Par Marjorie Lévêque
Le mercredi 11 mars, Najat Vallaud-Belkacem lançait officiellement en Conseil des ministres un plan de réforme du collège, en présentant les évolutions envisagées pour 2016 « afin qu’il permette à tous les élèves de mieux apprendre pour mieux réussir , en maîtrisant les savoirs fondamentaux et en développant les compétences du monde actuel ».
Deux mesures fortes étaient particulièrement discutées dans la presse : l’apprentissage d’une deuxième langue vivante dès la 5e, et l’introduction des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), au cours desquels les collégiens pourront mettre en pratique leurs savoirs théoriques. Sur les réseaux sociaux, la semaine a aussi été marquée par une discussion autour de l’avenir de l’enseignement du latin et du grec ancien…
Le plan de réforme baptisé « Mieux apprendre pour mieux réussir » était dévoilé officiellement sur le site d’eduscol afin que chacun puisse prendre connaissance des détails :
http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html
Dès la première lecture, chez les enseignants de langues anciennes, de nombreuses craintes sont nées. Ils reconnaissent bien leur travail dans cette phrase : « L’apprentissage des langues tient une place fondamentale dans la construction de la citoyenneté, dans l’enrichissement de la personnalité et dans l’ouverture au monde. L’un des rôles de l’éducation est d’ouvrir l’esprit des élèves à la découverte de l’inconnu, de l’autre, de l’étranger, de leur faire connaître ce qui ne leur est pas spontanément familier. Apprendre une langue vivante étrangère, c’est aussi apprendre une culture. », tant le cours de langues anciennes est un lieu où l’inconnu, le « pas spontanément familier » est mis au service en permanence de l’ouverture d’esprit, de la découverte d’une nouvelle culture, de sa langue, de la formation de l’esprit citoyen.
Mais ils regrettaient d’emblée que la phrase s’applique strictement aux langues dites « vivantes » car comme si l’on niait aux langues anciennes sa nature de langue (rappelons que depuis quelques années, l’appellation officielle du cours est « langues et culture de l’antiquités »), on lui réserve une place bien différente de celle de la LV1 ou LV2…
Le texte fait mention à trois reprises des langues anciennes. Dans un premier temps, pour qualifier les langues anciennes d’ « excellence » qui doit être mise au service de tous (et non de quelques élèves) en vue d’une meilleure « maîtrise de la langue française ». Ainsi, des éléments culturels et linguistiques du cours de latin et ou de grec seront intégrés au cours de français.
« Les nouveaux programmes de français
Les nouveaux programmes de français mettent au centre la maîtrise et l’utilisation de la langue, à l’oral et à l’écrit. Les nouveaux attendus de maîtrise de la langue sont plus exigeants. Par ailleurs, afin de contribuer à améliorer le niveau en français de tous les collégiens, des éléments culturels et linguistiques des langues anciennes seront intégrés dans le programme de français. L’excellence sera ainsi mise au service de la réussite de tous et de la réduction des inégalités de maîtrise de la langue française. »
L’annonce est de prime abord réjouissante, tant il va de soi que les passerelles entre le cours de français et de langues anciennes sont nombreuses ; dans les détails, on était toutefois un peu chiffonné.. La formule ne cache-t-elle pas un reproche d’élitisme ou une vision réductrice des langues anciennes (« langues anciennes = ça aide pour le français ») ?
La deuxième et troisième mention sont reliées aux EPI (=les enseignements pratiques interdisciplinaires). Le latin et le grec perdraient le statut d’option facultative pour intégré ce nouveau dispositif induit par la réforme.
« 1.2 – Une nouvelle pratique pédagogique pour que les élèves s’approprient mieux les connaissances : les enseignements pratiques interdisciplinaires
À compter de la rentrée 2016, pour mieux s’approprier des savoirs abstraits, les élèves bénéficieront d’enseignements pratiques interdisciplinaires. Ils permettront aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets.
* Ces projets s’inscriront dans l’un des huit nouveaux thèmes de travail correspondant aux enjeux du monde actuel : développement durable ; sciences et société ; corps, santé et sécurité ; information, communication, citoyenneté ; culture et création artistiques ; monde économique et professionnel ; langues et cultures de l’Antiquité ; langues et cultures régionales et étrangères.
* Ces temps de travail sont des moments privilégiés pour mettre en œuvre de nouvelles façons d’apprendre et de travailler pour les élèves. Ils développeront l’expression orale, l’esprit créatif et la participation.
