Peut-on confronter le point de vue d’acteurs engagés dans des « camps » différents ? Les organisateurs du colloque ont fait le pari de mettre en scène la discussion en invitant Jacques Grosperrin, député UMP auteur d’un rapport récent sur la mise en oeuvre du socle commun au collège.
Au passage, on note le retour en force des hommes à la tribune… Encore un effort à faire, même à l’IREA ?
« Tout àa pour quoi ? ». C’est avec ces mots directs que Christian Forestier présente la table-ronde finale de la journée. « Lorsque le rapport Grosperrin est sorti, le Haut Comité à l’Education (dont il est membre avec Alain Bouvier) a pris la peine de signaler la qualité de l’analyse. Quelle que soit l’aternance politique, les questions qui sont posées par la mise en oeuvre de la loi de 2005 continueront de se poser ». Pour lui, quelques jours avant la publication des résultats PISA, ce qui pourra en être dit sur l’état de notre système éducatif sera à prendre en compte, notamment sur les clivages grandissant entre les bons élèves et les élèves en difficulté, même si les résultats montreront que le temps de l’Ecole est plus proche du « temps du Forestier » que du temps des politiques. « Notre système peine de plus en plus à traiter l’hétérogénéité, et toutes les études disent le problème persistant des 20% d’élèves les plus en difficulté, qui doivent être la priorité des priorités, parce que ce qui était tolérable il y a cinquante ans ne l’est plus aujourd’hui. La mise en place du socle répond-elle à cet objectif ? ». Mais il conclut avec un petit pique à la salle en faisant état de ces doutes sur le fait que la mise en place des compétences soit une condition suffisante pour assurer la démocratisation : « il n’est pas sûr que les pays qui mettent en oeuvre le concept soient les mieux placés dans PISA »
Alain Bouvier : « sans un immense travail de formation… »
« Parler du socle commun, c’est parler de politique ». Le socle a pour ambition de limiter la césure entre le primaire et le collège, pour se donner des objectifs d’amélioration des résultats des élèves. Il salue la création d’une commission parlementaire sur les questions d’éducation, preuve que le politique veut les remettre à la place qu’elles méritent. Mais il fait un mea culpa après les présentations de la matinée : « Nous n’avons sans doute pas pris assez conscience de l’immense travail de formation continue que cela nécessite, et des différents blocages à tous les niveaux qui s’opposent à ce que le Parlement a voté. L’approche systémique est nécessaire, liant les outils, l’évaluation et la formation« .
Pour Jacques Grosperrin, la commission qui a donné naissance à son rapport, composée de députés de droite et de gauche, permet de poser les vraies quesitons. « Le débat de 2012 sera centré sur l’Ecole, et nous voulons que les enjeux de l’éducation dépassent la fracture entre droite et gauche ». Il demande de ne pas se masquer les yeux sur « la dégringolade des résultats », et d’accepter l’idée que les élèves en difficultés soient pris en charge, pendant le temps scolaire, dès le primaire. Pour lui, le socle commun est bien un savoir minimum qui n’empêche pas d’aller plus loin, « comme le fait de savoir nager n’empêche pas d’apprendre les quatre nages »...
Il décentre son propos sur la gouvernance politique : « Mais en France, on veut trop changer tout en même temps, selon la loi « Tondeuse à gazon » qui fait voter une nouvelle loi à chaque accident qui passe au 20 heures de TF1. » Il ne conteste pas pas la tentation des politiques de « faire le buzz » médiatique, y compris sur les questions d’école. Pour le collège, il précise la nécessité de renforcer le travail en interdisciplinaire, de supprimer ce qui ne marche pas lorsque ça a été évalué, et de refaire des questions d’éducation un objet de cadrage par les représentants de la Nation pour « éviter que les intérêts corporatistes ne deviennent le lobby principal ». Suivez mon regard… Mais sur le fond, pas question de réclamer des moyens supplémentaires : « La faillitte nous guette et nous devons donner des gages aux marchés à qui nous empruntons pour rembourser notre dette. Il faut accepter de se serrer la ceinture et faire avec ce qu’on vous donne ».Thierry Cadart, responsable national du SGEN-CFDT, prend quelques distances : « Nous avons certes à prendre conscience de la difficulté du défi posé au système éducatif : avec 20% d’élèves en difficulté d’intégration à la société, on ne peut pas continuer son petit bonhomme de chemin… » Il partage l’idée que l’enjeu de la réussite de tous les élèves appartient évidemment au débat et aux choix politiques, mais espère que le débat de 2012 dépassera le niveau du café du commerce. « Quand je vois justement ce qu’en disent certains homme politiques, sur l’avenir de l’Education Prioritaire ou l’entrée en 6e, il y a de quoi être inquiet. »
Mais si on décide de faire le choix d’accompagner cette transformation, « il faut se demander comment les collègues se mettent en mouvement sans formation ni accompagnement, avec des contradictions entre les programmes et le socle. La révolution mentale ne se décrète pas à coup de circulaire, et la confiance réciproque entre les enseignants et la société est conditionnée au fait d’arrêter de faire semblant : tant que le socle commun se réduira à un document à remplir tout en maintenant le Brevet, sans vouloir choisir, on n’avancera pas.Sans volonté partagée d’un dialogue social, conclut-il, rien ne permettra de sortir de l’immobilisme.
Quelques voix se lèvent de la salle pour opiner, et rappeler l’inconfort persistant du terrain soumis à fortes turbulences, et soucieux de trouver une tribune à leur colère.Sabine Kahn, de la salle, conclut avant la conclusion : : « en Belgique et au Canada, on a vu ce que donnaient les réformes imposées du haut sans accompagnement des enseignants : dix ans après, un amer sentiment d’échec« .
Reste au maître de cérémonie, Jean-Luc Villeneuve, à annoncer l’agenda des initiatives à venir et remercier tout le monde pour les deux journées.
Au-delà du formalisme, un sentiment partagé pour retourner affronter, pour la plupart, l’épreuve du réel.
Autres ressources :
La page du ministère sur la question
Socle commun : un intéressant colloque à l’INRP en novembre 2009
Jean-Michel Zakharchouk : plaidoyer pour le socle
Le point de vue de Samuel Joshua cité par C. Lelièvre dans son intervention (et aussi ici un point de vue sur les compétences)