entre collecte et requête. La collecte entraîne une reformulation de la requête. Elle nourrit des discussions au sein du binôme. Les élèves cherchent à savoir si le document correspond bien à leur thématique de recherche ; ils en discutent. Le « copié collé » est bien une composante du processus de la recherche d’information en ce qu’il permet un contrôle de l’activité et est une forme de gestion de cette activité par ce document de collecte. Ce moment d’extraction puis de dépôt a pour action de stabiliser la situation de recherche. Le problème qui empêche les professeurs – et les documentalistes aussi – de prendre en compte cette étape est qu’ils s’occupent essentiellement de la question de la source des informations et non pas du processus de la recherche d’information. Il est plus facile d’évaluer une production finale qu’un processus qui reste encore une boîte noire.
Les élèves utilisent les technologies qui se ressemblent pour une finalité différente sans qu’il y ait de transfert entre les deux
Pour comprendre les obstacles à la mobilisation des compétences issues des pratiques personnelles dans les activités scolaires Eric Bruillard (professeur des universités, ENS de Cachan) rend compte pour Cédric Fluckiger (maître de conférences à Lille 3) des travaux de recherche de ce dernier. Il existe bien des similitudes entre les deux types de pratiques, mais ce sont des similitudes de surface. Les jeunes utilisent des technologies qui se ressemblent pour une finalité différente sans qu’il y ait transfert entre les deux. Dans la pratique personnelle, il y a un rapport de consommation et d’immédiateté (pratiques adolescentes – Singly). Il y a une surestimation de leurs connaissances de leur part. Il manque verbalisation et conceptualisation à ces pratiques qui restent de l’ordre de l’instrumental dans un territoire limité et balisé et montrent la permanence d’un déficit. Conclusion de l’intervention : Il faut inverser le problème : ce n’est pas » Qu’est-ce que l’école prend des pratiques individuelles ? », mais « c’est à l’école de donner des moyens pour des pratiques individuelles conceptualisées ». Jean-Louis Charbonnier fait alors le constat d’une étanchéité entre ces deux sphères que la didactique devrait vaincre.
La recherche d’information pour l’école arrive en priorité des activités de recherche d’information des adolescents…
Une meilleure connaissance des pratiques de recherche d’information (RI) informelles des jeunes sur Internet (Karine Aillerie, doctorante en SIC, professeure-documentaliste, IUFM Poitou-Charentes) devrait nous permettre donc d’être plus efficace dans cette transmission. Karine Aillerie, prend appui sur l’enquête du CLEMI, Mediappro, diffusée en 2006. Pour elle, le fossé qui semble unanimement constaté entre les pratiques de recherche documentaire en milieu familial et à l’école, tient plus à un rapport au savoir qu’à un problème technique. Si le constat du décalage entre les pratiques des jeunes et leur maîtrise est constant, la réalité de ces pratiques est très peu étudiée en France. Des études montrent que la communication est bien l’utilisation première des jeunes sur Internet certes, mais la RI arrive en deuxième place. L’objet des recherches des jeunes vise à permettre la satisfaction de besoins privés certes et reste une activité solitaire et multitâche, mais elle concerne à la fois le loisir ET le travail. L’école a des attentes par rapport à la RI sur Internet des jeunes (14-18 ans) et cette activité scolaire arrive en priorité dans les activités de RI des adolescents.
Quand on émet l’information en 2008, le récepteur n’est pas forcément » en ligne » avec l’émetteur…
Dominique Wolton (directeur de recherche à l’Institut des sciences de la communication du CNRS) dans un discours d’une tonalité très lyrique aborde ensuite le thème « De l’information à la communication ». Il se concentre sur la communication car elle implique une relation émetteur / récepteur. La question primordiale à l’heure actuelle, n’est pas l’information en elle même (elle est surabondante, là et accessible) mais bien comment le récepteur va accepter le message. Communiquer c’est prendre en compte l’autre. L’outil (le développement certes prodigieux de l’outil informatique) ne résout pas le problème de la réception. Ainsi le vrai enjeu d’Internet se trouve-t-il être l’éducation. Maîtriser la technique est utile mais une fois la technique maîtrisée que fait-on ? Il convient pour Dominique Wolton de former donc à une exploitation critique des systèmes d’information. On peut cependant lui répondre que l’évolution des techniques porte en elle-même la capacité à faire évoluer les connaissances,… même si le cerveau humain reste la meilleure machine parce que la moins prévisible et la moins rationnelle ; la plus inventive (D. Wolton).