Les Rencontres de l’Orme mardi 27 et mercredi 28 mais 2014 ont rassemblé un grand nombre d’intervenants et acteurs éducatifs, pédagogiques, culturels, institutionnels et industriels autour d’une grande thématique : « Ecole numérique : une école augmentée ? » Pour lancer le sujet, expliquer cette thématique qui peut apparaître sibylline au premier abord et proposer quelques pistes de réflexion, Jacques Papadopoulos, directeur du CANOPÉ–CRDP d’Aix-Marseille a réuni autour de lui plusieurs chercheurs, pédagogues ou acteurs du Ministère de l’Education Nationale, autour d’une table ronde inaugurale des plus intéressantes.
École numérique : une école augmentée ? Mais pourquoi une telle thématique ?
Aujourd’hui, tous les domaines de la société apparaissent comme « augmentés » par l’appropriation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le numérique étant d’ailleurs perçu comme une ressource essentielle par la société, alors qu’il y a vingt ans, lors des premiers Rencontres de l’Orme, on considérait que le danger d’Internet était de ne pas y avoir accès.
Cette année, la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République marque une rupture extrêmement forte, en l’occurrence les chapitres qui sont entièrement consacrés au numérique, car elle met en valeur un véritable engagement politique en faveur du numérique à l’École, avec l’ambition clairement affirmée de « faire entrer le numérique à l’École ». C’est la première fois qu’une loi met le numérique au premier plan pour l’école. Bien sûr, les plans numériques se sont succédés et il y a toujours eu une continuité au-delà des alternances politiques depuis vingt ans : des stratégies techniques, économiques et d’infrastructures ont été mises en place. Mais jusqu’à présent, aucune généralisation n’était réalisée au sein de la classe, dans et pour la classe, aucune ressource spécifique n’était dédiée au travail en classe. On partait de l’idée qu’il suffisait de mettre des outils à disposition des établissements scolaires et des enseignants et que les choses se feraient ensuite naturellement. Or non, ce n’est pas le cas. Cette prise de conscience constitue une grande avancée : l’engagement est politique, une dynamique est en train de se créer. Ainsi, est-ce que l’École numérique peut devenir une École augmentée ?
Avec cette question première, des dizaines d’autres questions sont sous-jacentes. En effet, qu’en est-il réellement du numérique à l’école ? Qu’est-ce qui est mis en œuvre pour réaliser les ambitions du Ministère de l’Éducation Nationale dans ce domaine ? L’École peut-elle vraiment être « augmentée » par le numérique ? De quelle façon et en quels termes ? Ou à l’inverse, que peut « augmenter » le numérique à l’École ? Le niveau des élèves ? Leur aptitude à s’intégrer et à vivre dans une société numérique ? Les possibilités de remédiation ou de différenciation pour les élèves ? L’École peut-elle être réparée par le numérique ? Est-il souhaitable de l’augmenter ? Peut-elle devenir « réparatrice » pour les enfants en difficultés ?
Tous ces questionnements sont légitimes mais ne doivent pas écarter les réflexions sur les dangers et les risques du numérique… On parle souvent des avantages d’une « augmentation » de l’école par le numérique mais tout objet technique est ambivalent… Ainsi, n’y-a-t-il pas un risque de dépendance au numérique ou d’assistanat vis-à-vis du numérique ? Ne peut-il être peu à peu se transformer en « remède » ou en « drogue » Ne risque-t-il pas de prendre la place de l’écrit et du livre ? Comment rendre les deux complémentaires ? Comment faire des élèves de futurs adultes et citoyens responsables en face du numérique ? Comment leur enseigner à exercer leur esprit critique par rapport à ce qu’ils peuvent être amenés à trouver sur le Net ? Pour les collectivités, comment gérer l’arbitrage entre le coût des nouvelles technologies et les avantages du numérique ? N’y a-t-il pas une véritable menace sociétale voire civilisationnelle à mettre ainsi le numérique au premier plan ? Aujourd’hui, si la fracture numérique des années 90 semble amoindrie, les dangers liés au numérique à tout-va sont bien présents et l’ont largement remplacée.
Quelles préconisations pour lever les obstacles au développement du numérique à l’École ?
