Par Antoine Maurice
On connaît toute la difficulté pour le grimpeur et pour l’élève, du mousquetonnage dans le grimper en tête. Stéphane Allec nous présente méthodologiquement une manière de faire facilitatrice, la méthode STAL…
Pouvez-vous nous décrire cette méthode, de quoi s’agit-il ?
Une technique assez «proche», mais non explicitée de manière cohérente et officielle, avait déjà été envisagée de manière aléatoire et personnelle dans les années 80 par des grimpeurs intuitifs tels Edlinger et Berhault sur des vidéos de l’époque, mais de manière très sporadique et ponctuelle. Là, en revanche, il s’agit précisément de proposer une manière de faire et d’en expliquer son application pour pouvoir la reproduire correctement. C’est pour cela que j’emploie le terme de méthode. La méthode STAL, dont le nom fait uniquement référence à la procédure et non à la technique en elle-même, consiste à mousquetonner en une seule action lorsque le grimpeur arrive au point d’ancrage, et non en plusieurs actions comme le nécessite la méthode classique. Avec la méthode STAL le grimpeur n’a qu’à prendre la dégaine placée sur le porte matériel et l’installer dans le spit. Une seule opération qui dure une seconde ! Dès le départ les dégaines sont déjà pré-équipées avec la corde et à chaque mousquetonnage le grimpeur doit prendre la dégaine placée la plus en arrière sur le porte matériel, pour aller la placer dans l’ancrage. (cf. photos et vidéo)
Enfin, il est utile de préciser que cette méthode n’empêche en aucun cas de procéder de manière habituelle, en cours d’évolution sur la voie, si le besoin se présente, elle est donc complémentaire et non réductrice puisque les deux manières peuvent être utilisées en même temps. C’est aussi là son avantage !
Comment cette idée a-t-elle vu le jour ?
L’enseignement de l’escalade, et à fortiori dans le milieu scolaire où les groupes avoisinent très souvent la trentaine d’élèves, place l’intervenant face à des difficultés techniques, physiques et psychologiques lors de l’apprentissage du grimper en tête. L’idée de départ était de réfléchir à un système qui permette à la fois de mettre le grimpeur en confiance et en facilité, par le réduction de manipulations et donc du nombre d’erreurs possibles, de même que l’assureur qui à chaque mousquetonnage doit vérifier un grand nombre de données…pas toujours corrigées ! Dans la manière classique, chaque opération (6 en tout) engendre une erreur potentielle qui si elle n’est pas corrigée immédiatement peut s’avérer dangereuse. Le grimper en tête est considéré comme difficile, dangereux et compliqué par nombre d’élèves et d’enseignants. Les erreurs régulièrement observées dans la technique classique portent sur les points suivants : Dégaine placée dans le mauvais sens, le mousqueton coudé est dans le spit ; la corde n’est pas attrapée au bon endroit, c’est à dire en partant de son noeud d’arrêt ou de huit ; la corde est tirée trop tôt et en trop grande quantité, notamment aux deuxième et troisième ancrages où les risques de retour au sol sont élevés ; Difficultés à clipser la dégaine avec la corde, il faut se rappeler de la bonne technique en fonction du placement de la dégaine et la réaliser rapidement, ce qui entraine parfois la chute due à la fatigue engendrée par la répétition de temps trop longs à chaque étape pour effectuer la manipulation ; Corde placée entre les jambes, ce qui peut engendrer un risque de retournement ; Enfin, la corde est souvent placée dans le mauvais sens dans le mousqueton et sort par «l’arrière» de la dégaine !
Tout cela à faire sans erreur pour ne pas devoir recommencer, mais rapidement pour s’économiser les bras ! L’idée était donc d’envisager une méthode qui, à défaut de réduire totalement les risques car cela fait aussi partie de l’apprentissage en escalade, permette de limiter les risques en réduisant le nombre d’opérations à effectuer et de les faciliter en terme d’exécution motrice, notamment pour le grimpeur débrouillé ou le débutant «sportif», mais aussi pour faciliter l’attention de l’assureur et implicitement de placer in fine l’enseignant dans des conditions d’enseignement plus «sécurisantes».
Quels sont les avantages de la méthode STAL ?
La méthode STAL n’a nullement la prétention de remplacer ou de substituer à la technique habituelle, mais doit être considérée comme une manière possible de faire pour faciliter le grimper en tête lorsque cela s’y prête, ou bien comme un éducatif de sensibilisation pour aborder par la suite la technique classique. Il appartient donc à chacun de décider si cela peut lui être utile, ou non, dans son enseignement mais ne doit en aucun cas annuler l’apprentissage du mousquetonnage classique qui doit rester la finalité absolue. Il fallait cependant que cela soit connu et présenté de manière méthodique pour pouvoir être éventuellement utilisé. J’ajoute que la méthode STAL a été présentée à divers spécialistes de l’escalade et de l’encordement, et bien qu’elle ne soit pas estimée comme révolutionnaire ou «parfaite» car des inconvénients que nous aborderons par la suite existent aussi, des avantages certains lui sont reconnus et méritent à ce titre qu’elle soit connue. Ses avantages sont : simplicité et rapidité de la procédure ; corde placée légèrement sur le côté, ce qui réduit le risque de l’avoir entre les jambes ; nombre d’erreur potentielle à chaque étape fortement diminué ; incitation à se «lancer» dans le grimper en tête ; économie de temps, d’énergie, donc risque diminué de «tremblement» et de chute ; moins de données à vérifier par l’assureur ; enfin, et surtout, si le besoin se fait présent (main en appui, changement de direction sur le voie, etc…) le grimpeur peut utiliser en même temps la méthode classique pour continuer d’évoluer sur la voie sans se retrouver bloquer par la méthode STAL. En revanche chaque fois que cela est possible la méthode STAL sera un atout non négligeable.
