daniel dalet : « Jamais le décalage entre les attentes scolaires et celles du monde professionnel n’a été aussi grand«
« Par notre conservatisme – toujours justifié au nom du maintien d’une certaine idée de notre mission éducative – nous enseignons certains savoir-faire obsolètes dans un environnement pédagogique d’un autre âge ». Professeur d’histoire-géographie à Digne, Daniel Dalet ne mâche pas ses mots. Observateur critique de l’enseignement de l’histoire et de la géographie, c’est aussi un acteur et un producteur de ressources. Portrait.
Pendant quelques années interlocuteur académique en nouvelles technologies et responsable du site web d’Aix-Marseille pour l’histoire-géographie, Daniel Dalet, 57 ans, enseigne au Lycée Alexandra David Néel à Digne-les-Bains. Il gère actuellement le site de cartographie d-maps.com
Comment est né le d-maps ? Avec quelles motivations ?
« d-maps » : « d » pour Dalet (ou Daniel), « maps », non pas par amour pour la langue de Shakespeare mais parce que le terme français « carte » est trop polysémique (carte bancaire, carte de vœux, carte électronique …).
Initialement, ma banque de cartes était hébergée sur le site académique (dont j’étais le webmestre). Quand j’ai quitté la fonction, j’ai laissé les cartes en place mais j’ai décidé de continuer d’en produire de nouvelles sur un site personnel. Je recevais alors un courrier important de collègues, en particulier américains, qui me demandaient des cartes sans rapport avec les programmes scolaires français.
Le site est autofinancé par la publicité, qui permet notamment un hébergement de qualité professionnelle. Les hébergements « premier prix » qui font cohabiter une centaine de sites sur la même machine ne permettent pas des temps de réponse de qualité satisfaisante.
Actuellement, les visiteurs de d-maps viennent principalement des Etats-Unis, d’Amérique Latine, d’Allemagne et d’Inde. Ma motivation ? … le courrier que je continue de recevoir de nombreux collègues de tous les continents, comme le montre la rubrique « Livre d’or » du site.
Signe de l’audience croissante du site, je reçois aussi un certain nombre de courriers de protestation quant à mes choix sur les tracés de certaines frontières. Dans la mesure du possible, j’essaie de contenter tout le monde : on trouve ainsi sur le site une carte de la Serbie sans le Kosovo et une autre avec, une carte de l’Arménie sans le Haut-Karabagh et une autre avec, etc. Depuis quelques temps, je reçois des courriers en provenance de Russie me demandant d’actualiser le statut de la Crimée … pas simple !
J’avoue bien volontiers que ce sont surtout vos écrits, souvent iconoclastes, d’abord dans la (défunte) revue La Durance puis sur la liste de diffusion des Clionautes, qui m’intéressent. D’abord pouvez-vous nous parler de l’aventure de La Durance ?
La Durance c’était de 1999 à 2014 le nom de la revue et du groupe académique Aix-Marseille en histoire-géographie. Une belle aventure professionnelle et humaine, avec des liens d’amitié qui perdurent au-delà du projet. Nous l’avons fondée avec Jean Sérandour et Gérald Attali, à la croisée de la réflexion didactique, déjà ancienne dans l’académie, et des TICE alors en plein essor. Il s’agissait de créer un nouveau média numérique permettant une large diffusion de textes discutés et amendés en groupe et de favoriser l’usage des nouveaux outils numériques.
Chaque année, le groupe – une quinzaine de collègues – organisait les « Rencontres de la Durance » à Marseille, deux journées de conférences et de réflexions pédagogiques autour d’un thème en relation avec nos programmes scolaires. Le pari a été largement gagné, l’audience de la revue allant bien au-delà des limites régionales.
Quelles sont vos conceptions de l’enseignement de l’histoire-géographie dans le secondaire ?
Sur les contenus, je suis, de longue date, un partisan du divorce entre l’histoire et la géographie.