* Les projets sont pris en charge par les enseignants de toutes les matières qu’ils sollicitent. Ils définissent en équipe les contenus des cours.
* Ils concernent les élèves du cycle 4 : 5e, 4e, 3e. Ils travailleront sur au moins deux thèmes chaque année.
* Les nouveaux thèmes de travail sont inscrits dans les programmes. Les projets sont évalués et inclus dans les compétences du diplôme national du brevet.
* Les collèges qui proposaient l’option facultative latin pourront l’inclure dans la matière complémentaire Langues et cultures de l’Antiquité. Les élèves pourront ainsi, s’ils le souhaitent, poursuivre l’apprentissage du latin de la 5e à la 3e.
* Des exemples de projets concrets seront proposés par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur son site eduscol.education.fr. »
Ce paragraphe a énormément inquiétés les professeur de langues anciennes puisqu’on y lit stricto sensu que le cours de langues et cultures de l’Antiquité se fera désormais dans le cadre des EPI, donc que l’option facultative grec ancien et/ou latin disparaît ; l’EPI Langues et cultures de l’antiquité ne sera qu’une possibilité au milieu de huit au total (les établissements pourront d’ailleurs choisir de ne pas toutes les traiter…). Enfin, un EPI étant pris en charge par des « enseignants en équipe », on pense comprendre que le cours de langues anciennes pourrait être assuré par plusieurs enseignants (De français, d’histoire ?…).
Seule « consolation », une phrase assez peu claire, qui assure en apparance la pérennité de l’option facultative « latin » (et le grec ancien?) sous une forme qui n’est pas précisée dans le cadre de la « matière complémentaire Langues et cultures de l’Antiquité ». Qu’est-ce qu’une matière complémentaire ? Quelle différence avec les EPI ? Le texte ne le dit pas… On pouvait alors imaginer que cela ferait des 20 % de la Dotation Horaire Globalisée laissés à l’appréciation du chef d’établissement pour les « nouvelles modalités d’enseignement »
Les interrogations étaient dès lors nombreuses, et cette difficulté à bien comprendre le sort réservé au cours de langues anciennes a amené de nombreuses interprétations plus ou moins alarmistes…
Face aux réactions consternées, voire véhémentes sur les réseaux sociaux des défenseurs de langues anciennes, Mme Florence Robine, Directrice générale de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education nationale, s’est fendue le 11 mars d’une réponse pour clarifier les choses :
https://twitter.com/frobine/status/575674871436435457
« Les élèves pourront toujours suivre un enseignement latin grec pluriannuel, mais pas sur des horaires suppl/ option »
Loin de clarifier, le twit a amplifié la confusion : si on peut se rassurer d’y voir le retour de la mention « grec ancien », on y lit surtout que l’option latin ou grec telle que nous la connaissons disparaitra bien, mais on ne comprend pas dans quel cadre les cours s’inscriront désormais : en cours de français et en EPI ? Dans les deux cas, cela pose problème et cela ne semble pas replacer le cours de langues anciennes dans un cadre qui semble propice à un cours complet et riche, juste à un saupoudrage…
– en cours de français, une évocation de l’étymologie de certaines mots et .ou de quelques aspects culturels ne saurait replacer un cours complexe… Par ailleurs, les professeurs de lettres modernes ne le faisaient-ils pas déjà ? Ceux qui dans leur formation n’ont pas suivi de module de langues anciennes sont-ils préparés pour le faire ? Y-a-t’il encore besoin de l’expertise d’un professeur versé dans la compréhension des langues anciennes ?
– un EPI n’est pas un cours au sens où on l’entendait jusqu’ici. Il est conçu pour « permettre aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets. (…) Il développera l’expression orale, l’esprit créatif et la participation.». Beaucoup y ont même vu une résurgence des anciens IDD.
Un élève travaillant « sur au moins deux thèmes chaque année », comment être sur qu’un élève suivra les trois ans nécessaires à l’enseignement progressif d’une langue ancienne ?
Les professeurs de langues anciennes ont alors redouté encore plus la disparition de l’enseignement du latin et du grec. Sur twitter, le hashtag #JeSuisLatiniste a fait son apparition, souvent pour accompagner des messages d’inquiétude.