Enfin je précise que cette méthode a également été essayée par des publics différents : des élèves débutants, et débrouillés, des grimpeurs de club confirmés, des adultes hommes et femmes, des entraineurs et des enseignants, qui ont tous apprécié à des degrés divers son application et son intérêt, en fonction de leur niveau de pratique et de l’utilisation qu’ils prévoient d’en faire par la suite.
Par conséquent quelles sont les limites de la méthode ?
Comme tout procédé, à l’instar de la technique classique de mousquetonnage qui impose au grimpeur et à l’assureur le respect de consignes d’exécution et d’attention précises pour ne pas être en danger, et cela de manière répétée à chaque étape, la méthode STAL présente également des limites, voire des inconvénients, que je ne saurais professionnellement et objectivement omettre de présenter afin d’attirer l’attention du lecteur désireux d’utiliser cette méthode. Les commentaires qui ont été adressés par les différents experts interrogés à son sujet, concernent essentiellement et prioritairement les points suivants :
Le baudrier utilisé doit avoir des portes matériel placés relativement près du pontet pour éviter, en cas de chute, que ces derniers soient arrachés. De même que le noeud de huit (et le noeud d’arrêt) soit près du pontet également pour éviter de trop tirer sur les dégaines, comme on peut le constater sur les photos et la vidéo. Ici j’utilise le modèle SAMA de la marque Petzl, qui fonctionne parfaitement. Des chutes de facteur 1 ont été testées à plusieurs reprises avec ce baudrier et aucun porte matériel n’a été arraché, ni aucune rotation du grimpeur n’a été constatée ;
Cette méthode impose de mousquetonner avec la même main, même si cela peut être aussi fait avec l’autre main mais rend la manipulation moins aisée et en faisant attention au placement dans le spit. En effet, la corde étant placée sur un côté dès le départ, cela impose de choisir sa main de manipulation. J’ajoute cependant, que la méthode étant compatible avec celle classique, en ayant placé d’autres dégaines sur les autres porte-matériels et en prenant, de fait, la corde après la dernière dégaine pré-équipée, il est donc tout à fait possible de manipuler avec l’autre main si celle initialement choisie est en appui, ou si l’on désire placer la dégaine dans l’autre sens en fonction de la trajectoire choisie. (cf. photos et vidéo) Vérifier dès le départ le bon placement de la corde dans les dégaines en respectant le principe habituel : «ce qui vient de moi doit rester vers moi» et vérifier que d’autres dégaines sont placées sur les porte-matériels ;
Enfin, prendre systématiquement la dégaine placée la plus en arrière et la placer directement dans le spit sans effectuer de rotation de la main. (cf. photos et vidéo) De plus, comme pour le mousquetonnage classique, il est important d’attendre que le pontet soit au niveau de l’ancrage pour effectuer la manipulation, et ainsi éviter de tirer trop de corde !
Vous précisez que la méthode STAL concerne principalement un public débutant, mais à l’image d’Edlinger dans les années 70 (qui avait pré-mousquetonner sur son tee-shirt les dégaines pour gagner du temps), cette technique ne peut-elle pas être utilisée pour, dans un passage difficile, perdre le moins de temps possible et ainsi optimiser les chances d’enchaîner le passage ?
Tout d’abord je tiens à préciser que si des grimpeurs de notoriété telle que Edlinger ou Berhault, avaient pensé à un système assez similaire, c’est que cette méthode recouvre un intérêt certain et évident, d’où l’enjeu pédagogique de sa présentation et de son fonctionnement pour des grimpeurs de moindre niveau ! Qu’il s’agisse de faciliter l’enchainement d’un passage difficile pour un grimpeur de bon niveau, ou bien de simplifier la manipulation du grimper en tête pour des personnes de niveau inférieur, ou enfin comme un exercice de transition entre la moulinette et le grimper en tête, la méthode STAL doit être envisagée comme un outil possible faisant partie du répertoire des connaissances et des gestes moteurs du grimpeur, mais ne doit en aucun cas, et je le précise fortement, être considérée comme une finalité d’apprentissage dans le grimper en tête. La méthode STAL ne se substitue pas à la technique habituelle, ni ne remplace l’apprentissage in fine du mousquetonnage classique, mais demeure une manière possible de faire lorsque les conditions d’exécution, ou l’envie du grimpeur, permettent de le faire.
Il est important qu’elle soit connue pour permettre à ceux et celles qui rencontreront le besoin de l’appliquer de savoir l’utiliser correctement. C’est là le seul but des différents articles publiés sur cette méthode, et il appartient donc à chacun d’estimer objectivement si cette méthode présente un intérêt en fonction du contexte rencontré.
Stéphane Allec, Merci.
Illustration vidéo de la méthode
http://www.youtube.com/watch?v=F6XajVMNg4o&feature=youtu.be
La méthode illustrée !
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Ici, pour des raisons pratiques de photographies je suis au sol et fais la démonstration sur un relais, ce qui fait que je suis un peu « bas » pour mousquetonner. Bien évidemment, le mousquetonnage doit se faire comme pour la méthode habituelle, une fois le pontet à la hauteur du spit, à la bonne hauteur ! |
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Comme précédemment, pour les mêmes raisons je suis au sol et donc le relais servant de démonstration se trouve un peu « haut » par rapport au pontet. |
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Ainsi les deux méthodes peuvent être alternées en fonction des besoins, et cela sans aucune difficulté ! |
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Précision tout de même, on peut comprendre à cet instant l’intérêt d’avoir fait les nœuds (de 8 et d’arrêt) proches du pontet pour éviter que les dégaines tirent sur le porte matériel… |
Sur le site du Café
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