La formation, sous toutes ses formes, est une sorte de nébuleuse multiforme dont les principaux enjeux sont le plus souvent organisationnels et institutionnels. La loi de 1971 a montré un chemin essentiel : celui du développement personnel au sein d’un collectif. Le monde de l’enseignement que l’on pourrait penser comme particulièrement intéressé par la formation est pourtant en distance de cette question. Et pourtant le colloque d’Amiens organisé en 1968 avait posé les fondements de la formation continue des enseignants. Au fil du temps, la formation est restée très largement maltraitée dans le système éducatif. Initiale ou continue, elle a du mal à faire véritablement partie de la « trajectoire professionnelle ». En instaurant des possibilités (voir obligations) de formation à distance pour certains enseignants, le Ministère de l’Education a pris en compte le potentiel des moyens numériques pour faire évoluer ses formations. Malheureusement il semble bien que les résultats ne soient pas à la hauteur des espérances : propositions de formation pas vraiment attrayantes, tutorat très difficile à mettre en place, interactions entre enseignants limitées.
Se former par les pairs
Une option a donnée quelques espoirs dès le début d’Internet : la formation par les échanges entre pairs. L’émergence dès les années 1995 – 1997 de listes de diffusion entre enseignants (citons ici, parmi d’autres, les historiques Clionautes) a pu laisser penser que le potentiel formatif de ces pratiques était important. Aujourd’hui, il y a plus de vingt années que ces listes de diffusion fonctionnent. Que s’est-il passé pour que ces échanges ne se généralisent pas, comme mode d’apprentissage autonome de la part des enseignants ? Ou pourra relire le livre « Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants : pratiques et recherches » (Daele, A., & Charlier, B. (Eds.). (2006). Paris: L’Harmattan) et y trouver des éléments d’analyse sur ce phénomène et son analyse scientifique à partir des travaux d’Etienne Wenger et ceux de France Henri.
Les listes de diffusion sont aussi bien informatives que formatives, mais elles ont surtout (c’est devenu principalement) une fonction première de régulation d’une communauté d’intérêts. De même les sites, souvent associés à ces listes de diffusion (mais pas toujours), proposent de nombreuses ressources. Mais à entendre nombre d’enseignants, ils ne s’y retrouvent que très difficilement. Cela semble indiquer que toutes ces ressources, ces richesses, ne profitent d’abord qu’à ceux qui y sont impliqués. A l’instar de l’inscription volontaire aux formations continues qui ne concernent le plus souvent qu’une minorité d’enseignants (sauf lorsqu’ils sont obligés d’y aller ou qu’ils en profitent pour prendre un peu d’air), il semble que le problème soit plus profond et concerne la culture professionnelle de chacun et plus généralement la place de la formation expérientielle et de l’autoformation dans la trajectoire professionnelle de chacun.
Les enseignants sont-ils comme les élèves qu’ils forment ?
La forme scolaire n’encourage pas l’autoformation, l’autonomie dans l’apprentissage. Nombre de travaux confortent cette idée. Les enseignants sont-ils comme les élèves qu’ils forment ? Il semble bien qu’une certaine idée de ce qu’est apprendre (et ses modalités concrètes) soit très présente dans le système de représentation sociale associé de chacun. Aller en formation serait un peu retourner en classe ! Aller en classe serait se retrouver en posture d’élève ! Quant à l’apprentissage numérique en présence ou à distance, ce ne serait pas une modalité acceptée (au sens ergonomique du terme). On ne peut que s’interroger sur la manière dont les enseignants évoluent dans leur métier au gré des réformes et des programmes qui leur sont « imposés ». Est-ce que les impositions centrales sont les seules à faire évoluer les pratiques ? Il faut bien reconnaître le fort impact des programmes sur la manière dont les enseignants font évoluer leurs pratiques (en particulier dans le champ du numérique).