L’histoire n’a pas plus de points communs avec la géographie qu’elle en a avec l’économie, la philosophie ou la littérature. Le maintien de cette exception scolaire française ne s’explique que par la force de l’habitude … et la souplesse que procure à notre administration l’existence de professeurs plurivalents. Cette situation se maintient au détriment des élèves : qui parmi nous dispose du temps nécessaire pour actualiser ses connaissances dans les deux disciplines ?
Pour la même raison qu’on a supprimé, dans les années 1990, le statut des « professeurs de collège » qui pouvaient enseigner à la fois le français, les sciences, le sport et la musique, le divorce entre l’histoire et la géographie constituerait une avancée importante quant à la qualité des contenus que nous transmettons à nos élèves.
Que pouvez vous dire sur la transmission et plus généralement nos méthodes de travail ?
Sur les méthodes de travail, ma critique est plus incisive : dans les pays développés comme le nôtre, combien de personnes passent régulièrement quatre heures, dans une solitude totale, pour rédiger de longs textes à la main, sans outil numérique et sans aucune documentation en ligne ? Et c’est pourtant sur cette seule compétence que, dans notre discipline, nous attribuons le baccalauréat. Jamais le décalage entre nos attentes scolaires et celles du monde professionnel n’a été aussi grand.
Il concerne aussi et surtout l’usage de tous les outils numériques qui envahissent notre quotidien … sauf celui de nos cours. Partout, la présence de ces outils modifie les modes de communication et les méthodes de travail. A quelques exceptions près toujours très médiatisées, nos salles de classe constituent autant d’îlots de résistance coupés du reste de la société … et nous continuons à demander à nos élèves de réaliser des cartes avec des crayons de couleur.
Un exemple ?
L’exemple des smartphones de nos élèves illustre très bien cette posture. La loi de juillet 2010 interdit toute utilisation des téléphones mobiles dans les écoles et les collèges. Il ne s’agit pas de jeter la pierre au ministre de l’époque car il est certain que cette loi a été accueillie favorablement par la très grande majorité des enseignants. Or un simple changement de regard sur cet outil permet d’envisager toutes les potentialités pédagogiques qu’il offre.
Voici quelques exemples expérimentés dans mes classes de lycée :
– Accès à internet simple et rapide, pour une recherche documentaire ponctuelle, sur l’auteur d’un texte par exemple.
– Utilisation de l’appareil photo haute définition pour numériser, au domicile, les pages du manuel qui seront utilisées dans la journée. On résout ainsi l’éternel problème du poids des cartables … et de la détérioration des manuels liée au transport.
– Utilisation, avec l’accord de l’enseignant, de l’enregistreur sonore pour les parties magistrales du cours, ce qui permet aux élèves les plus lents de compléter leurs notes ultérieurement.
– Utilisation de l’agenda électronique, beaucoup plus complet et fonctionnel que les agendas papier classiques.
En intégrant l’outil à notre pédagogie, celui-ci est bien visible dans la salle de classe, posé entre la trousse et le cahier, et l’on peut aisément contrôler les usages qui en sont faits. Au lieu de cela, nous nous épuisons dans une chasse perpétuelle qui génère toutes sortes de tensions, une chasse stérile car de l’aveu même des élèves, en dépit de toutes les menaces, ils maintiennent leur smartphone allumé en classe et s’en servent sous la table pour envoyer et recevoir des SMS.
Par notre conservatisme – toujours justifié au nom du maintien d’une certaine idée de notre mission éducative – nous enseignons certains savoir-faire obsolètes dans un environnement pédagogique d’un autre âge. Un décalage croissant avec le monde réel qui fragilise toujours plus notre institution.
Propos recueillis par Jean-Pierre Meyniac
Pour aller plus loin
La Durance 126, article « La machine à fabriquer des imbéciles »
http://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2013-09/ld_126.pdf
D-maps
Les 128 numéros de la revue sont consultables
http://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_48037/fr/les-rencontres-de-la-durance