Michel Perez, Inspecteur Général, a été le rapporteur du débat « Une grande ambition numérique », qui a été le préalable à la rédaction de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République ces de ces débats pour « une ambition numérique à l’École » sont sorties des préconisations ont servi à la rédaction de cette loi. De nombreux experts ont été auditionnés et des réflexions conjointes (demandées par quatre Ministres différents) à ce que pourrait être une structuration d’une filière industrielle en France pour proposer des ressources pour l’Éducation Nationale ont été menées. C’est la première fois que l’on se penchait sur l’éducation par le numérique en France. Ce rapport, accessible en téléchargement, a mis en valeur des leviers et des obstacles au numérique à l’École.
Le rapport a permis de soulever cinq obstacles majeurs au développement du numérique dans l’Éducation, auxquelles ont été apportées des réponses partielles ou totales grâce aux 27 propositions émises à la suite de ce rapport :
– des freins organisationnels car le Ministère de l’Éducation Nationale n’a pas géré la transition numérique en mode projet, c’est à dire avec une véritable volonté d’intégrer ces mutations dans tous les éléments de la vie des écoles, des élèves, du ministère lui-même mais cette lacune a été en partie comblée par la création de la direction du numérique pour l’éducation, la création d’un véritable service public du numérique pour l’éducation et la mise en place de délégués académiques ;
– des freins pédagogiques : ils ont été identifiés dans le fait que les usages dans les classes n’étaient pas présents. Les raisons en sont variées : un manque de mobilisation du corps enseignant, des équipements inadaptés et des ressources insuffisantes,… Pour y remédier, la Loi a justement permis de mettre en acte des solutions pour mobilité davantage les enseignants autour de la création et de l’utilisation des ressources numériques, il s’agit notamment de M@gistère pour le premier degré ou de Performance autour du réseau Canopé
– des freins économiques : ils sont liés à une insuffisante connaissance des forces et faiblesses du secteur de l’édition des ressources numériques, très organisé autour du marché du manuel scolaire. Cet obstacle, clairement identifié, doit faire l’objet d’une nouvelle réflexion afin de réussir à le contourner ou à le supprimer ;
– des freins juridiques : ils sont dus au problème de l’exception pédagogique, la gestion collective des droits des œuvres pour l’accès au numérique, comme cela est déjà le cas pour la photocopie ;
– des freins techniques : ils sont liés à la définition de normes et de standards pour la diffusion et l’accès aux ressources numériques avec les ENT.
Bien sûr, la question de l’obstacle culturel est également posée, en lien avec les obstacles pédagogiques : en effet, le numérique change la donne des pratiques pédagogiques notamment le temps et l’espace, la façon d’apprendre, la relation à l’accompagnant, les circonstances dans lesquelles on apprend,… Il ne faut pas oublier que ce mode d’apprentissage révolutionne la relation enseignant / élèves et qu’il faut aussi y réfléchir. De fait, comme le dit Serge Tisseron, il devient nécessaire de repenser toute la relation pédagogique entre les élèves et les enseignants et entre les élèves entre eux : le rapport à l’autorité change et ce sera le rôle du délégué numérique académique d’aider les enseignants à mettre en place une nouvelle stratégie pédagogique et c’est peut-être à cela que les enseignants sont le moins préparés. De faire, ils deviennent davantage des médiateurs que des dispensateurs de savoirs et de connaissances car les élèves sont beaucoup plus autonomes et tout le monde communique ensemble (il y a une suppression du mode d’autorité pyramidal descendant). La relation s’appuie désormais sur une vérification de l’information pour la construire en connaissance. Il est notamment essentiel que chaque enseignant ait la volonté d’amener les élèves à gagner en autonomie numérique, pour qu’ils soient capables d’évoluer en tant que citoyens dans un monde hyper connecté (c’est l’objectif poursuivi par les classes ou les pédagogies inversées).
Les MOOC : une nouvelle forme d’enseignement transposable dans les premiers et seconds degrés ?
