Fournir trois propositions sur la formation professionnelle des enseignants, c’est la gageure des ateliers organisés en fin de matinée. Ambition démesurée, quand il faut conjuguer les inquiétudes sur ce qu’on va devenir et la nécessité d’inventer un futur…
Atelier « Quels formateurs (diversité , lien avec la recherche, lien avec le terrain) ?
Quelle place pour la recherche en éducation ? » La thématique a attiré en nombre des formateurs du premier degré, mais ceux du second degré, tant général que professionnel, sont venus aussi, inquiets pour l’avenir de leurs métiers, soucieux de porter leur expérience singulière dans le maelström de la réforme qui semble tout balayer sur son passage.
Formateur à Versailles, issu du monde professionnel, M. Ruben croit à la diversité des regards des formateurs, aux expériences multiples, à la dimension professionnelle des formateurs de terrain. Une professeur d’école, maître-formateur, insiste sur ce qu’apporte aux stagiaires PE son expérience dans les écoles de Réseau Ambition Réussite (ex-ZEP), et veut croire qu’elle peut acquérir une reconnaissance de ses compétences de formateur d’adulte, qui risque de disparaître de la formation « si on se tient au recrutement strictement universitaire ».
Une autre fait cependant le constat du manque de recherche à l’IUFM où elle intervient, sa demande de voir le rôle des maîtres-formateurs mieux reconnus, dans de véritables équipes pluricatégorielles. Une de ses collègues déplore également le manque de lien entre la formation du premier et du second degré…
Un professeur demande de prendre du recul sur l’internationalisation du système européen des « compétences » qui, selon elle, « menace la spécificité française de service public », donnant à chaque point du territoire un droit à l’équité et à l’excellence.Un professeur de l’ENS Cachan demande à la salle ne pas réagir sans recul, de revenir sur ce qui n’a pas été bien fait par les IUFM. Il pose une mine qui fait frémir la salle : « Le métier de formateur n’existe pas » : pour lui, la professionnalisation du métier d’enseignant implique que celui qui forme les enseignants soit un pair issu du terrain. Il n’est donc pas sûr qu’on puisse faire de la « formation de formateurs », mais demande plutôt de chercher ce que serait une « formation professionnelle supérieure », qui doit allier des universitaires et des représentants du terrain professionnel « actifs sur le terrain » (pose le problème des parcours des personnes). Il ose un dernier propos incongru : « Est-ce un métier d’universitaire que d’être formateur d’enseignant ? »
Luc Bentz, syndicaliste de l’UNSA, ex-maître d’accueil temporaire, expose un autre point de vue sur la question : « le compagnonnage, les trucs de métier, je ne crache pas dessus, mais comment aller au delà ? Comment acquérir des certifications ?« .
Pour lui, certaines problématiques de formation ne peuvent pas être travaillées avec les stagiaires avant la prise de poste en responsabilité. Il revendique une vraie formation continue, et est inquiet devant l’évolution de la situation : » On ne sait rien de ce que va devenir la formation « tout au long de la vie ».
De la tribune, Claude Lelièvre, historien, tente un recentrage : la question cruciale, c’est la question de la permanence des formateurs. Selon qu’on imagine les écoles spécifiques, sur le modèle des écoles de la magistrature ou de la santé, ou au contraire des cursus intégrés aux formations universitaires, le type de formateur ne peut être le même. « Mais que cela nous plaise ou non, l’histoire n’a-t-elle pas déjà tranché ? ». En arrière plan, le citoyen discute son point de vue d’historien, avec la question de la démocratisation, et des ambitions pour l’Ecole : l’enseignant est-il, ou non, d’abord un éducateur ?
Pour un représentant de l’association nationale des conseillers pédagogiques (ANCP), le mot qui définit son métier n’a pas le même sens dans le premier et dans le second degré : « le conseiller pédagogique du premier degré n’est pas un « compagnon » de bonne volonté, mais un professionnel dont une des missions est de faire de la formation ». A quand la reconnaissance de sa compétence par l’université ? À quand une réforme sérieuse du CAFIPEMF (diplôme de maître formateur du premier degré) intégrant une certification universitaire, comme l’ont déjà mis en oeuvre l’université de Clermont ou de Montpellier ?
