le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école
Rapport pour le HCÉÉ, extraits
« On sait que la formation
intellectuelle dispensée à l’école vise aussi bien la capacité à penser
que les larges connaissances, l’efficacité dans le travail que le souci
du lent et patient approfondissement. D’ailleurs, la méthode aide à
approfondir la pensée, la connaissance n’est telle que si elle est
organisée, classée, clarifiée ; les deux ne s’opposent pas. Et pourtant
! L’école se veut un lieu de construction et de développement de la
réflexion, un lieu où s’épanouissent la curiosité intellectuelle et
l’intérêt pour le savoir ; mais ses épreuves valorisent souvent bien
autre chose, le conformisme de la pensée, les savoir-faire opératoires.
Les transformations du système scolaire ont eu plutôt tendance, nous
semble-t-il, à renforcer l’attente concernant les savoir-faire, au
détriment parfois des attentes sur l’ampleur des connaissances. (…)
La
question est : où et
quand l’école enseigne-t-elle ces savoirs et ces techniques qu’elle
exige sans le dire, et qui, de fait, sont indispensables pour venir à
bout des épreuves qu’elle organise ? Où et quand peut-on acquérir ce
qui n’est pas de l’ordre de connaissances stricto sensu, mais qui
permet de mettre celles-ci à profit et en valeur au moment des
contrôles, des examens, des concours ? On peut se demander
si aujourd’hui l’institution scolaire prévoit suffisamment de temps et
de lieux pour cela, et si, dans le travail qu’elle fait faire aux
élèves, qu’elle leur demande en dehors et dont elle se soucie de la
correction, elle y accorde assez d’attention.
Où
le faire, où acquérir systématiquement ces aptitudes ? A l’école, ou en
dehors de l’école ? S’il revient sans doute à l’école de montrer aux
élèves ce qu’elle attend d’eux, il est plus difficile d’imaginer que
tout puisse se dérouler pendant le temps de classe. Et le temps des
« devoirs » est un temps qui permet cette appropriation, cette
acquisition d’automatismes libérateurs. Si aucun temps, si aucun
espace, dans l’empan scolaire ou à l’écart de l’école, ne permet cela à
un degré suffisant pour que ce soit efficace, le jeu se trouve faussé,
au bénéfice de ceux qui peuvent l’acquérir ailleurs. Une raison
essentielle du succès des cours particuliers est bien là : on n’y
apprend pas des choses nouvelles, en tout cas en France, car ce qui est
appris à l’école suffit et, très généralement, ce qui est demandé aux
examens ne le déborde pas. On y apprend à passer les examens, à faire
face aux épreuves des concours, on s’y exerce. Et s’il y avait lieu de
repenser cette question au sein même de l’école ?
Certes,
on pourrait craindre et déplorer que, par une insistance excessive mise
sur les savoir-faire, les apprentissages scolaires les plus riches et
les plus structurants pour la réflexion et la construction de soi ne se
trouvent délaissés, voire méprisés par certains élèves, et
progressivement abandonnés par les enseignants. Les dérives auxquelles
le système japonais a dû s’efforcer de remédier sont là pour attester
que réserver une attention majeure sinon exclusive à une sorte de
formalisme scolaire peut conduire, très logiquement, à un
appauvrissement considérable des savoirs transmis et plus encore de la
capacité à les mobiliser pour construire une pensée personnelle,
originale et créatrice. Prost le signalait dès 1983, en déplorant que
l’apprentissage intellectuel à l’école, réduit à une transmission de
connaissances, suivi d’exercices d’application, conduise à un
appauvrissement des études. On peut cependant se demander si le système
scolaire français n’est pas dans un entre-deux un peu hypocrite. D’un
côté, il affiche une haute ambition intellectuelle et un refus de
l’aplatissement des savoirs au profit d’une technique jugée
passe-partout et stérile ; il s’agit là d’une position largement
partagée, avec laquelle nul ne peut être en désaccord ; et ce d’autant
moins qu’il n’est pas beaucoup de lieux où apprendre à penser plutôt
qu’à réagir. De l’autre côté cependant, le système scolaire français
valorise de fait bien d’autres choses, que l’on affecte de mépriser ou,
du moins, auxquelles n’est pas accordée l’attention qu’elles
mériteraient. Et, au bout du processus, une prime à ceux qui ont
compris qu’il fallait tenir les deux exigences, et qui ont eu les
moyens de s’en assurer le respect.