Rémi Bachelet, maitre de conférences à l’Ecole centrale de Lille en sciences de gestion, est à l’origine du premier MOOC (Massive Open Online Courses) certifiant sur le thème de la « Gestion de projets ». D’emblée, les MOOC apparaissent comme une bonne stratégie car ils offrent la possibilité à celui qui le souhaite d’apprendre tout au long de sa vie, de mettre un outil à sa disposition qui lui permette de s’affranchir des contraintes de temps et d’espace. L’objectif est de s’approprier une nouvelle technique. Ce dispositif, que Rémi Bachelet s’amuse à prononcer « moque » plutôt que « mouque » en référence au terme « moque » – « je dis « moque » car nous nous moquons des distances, des difficultés d’accès à l’enseignement supérieur et de nous-mêmes finalement parce que le dispositif met la pression sur l’équipe pédagogique, puisque si elle se plante, beaucoup de personnes peuvent le voir » – constitue essentiellement une activité pédagogique avec en plus une notion de diffusion et de marketing : en effet, pour qu’un MOOC fonctionne, il faut qu’il soit « massif », c’est quelque chose de très positif dans ce dispositif alors qu’à côté, on critique souvent les universités pour leur côté « massif » et dépersonnalisé. En l’occurrence, il s’agit là de créer une véritable communauté et de créer des interactions entre les personnes qui le composent.
La particularité de ce MOOC « Gestion de projet », c’est qu’il propose plusieurs parcours, un parcours « classique », avec des modules vidéos et des QCM à la fin de chaque chapitre (environ cinq semaines de travail, sanctionnées d’un examen final) et un parcours « avancé », qui mêle assimilation du cours et mise en œuvre et utilisation des outils présentés (étude d’un cas concret par exemple). On peut demander aux étudiants de rendre des cartes, des graphiques, des études,… Ainsi, on demande à l’étudiant de produire un travail mais l’innovation est telle que ce système permet aussi une évaluation par les pairs, un feed-back des autres apprenants. L’une des difficultés du MOOC reste la non-évidence de l’interactivité avec les 5000 participants en ligne. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire de créer une véritable équipe pédagogique pour répondre aux messages sur les forums, de favoriser des rencontres en présentiel,… Autre question : celle de la « diplômation ». Au bout d’un MOOC, une attestation est délivrée mais il ne s’agit pas d’un véritable diplôme car l’identité de la personne n’est pas révélée ; par contre, comme ce MOOC est utilisé notamment dans les pays de la francophonie, des centres d’examen existent et permettent alors de transformer les connaissances validées en ECTS, les crédits universitaires européens. Cela confère au MOOC une validité et une légitimité importante : quelqu’un qui a réussi le parcours avancé du MOOC « Gestion de projet », c’est qu’il a beaucoup travaillé ; aussi a-t-il acquis une plus-value supplémentaire pour être recruté.
Les expériences récentes montrent que les MOOC fonctionnent très bien dans l’enseignement supérieur : il apparaît donc légitime de se demander s’ils sont transposables dans le second degré (collège et lycée, voire dans le premier degré. Tout d’abord, pour que ce système fonctionne, il faut une très grande autonomie des élèves, ce qui n’est pas forcément évident dans l’enseignement primaire, déjà plus abordable au collège et au lycée. Un accompagnement semble absolument indispensable pour encadrer les élèves, ce qui est de nature à rassurer les personnes qui se demandent si les professeurs vont être amenés à disparaître, victimes d’une robotisation : c’est une illusion de penser cela puisqu’ils seront toujours là pour encadrer l’appropriation de la connaissance et guider les pratiques. Il faut réfléchir à une hybridation possible et voir les éléments intéressants qui sont récupérables à l’École : l’accès à tous, la liberté des licences, l’idée des capsules vidéos et des QCM, l’évaluation ou la validation par les pairs, l’interactivité par forum ou réseaux sociaux interposés, les rythmes d’apprentissage choisis,… L’université par exemple ne sera jamais à cent pour cent virtuelle mais cinq pour cent de MOOC constituent un seuil plausible et acceptable.
