Commandé en avril 2006, le rapport de la Commission du débat national université – emploi, présidée par le recteur Hetzel, doit apporter des réponses à l’angoisse des étudiants et des lycéens devant leurs difficultés d’accès à l’emploi. Sensé éteindre les feux de la lutte anti-CPE, il risque pourtant de mobiliser les lycéens et les étudiants.
Un rapport nécessaire.« Les taux d’échec dans certaines filières, ou l’existence d’effectifs importants dans des filières avec très peu de débouchés, constituent un gâchis humain et fragilisent l’ensemble de notre système d’enseignement supérieur » Le rapport Hetzel a évidemment raison de souligner le fort taux d’échec dans l’enseignement supérieur : 80 000 sorties sans diplôme .universitaire par an, un étudiant sur trois contraint de redoubler ou se réorienter. La situation des bacheliers technologiques et professionnels est encore pire. Seulement 39% des premiers réussissent à décrocher un Deug. Un taux qui descend pour les seconds à 17% ! Il est évident qu’une réaction s’impose devant un tel gâchis.
Mais, puisque le rapport prétend apporter une réponse au problème de l’accès à l’emploi, il faut souligner que ces chiffres, issus du rapport, ne résument pas la situation de la jeunesse lycéenne et étudiante. En mars 2006, au début des manifestations du CPE, quelques mois après la révolte des banlieues, le sociologue Louis Chauvel dénonçait « le sacrifice des jeunes ». « Les nouvelles générations connaissent une désespérance profonde et leur soutien au système se délite progressivement : les adolescents des banlieues voient qu’ils n’ont rien à attendre ; les étudiants en licence constatent que leurs diplômes ne leur donnent pas la place que leurs parents auraient eue avec un baccalauréat ». Les étudiants ne souffrent pas que de difficultés d’orientation. Ils sont d’abord victimes de l’inflation scolaire qui diminue fortement la valeur de leur diplôme et les contraint à des études de plus en plus longues sans forcément décrocher de diplôme ou de perspectives d’emploi intéressantes. Or il faut bien remarquer que le rapport évacue cette question ou plutôt qu’il la traite de façon déflationniste.
La tentation de la sélection. Car Villepin a beau promettre qu’il refuse la sélection ( » Pourquoi entrer dans une logique de sélection? L’essentiel est de faire de tous les diplômes universitaires un passeport de la réussite » affirme le premier ministre dans Le Monde), le rapport Hetzel met fin au bac ticket d’entrée dans le supérieur. Il demande à ce qu’on identifie dès le second trimestre de terminale les élèves qui n’ont pas leur place en université. S’ils s’obstinent et franchissent les obstacles, un bilan les guette à la fin du premier semestre universitaire avec une décision sans appel. Assez hypocritement, le rapport peut promettre qu’il n’y aura pas de sélection à l’entrée en université. Celle-ci est repoussée 3 ou 4 mois après la rentrée universitaire.
Ainsi le rapport Hetzel, s’il était suivi, transformerait profondément la nature du bac et ramènerait les bacs technologiques et professionnels au statut de grades non-universitaires.
Car le problème c’est d’abord les bacheliers technologiques et professionnels. Il apparaît clairement dans le rapport que tout sera fait pour leur barrer l’entrée en université. Cette intention était déjà fortement perceptible avant la publication du rapport dans les annonces ministérielles sur la procédure d’inscription mise en oeuvre cette année.
Il faut reconnaître au bénéfice de ce rapport qu’il ne partage pas l’hypocrisie des déclarations ministérielles qui affectent de croire que ces bacheliers arrivent en université par manque d’informations. En réalité, la plupart de ces jeunes savent à quoi ils s’attendent et s’inscrivent en université un peu n’importe où parce qu’ils n’ont pas trouvé de place en IUT ou en STS. Il faut donc saluer le rapport Hetzel quand il demande d’augmenter de 50 000 unités le nombre de places dans ces filières. Dans les perspectives budgétaires actuelles de l’enseignement secondaire on peut douter qu’il soit écouté.
En même temps il faut se demander si cela suffirait pour répondre aux demandes des étudiants. Car le taux d’échec des bacheliers professionnels en STS est de 60%. Celui des bacheliers technologiques en DUT est de 45%. Des taux qui ne sont pas si différents que cela du taux d’échec en université.
Réformer pour ne rien changer. D’autres perspectives s’offraient-elles ? Sans doute une réforme de l’enseignement professionnel et technologique pour faciliter l’intégration de ses élèves dans l’enseignement supérieur court ou long. Quelque chose qui n’est pas forcément utopique puisque, par exemple, la récente réforme de la série STG, la principale filière technologique, est justifiée par cet objectif.
En préférant la sélection grise des conseils au diplôme national, en « oubliant » la question de la misère étudiante (source d’1 abandon sur 10), en n’offrant aucune perspective sérieuse aux lycéens technologiques et professionnels et en laissant planer la menace d’une sélection à bac + trois mois, le rapport Hetzel semble avoir accumulé les risques.
Alors que la France se singularise déjà par un faible nombre d’étudiants dans les filières supérieures longues et un pourcentage élevé de jeunes dans le supérieur professionnel, le dogme de la professionnalisation ne semble pas capable d’aider les jeunes à améliorer leur accès à l’emploi. Les jeunes méritent mieux que la sélection précoce et plus ou moins occulte.