Le métier d’enseignant est un métier en évolution constante au sein d’un cadre qui bouge très peu. C’est ce paradoxe du quotidien que l’on peut aussi incarner dans cet aphorisme pour enseignant « nous sommes condamnés à vieillir en restant jeunes ». Les élèves ont le même âge, mais les enseignants prennent de l’âge. Ces renouvellements de publics, comme de contenus à enseigner, se font dans une organisation (initiée fin XVIIIe et début XIXe) qui change finalement peu en particulier depuis le début des années 1960 et surtout la création du collège unique en 1975. L’arrivée de l’informatique n’a pas vraiment modifié les choses. C’est surtout Internet et ses déclinaisons sociales qui ont mis sur la table la question du changement potentiel d’attitude, de posture, de pratiques personnelles professionnelles. Les discours sur l’innovation, le changement, et même de la disruption (notion avant tout commercial !) ont laissé croire à une réalité qui n’advient pas aussi rapidement et aisément que cela.
La part grandissante de l’autoformation
La vraie transformation de fond est celle des « sources ». En autorisant chacun, enseignant, élèves, parents, etc. à accéder à toutes sortes d’informations, les moyens numériques mis à disposition ont autorisé chacun à évoluer en dehors des dispositifs formels. Il est possible de se former en grande partie en utilisant l’ensemble des services d’information et de réseaux sociaux offerts par le web. Certes les propositions sont pléthoriques et souvent difficiles à sélectionner de manière pertinente. Mais le gisement et le potentiel est là. Or la plupart des enseignants s’en empare d’une manière ou d’une autre, avouée ou non. Pour le dire autrement si l’autoformation n’est pas revendiquée en tant que tel, la part d’autoformation est grandissante (cf. l’enquête Profetic par exemple). Encore faut-il accepter de le reconnaître et l’expliciter autrement que sous la forme de revendications sectorielles (plus d’heures, de temps etc.…). L’enseignant s’il veut rester, à son niveau, expert du ou des domaines qu’il enseigne est dans l’incitation à transformer, à se transformer.
La première transformation est celle de la « transmission ». Rappelons que transmettre n’est pas diffuser de manière magistrale, mais bien de participer au procès de passage d’une génération à l’autre, d’un groupe à l’autre. Comme l’environnement technico cognitif a changé (le livre est désormais pris dans un océan informationnel et relationnel), il est temps que l’évolution se traduise concrètement dans la manière de se former. Encore faut-il que l’institution elle-même repense son offre et ses manières de faire. En a-t-elle les moyens, la volonté ?
Cesser de « former » les enseignants
Ce que l’on peut noter dans les discours officiels c’est que les projets de transformation du système sont toujours accompagnés de formation, mais que les modalités de l’offre de la formation évoluent très peu. Plus encore, la formation initiale des enseignants reste très largement à la traîne dans ce domaine. « Apprendre à transmettre dans un monde complexe de plus en plus marqué par les moyens numériques » semble être une base essentielle à mettre en place. C’est dans les pratiques autonomes d’apprentissage et de formation qu’il faut aller chercher les bases de ce changement de posture. L’idée de l’inversion pédagogique doit d’abord toucher la formation des enseignants. Et pas sur des modalités traditionnelles d’inversion du discours descendant, mais sur des formes d’activités qui incitent les enseignants à la curiosité, à la sérendipité, aux interactions constructives, à l’inventivité.
Peut-être même faudra-t-il cesser de parler de « former » les enseignants pour construire « un environnement d’autoformation apprenant » tout au long de la vie. Passer de former à « se former » n’est pas forcément nouveau en soi. Mais la nouveauté résiderait dans la compréhension partagée d’une nécessité de penser le « se former » comme constitutif réellement de la culture professionnelle (certes on parle de cela dans les référentiels), et d’élaborer les stratégies et dispositifs adaptés (incluant réellement les pratiques des moyens numériques) pour rendre possible cette évolution. Cela pourrait aussi passer par une véritable refonte de l’image du métier d’enseignant appelée de longue date par les chercheurs qui ont observé le métier, de Philippe Perrenoud à Marguerite Altet ou encore Philippe Meirieu.
Bruno Devauchelle