La journaliste Sandrine Chesnel souhaitant rédiger pour l’express un article consacré au « cas » du latin et du grec a donc tenu à joindre Mme Robine pour lui demander de préciser ses propositions :
Les réponses reçues n’ont soit pas fait avancer la compréhension :
– soit en répétant ce que l’on avait déjà compris, sans apporter de précision sur la mise en place pratique : « La ministre a souhaité que le latin soit accessible à tous les élèves. C’est pourquoi les futurs programmes de Français comprendront des éléments culturels et linguistiques latins, mais aussi grecs, pour éclairer la construction de la langue française ».
– soit en introduisant une nouvelle confusion par la démultiplication des dispositifs dans lesquels pourraient s’inscrire le latin et ou le grec. L’option deviendrait un EPI dérogatoire, avec un fonctionnement différent des autres EPI (dans ce cas, pourquoi l’appeler EPI?), puisque l’on pourrait le suivre à l’année (point rassurant) : « Le latin ne sera plus une option proposée en plus des autres matières, mais l’un des nouveaux Enseignements pratiques transdisciplinaires (EPI) . Mais un EPI un peu différent des autres car dérogatoire: contrairement aux autres EPI, l’EPI ‘Langues et civilisations de l’Antiquité’ pourra être suivi tout au long de l’année, et même jusqu’à la fin du collège, pour les élèves qui le souhaitent. Même chose pour l’EPI ‘Langues et cultures régionales. »
– soit en introduisant une idée très « naïve » : la possibilité pour un élève d’arrêter les langues anciennes à chaque changement de niveau, soit à la fin de chaque année… « Aujourd’hui beaucoup de collégiens hésitent à « prendre le latin » car ils savent que cette option choisie en cinquième les engage jusqu’en troisième -avec la réforme, les élèves auront la possibilité d’arrêter les langues anciennes en changeant de niveau. Le ministère fait donc le pari que cette souplesse contribuera à augmenter le nombre d’adeptes des langues anciennes. »
Idée naïve, puisque les statistiques officielles publiées par le ministère chaque année dans le document « « REPÈRES RÉFÉRENCES STATISTIQUES? à la page133 en 2014 montrent de manière chiffrée qu’à peu près 20 % des élèves en 5ème suivent l’option latin. La proportion baisse doucement depuis 1996, mais pas de manière significative ou inquiétante.
On lira également qu’il y a moins d’élèves en 4ème, et encore moins en 3ème qui suivent l’option latin qu’en 5ème, ce qui signifie clairement que des élèves ont su trouver des portes de sortie, et que la possibilité d’arrêter est déjà là.
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/04/7/DEPP_RERS_2014_344047.pdf
Évidemment, du point de vue du professeur, c’est une catastrophe. Comment va-t-on pouvoir conjuguer une progression avec des groupes qui changent régulièrement ? Peut-on faire confiance à des élèves qui aiment tant le zapping non réfléchi ? Comment maintenir des groupes ?
Peu de questions ayant reçu une réponse claire, beaucoup d’autres naissaient… Le 14 mars, Mme Robine apportait à nouveau des précisions sur Twitter :
A un professeur qui résume « EPI langues anciennes = plus de langue, plus de thème/version, plus de lecture. Oui, le latin est supprimé. », elle répond « pourquoi les méthodes pédagogiques du latin changeraient-elles ainsi?? Aucune raison. Le latin est préservé ».
Au même qui déplore l’impossibilité de construire une construction grammaticale avec des cours à l’année : « Avec les #EPI, apprenez le latin en un an ! Suis-je bête? On n’enseignera plus la LANGUE latine !!! », elle explique : « les élèves pourront suivre l’enseignement du latin pendant les 3 années du cycle 4 », sans entrer dans la discussion pratique : comment faire pour être sûr d’avoir 3 années de progression dans de telles conditions ?
La réalité du terrain nécessite que le cadre des « enseignements » soit clairement défini, et le plan de réforme présenté ce mercredi 11 mars ne le fait absolument pas. Il nous reste à attendre mardi 17 mars pour que soient présentée la partie « technique » de la réforme. On saura alors peut-être ce qu’il en sera des heures, des détails, des programmes, des partages d’heures en EPI… Pour l’instant, toutes ces questions restent en attente de réponse.
La CNARELA (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes) devrait également rapidement être reçue pour recevoir plus de précisions et relayer les inquiétudes des enseignants et des parents, et se battre pour faire entendre la spécificité des langues et cultures de l’antiquité.
Au mieux, on espère avoir mal compris, et être rassurés…
|