Pour le second degré, des expérimentations sont actuellement en cours. Les problèmes d’équipements sont des faux problèmes. Par contre, il est essentiel de se poser la question du type d’accès à Internet que l’on souhaite à l’école : quelles restrictions et pour quels usages ? Quelle appropriation des nouvelles technologies de l’information et de la communication ? France TV Éducation par exemple a proposé 7 MOOC l’an passé, dont un pour préparer l’épreuve de philosophie du baccalauréat et s’est attaquée cette année à une préparation pour le Brevet des Collèges en mathématiques. A noter : ce sont essentiellement des enseignants qui se sont inscrits à ces sessions MOOC par curiosité, pour se faire une opinion sur comment s’approprier cette forme d’enseignement. Que ce soit pour le primaire ou pour le secondaire, les enjeux des MOOC sont considérables en ce qui concerne la formation des enseignants : tout cela n’a de sens que si quelqu’un accompagne et officie en tant que médiateur par rapport aux élèves et par conséquent que si les enseignants sont formés. Ainsi, faut-il penser des MOOC pour les professeurs à l’avance de ceux qu’on pourrait proposer aux élèves (en sachant qu’il faut environ 10 heures de préparation pour une heure de vidéo !) ? Autre question : ne pourrait-on utiliser cette technique au niveau de la transition entre le lycée et l’enseignement supérieur pour proposer aux futurs bacheliers d’assister à des MOOC de découverte sur les disciplines proposées à l’université ou tester des parcours ? Quel temps dégager pour cela ? En classe ou l’été à la maison ?
Le sujet et la réflexion restent bien sûr ouverts…
Quel rôle du Conseil National du numérique pour les questions éducatives ? Sophie Pène est professeur et chercheuse à l’Université Paris Descartes, pionnière des usages numériques à l’université. Elle est membre du Conseil National du Numérique : il s’agit d’un organisme paritaire d’une trentaine de membres qui se réunit chaque mois pour réfléchir à des problématiques liées au numérique. Aujourd’hui, le numérique est un moyen d’inclure alors qu’avant on parlait de fracture numérique et donc d’exclusion. La « littératie numérique » (ou l’aptitude à comprendre et à utiliser les techniques de l’information et de la communication dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités) est un point essentiel pour notre société. Le Conseil Nationale du Numérique étudie des sujets, aborde des thèmes divers et variés, tels que la neutralité du Net, les modèles économiques des plateformes ou les stratégies de groupes comme Amazon, Google ou Facebook… Or, finalement, on se rend compte que tout est question d’éducation et que les questions d’éducation finissent par se poser naturellement, tout converge vers l’éducation.
C’est la raison qui explique l’ouverture d’une étude ciblée sur Éducation et numérique, qui est moins une évaluation dont l’École est en train de se transformer par le numérique qu’une chambre d’échos de ce qui se fait dans les établissements scolaires et de confirmer l’absolue nécessité de cette transformation radicale. C’est cette réflexion qui va amener l’École à devenir moins inégalitaire. Le notions d’employabilité, de mobilité sociale et d’égalité permettent de rencontrer l’École car les questions de citoyenneté découlent désormais de médiations numériques, on cherche à amener l’École là où s’apprend la vie future : par exemple, le fait de participer au débat critique et de s’informer sur la politique ou le fait d’apprendre à connaître la notion d’algorithmes de recherches qui nous amènent à lire exactement ce qu’on recherche lorsqu’on lance une recherche sur le net. Les finalités sont doubles : conduire l’École à devenir moins inégalitaire, y enseigner mobilité sociale et égalité.
Même si les métiers de relations ou de créativité, dont le métier d’enseignant, apparaissent comme « protégés », il n’est pas impossible qu’une grande vague d’informatisation et d’automatisation les touche malgré tout. Aussi, les cohortes qui arriveront à l’emploi dans quelques années devront être très créatives, capables de travailler en équipe, capables de coopération. On retrouve dans l’architecture actuelle du web l’architecture de la société désirée ! Et bien sûr, il n’y a que l’école et que l’énergie citoyenne qui peuvent donner la force de construire cette société désirée. Le Conseil National du Numérique ne s’est pas occupé de pédagogie car ce n’était pas sa mission première mais s’il y avait un message à faire passer, ce serait celui-là : nous sommes informés de la complexité de cette École, véritable écosystème actif, et nous ne savons pas vraiment comment la bouger ; l’Éducation est un marché, qui plus est concurrentiel et on ne sait pas trop qui va prendre en charge le numérique à l’École étant donnée la multiplicité et la diversité des propositions (MOOC, ONG, plateformes,…). Ce qui est certain, c’est que l’École doit être plus créative et qu’il faut l’accompagner, la repenser. Le plus important dans tout cela, c’est le fait de savoir s’adapter : la question de la formation des enseignants est essentielle. Il n’y a plus de frontière entre ce qui doit se passer dans le temps scolaire et ce qui doit se passer dans le temps « hors-scolaire » puisque les élèves peuvent apprendre aussi à l’extérieur de l’École. Mais les enseignants seront toujours là pour encadrer ces apprentissages à condition qu’ils soient capables de s’adapter. Cela nécessite de se poser des questions sur comment faire autrement, par exemple de réfléchir au concept de classes ou de pédagogie inversées.