Le travail dans l’école et sa périphérie
: propositions
Une proposition pourrait donc être,
sans rien changer à l’ambition des programmes en termes de formation
intellectuelle (ce qui n’est pas synonyme de volume), de ménager dans
le temps de cours la préparation à un travail d’appropriation ; ce
dernier peut ensuite être fait en dehors de la classe.
Mais
il gagnerait, au moins pour un certain nombre d’élèves, à pouvoir être
fait dans les murs de l’école avec un personnel apte à aider les élèves
à apprendre à travailler et à acquérir ces techniques ; ce qui signifie
que soient prévus des lieux et des temps qui rendent cela possible :
que l’étude surveillée soit réactivée, que la salle de permanence soit
organisée et pensée comme une salle d’étude, avec un personnel
disponible pour les élèves ; les aide-éducateurs, quand on ne leur
demandait pas de faire de la remédiation pour les élèves en grande
difficulté – hors de leur compétence – mais de l’appui au travail
quotidien des élèves, ont montré qu’une telle mesure pouvait être
pertinente (Piquée, 2003 ; Glasman, Ben Ayed, Russier, 2001).
En
dehors de l’école, c’est également possible, à condition, si l’on en
croit l’expérience acquise dans les dispositifs d’accompagnement
scolaire, que la centration sur le travail scolaire puisse bénéficier
d’un appui efficace ; les élèves semblent progresser davantage quand
l’accompagnement scolaire est assuré par des étudiants (Plassard et al,
1998), et peut-être des étudiants « avancés », c’est-à-dire ayant déjà
intégré ces différentes dimensions des apprentissages scolaires ; les
entreprises spécialisées dans le cours particulier à domicile
s’appuient plutôt sur des étudiants que sur du personnel titulaire de
l’éducation nationale, mais au moins certaines ont-elles le souci de ne
mobiliser pour ce faire que des étudiants en 4ème ou 5ème année
(enquête personnelle).
Le temps n’est plus où un élève
pouvait se contenter de « faire ce qu’on lui demande ». Il peut du reste
y avoir un aspect trompeur dans l’expression « faire son métier
d’élève », si l’on entend par là être conforme aux attentes de l’école ;
une partie de ces attentes est en effet implicite, et l’école ne dit
pas toujours assez que faire son travail ne suffit pas, qu’il faut en
fait être accoutumé, voire être rompu à certains travaux pour être en
mesure de faire face à ce qu’elle exige.
Très concrètement, il serait
imaginable de réfléchir aux propositions suivantes :
–
ressaisir, quand c’est nécessaire, la question du travail dans l’école.
Une partie relève, en classe et avec les enseignants, de la mise en
activité intellectuelle des élèves, c’est-à-dire bien au-delà des
tâches que l’on demande à l’élève d’accomplir mais qui ne font pas
toutes nécessairement sens pour lui, comme l’ont montré les travaux de
l’équipe Escol (Charlot et al, 1992 ; Rochex, 1995). Une autre partie
relève davantage de l’entraînement, de l’appropriation, de l’exercice
et, une fois le modèle montré et expérimenté en classe, peut être faite
hors de la classe.
– le travail hors de la classe peut trouver à l’école des temps et
des lieux plus favorables et plus cadrés : les salles de
travail, de permanence, le temps d’étude surveillées.
–
séparer plus
nettement, dans les dispositifs d’accompagnement scolaire, ce qui
relève des devoirs
scolaires et ce qui relève d’autres
activités,
et y veiller plus systématiquement à la rigueur et à la qualité de ce
qui est offert aux enfants et adolescents présents. Actuellement, il
est bien possible que l’on perde plus que l’on ne gagne à maintenir
dans une même séance les deux types d’activités.
–
encourager les formes de soutien individuel
qui se sont développées dans le secteur associatif. (…) »
lire
le rapport complet (150 pages), 2004
http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents/rapport_Glasman_Besson.pdf