Un formateur de Caen veut tirer le signal d’alarme : ‘je ne suis pas sûr que tout le monde se rende compte qu’on est en train de changer de monde. Les professionnels qui enseigneront aux étudiants ne seront qu’associés à l’université, rien de plus. Et la formation continue sera attachée à l’évolution de carrière plus qu’au perfectionnement professionnel « .
Une grenobloise reprend le flambeau : « Si, être formateur c’est un métier. Il faut revendiquer une qualification, ça s’apprend. Parce que le formateur est aussi porteur de l’éthique du service public, au-delà de ses compétences disciplinaires. Et dans le cadre d’équipes pluricatégorielles de recherche, il faut exiger que le formateur ait une vision transversale de la formation, de la maternelle à la terminale ».
Jean Malifaud, universitaire en mathématiques, insiste sur le fait que la recherche intervient à plusieurs niveaux, par un regard critique, épistémologique et didactique sur les savoirs, comme ont eu l’occasion de le démontrer les IREM depuis longtemps.
Quant à la la place de la « recherche », autre commande faite à l’atelier, on aura beau jeu de dire qu’on n’a pas eu le temps de répondre à la consigne… Il faut dire que derrière l’ambition du concept, les contenus à faire circuler sont loin d’avoir été décrits : recherche en psychologie cognitive ? sociale ? en sociologie ? en didactique ? en ergonomie ou en clinique de l’activité ? Il semble bien que les « sciences de l’Education » ne suffisent plus à décrire tout ce qui peut contribuer à organiser le réel de l’activité de la classe, de l’enseignant ou des élèves. Sans doute parce que les compétences de l’enseignant ne faisant pas tout à fait consensus, ce qui lui est nécessaire de « discipliner » pour mieux lire le monde professionnel est loin de faire l’unanimité.
Atelier « formation » : comment constuire une installation progressive dans le métier ?
Dans l’atelier « Quelle formation professionnelle pour les enseignants ? », les nombreux participants ont dépeint des situations assez variables selon les académies, IUFM intégré à une université ou non, réflexion collective avec d’autres universités ou pas, sollicitation des formateurs dans certaines, position d’attente dans d’autres, mais, partout, la réflexion sur les mastères professionnels destinés à la formation des enseignants est engagée. Selon les cas, des mastères différents peuvent être envisagés pour les enseignants du 1er et du 2nd degré et se greffer sur des mastères disciplinaires déjà existants ou donner lieu à des créations.
Les participants ont largement exprimé le désir de voir les modules de préprofessionnalisation se mettre en place dès l’année de L1 ( à l’entrée à l’université) et de mettre dans les 5 ans de leur cursus les étudiants dans toutes sortes de situations (en école, au collège, au lycée) et de postures (observateurs, intervenants, tuteurs, etc.). Beaucoup ont insisté sur la nécessité de donner aux étudiants une expérience de praticien. La question des indispensables accompagnateurs dans ces activités a été évoquée et la constitution d’équipes catégorielles de formateurs proposée. Il a été demandé de ne pas oublier la dimension accompagnement éducatif et relation avec les familles.
En conclusion, l’animateur, Philippe Meirieu, a formulé trois propositions :
– Abandonner le vocabulaire de préprofessionnalisation et parler désormais de modèle simultané de formation professionnelle sur 5 ans, articulé sur la formation continue.– Dans ce modèle simultané, les étudiants connaîtraient une implication progressive dans des situations de travail réelles avec les élèves, de l’observation à l’intervention en responsabilité ; ces situations seraient vécues en groupes pluriniveaux et pluridisciplinaires.– Développer dans les mastères de haut niveau disciplinaire une culture pratique et théorique sur la transmission des savoirs.