Réseau CANOPÉ : quelles ressources éditer pour le numérique à l’École ?
Pour répondre à cette question, Jean-Marc Merriaux, Directeur Général du Réseau CANOPÉ depuis 2011 cite Benoît Hamon : « au-delà des équipements, il nous faut nous préoccuper de la production massive de ressources pédagogiques de qualité accessibles sur les nouveaux supports numériques, dans des environnements de travail sécurisés. Ces nouvelles ressources doivent être attractives, redonner aux élèves l’envie d’apprendre, de s’engager dans les apprentissages, d’échanger, de partager et de collaborer, dans la construction de leurs connaissances. » C’est sur ces directives que le CANOPÉ a choisi de s’appuyer pour lancer sa dynamique de réflexion sur les contenus à éditer pour le numérique – alors que jusqu’à maintenant, le Réseau Scéren était un éditeur public de contenus essentiellement imprimés sous forme papier. Dans le numérique, la question des contenus est centrale (et notamment la question de l’accompagnement de ces contenus pédagogiques auprès des enseignants). La strétagie des contenus s’articule autour de trois principes :
– le « co-design » car aujourd’hui, il est impossible de penser une ressource comme figée ; elle évolue forcément et nécessite l’apport d’un groupe d’auteurs, par exemple, des enseignants qui peuvent être eux-mêmes des producteurs (c’est d’ailleurs une approche à valoriser auprès des enseignants) ; il est notamment nécessaire de travailler sur les compétences afin de pouvoir accompagner les enseignants ;
– la mise à disposition des outils, principalement pour créer des ressources : actuellement, la question de la production de ressources connaît un frein majeur, celui du droit d’auteur et de l’exception pédagogique dans la démarche d’emprunter pour recréer, même si c’est généralement ce que font les enseignants ; du coup, l’enjeu poursuivi par le Réseau, et dont la refondation est la base, est de parvenir à créer des espaces de création, des laboratoires d’innovation, des espaces où l’on offre des services, des outils, des ressources pour accompagner les enseignants ;
– la refondation de la production et de l’édition : il est essentiel de repenser les usages et la question des designers d’expérience est centrale (le numérique amène des révolutions non négligeables dans le sens où de nouveaux métiers apparaissent) ; dès la création des contenus, il faut être en mesure d’intégrer les usages car ce n’est plus seulement l’auteur qui est amené à expliciter le type de contenu qui doit être idéalement privilégié mais les usagers qui doivent pouvoir s’exprimer sur le type de contenu dont ils ont besoin.
Ainsi, toute la problématique est de savoir comment on intègre les usages dans la chaîne de production : l’édition pédagogique a longtemps été « enseignant-centrée » parce que les enseignants étaient des prescripteurs, aujourd’hui, il est nécessaire que ces manuels deviennent des « élèves-centrés », toutes les futures offres numériques devront prendre en compte les usages des élèves, au sein même de l’utilisation de la ressource pédagogique. Et pourquoi pas au final faire de l’élève lui-même un créateur de contenus ?
Enfin, à tout cela s’ajoute la question de l’indexation de la ressource pédagogique : on parle de « web sémantique » et l’on sait que le fonctionnement des moteurs de recherche est à prendre en compte, si l’on ne veut pas passer à côté de quelque chose : en effet, les méta-données associées aux contenus pédagogiques ont déjà plus de valeurs que ces contenus (par exemple Google pose son algorithme de sélection dessus). Cela est grave car si l’on n’y prend garde, les contenus pédagogiques n’arriveront qu’en dixième page des résultats de recherche, car il est plus facile de traduire des méta-données que des contenus. Or, il s’agit là de notre richesse d’éditeur, qui dépasse les frontières, qui plus est.
Comment promouvoir la créativité à l’École pour favoriser une reconquête virtuelle ?
François Taddéi, directeur de recherches à l’Inserm, fondateur du CRI (Centre de Recherches Interdisciplinaire) de l’Université Paul Descartes, ancien membre du Haut Conseil à l’Éducation et auteur d’un rapport remis à l’OCDE en 2009. Évoquant Vincent Peillon, pour qui « l’École doit être le faire de lance d’une reconquête républicaine de l’espace virtuel », il s’interroge sur la promotion de la créativité à l’école, la formation des collaborateurs et l’évolution des programmes scolaires vers plus de créativité. Ces programmes évoluent très vite en France mais ils évoluent parfois encore plus vite ailleurs. Toujours plus de pays s’intéressent au numérique et l’insère dans les programmes dès le primaire. C’est une manière d’être créatif car le numérique permet aux enfants comme aux adultes d’utiliser ce qui a été fait pour l’améliorer.
Cependant, cela nécessite d’être capable d’accompagner les élèves vers un monde en changement permanent, imprédictible. Par exemple, les métiers les plus recherchés actuellement n’existaient pas il y a dix ans alors que ceux qui intéresseront les futures générations n’existent pas encore. Seule certitude : les machines seront capables de faire de plus en plus de choses et surtout de plus en plus de choses logiques ! Or, le premier type d’intelligence connu et sur lequel notre système scolaire est fondé, c’est la capacité à régler des problèmes classiques : les machines connaîtront les solutions à ces problèmes et si nos enfants ne savent faire que cela, ils risquent de ne pas occuper demain les emplois les plus pertinents. Le deuxième niveau d’intelligence est la capacité à résoudre de nouveaux problèmes, non classiques, par la recherche, l’hypothèse et l’expérimentation, compétences qui ne sont travaillées au mieux qu’en fin de Master et surtout en Doctorat. C’est insuffisant. Enfin, le troisième niveau, et le plus intéressant pour l’avenir, c’est la capacité à questionner le monde : or, les enfants font cela de manière très spontanée !
Il a été montré à Berkeley que nous sommes tous nés chercheurs ; un enfant explore le monde, l’expérimente, apprend de ses erreurs, progresse, voire le partage quand il a trouvé quelque chose qui lui semble intéressant. Cette capacité disparaît progressivement avec l’âge mais rien ne nous interdit d’accompagner cette maturation. De fait, pour que la recherche avance, il faut un écosystème favorable. Dans le monde d’aujourd’hui, on a besoin de créativité et de questionnement. On peut proposer aux enfants d’entrer en résonnance avec ce monde de la recherche : les plus jeunes auteurs de publication scientifiques ont 8 ans (et viennent de milieux familiaux favorisants). Cette expérience des « enfants chercheurs » est partie de l’envie de jouer des enfants : comprendre à quoi joue la nature, jouer ensemble et savoir comment on peut jouer avec elle. Ils se sont interrogés sur la vie des fourmis, n’ont pas trouvé toutes les réponses dans les livres mais on les a interpellés sur le fait que sur le Net, tout n’est pas vrai. Ils ont appris beaucoup des chercheurs mais ils ont fini par faire une observation que les chercheurs n’avaient jamais faites. Cela prouve qu’on ne peut pas toujours faire confiance aux experts. D’où la nécessité de réussir à créer des collectifs d’enfants chercheurs. Mais est-ce seulement réservé aux enfants de chercheurs ? Il suffit de s’intéresser aux expériences d’Ange Ansour en ZEP pour se convaincre du contraire.
En conclusion, les enfants d’aujourd’hui, si on les place dans cet écosystème favorable et qu’on les met en position de chercheurs peuvent faire beaucoup. Il suffit alors d’accompagner les adultes pour accompagner les enfants, pour les aider à passer d’un langage enfantin à un langage scientifique. Il est donc essentiel de mettre les enfants au cœur des écosystèmes de connaissance et des écosystèmes de coopération, où quand on a appris il faut que ce soit plus simple pour celui qui doit apprendre derrière et à qui on doit transmettre son apprentissage. L’Homme plus la machine, ce sera par conséquent toujours mieux que l’Homme seul et que la machine seule.
Alexandra Mazzilli