Les professeurs des écoles évalués par leurs directeurs, l’affectation des enseignants contournant la procédure officielle, les services d’enseignement annualisés : ce sont quelques unes des modifications apportées par la Commission de l’éducation du Sénat à la loi Blanquer. Dominée par la droite, majoritaire au Sénat, elle a adopté cette loi le 30 avril en la modifiant assez profondément dans trois directions. La première c’est une prise en compte des intérêts des collectivités territoriales, jusque là assez méprisés par le gouvernement. La seconde va dans le sens du conservatisme social. La troisième, on l’a vu, joue la carte du nouveau management public et transforme substantiellement le métier enseignant. On a là les bases d’un futur compromis tant la proximité politique est grande entre le ministre et cette assemblée dominée par la droite.
L’EPSF supprimé
Annoncée par le Café pédagogique en exclusivité le 30 avril, la suppression des établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) est le point qui a fait l’unanimité dans la Commission. Chaque groupe du Sénat, sauf LREM, a déposé un amendement en ce sens. Pour Jacques Grosperrin (LR) » sa rédaction issue de l’Assemblée nationale est en effet inacceptable, en ce qu’elle ne permet pas de garantir que l’EPLESF ne constituera pas le cheval de Troie du regroupement des écoles rurales ». Pour Jacques Genest (Centriste) « la création d’un établissement public local d’enseignement des savoirs fondamentaux représente un réel danger pour l’existence des écoles rurales ». Pour Jean-Marc Boyer (LR) , « si faire du collège l’élément central des écoles de secteur est présenté avec pour but d’améliorer la continuité pédagogique entre l’école et le collège, cette disposition est peu sécurisante pour la pérennité même d’écoles notamment en milieu rural où celles-ci comptent peu de classes. Un regroupement de classes peut signifier ici une fermeture d’école ». Il est peu question du fonctionnement de l’école mais surtout de ce que représente l’école pour le maire.
A noter l’amendement de suppression de Maryvonne BLondin (PS) : « il n’est pas opportun de généraliser, par la création des « établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux », les expérimentations en cours (écoles du socle) alors qu’aucune évaluation n’a été menée ».
Le vote unanime de la commission n’est pas vraiment une surprise. Le Sénat est « la chambre du seigle et de la chataigne », élue principalement par les représentants des conseils municipaux des villages. A noter quand même que la suppression de l’article instituant l’EPSF a aussi comme conséquence que l’amendement déposé par Martine Berthet (LR) demandant l’accord explicite des maires et des conseils d’école pour ouvrir un EPSF a été écarté d’office.
Ce souci des intérêts des collectivités locales se retrouve dans l’amendement du rapporteur (et inspecteur général) Max Brisson (LR) (n°158) qui « prévoit que le mécanisme de compensation du surcoût lié à l’abaissement à trois ans de l’obligation d’instruction tiendra compte de la prise en charge des dépenses de fonctionnement des classes maternelles privées sous contrat consentie par certaines collectivités territoriales antérieurement à la présente loi ». Autrement dit il élargit aux communes qui payaient déjà pour les maternelles privées les frais occasionnées par l’application de la loi, alors que la loi initiale réserve l’aide de l’Etat aux seules communes qui n’avaient pas d’accord avec les maternelles privées. Voilà qui va augmenter la facture pour l’Etat et récompenser les municipalités proches de l’enseignement privé.
Un autre article est représentatif de cette défense des intérêts locaux. La commission a supprimé la possibilité pour le gouvernement d’effectuer la réforme de l’administration territoriale de l’éducation nationale par ordonnances.
Des amendements qui modifient le métier enseignant
« L’article 1 me va bien », avait déclaré le sénateur LR Jacques Grosperrin lors l’audition de JM Blanquer devant le Sénat sur sa loi. La commission maintient l’article 1 qui vise à sanctionner les enseignants s’exprimant sur l’institution scolaire. Elle a rejeté deux amendements demandant sa suppression (de Françoise Férat (centriste) et Marie Pierre Monnier (PS). Le rapporteur a fait adopter un amendement étendant « l’exemplarité » aux familles.
La Commission a adopté une série d’amendements, inspirés du rapport Grosperrin de 2015 et de celui de M Brisson et F Laborde de 2018.
Un amendement déposé par J Grosperrin met les professeurs des écoles sous l’autorité hiérarchique du directeur d’école qui « participe à leur évaluation » (n°67).
Un autre amendement déposé par M Brisson (LR) (279) impose la formation continue sur les temps de congés : « La formation continue est obligatoire pour chaque enseignant. « La formation continue s’accomplit en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement. Elle peut donner lieu à une indemnisation ». Un amendement à mettre en rapport avec un décret en préparation prévoyant l’indemnisation des enseignants suivant une formation sur leur temps de congé.
L’amendement 379 de M Brisson donne à l’Etat la possibilité d’affecter un enseignant hors circuit officiel en cas d’accord avec l’intéressé : « Par dérogation aux dispositions de l’article 60 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, l’affectation d’un enseignant peut procéder d’un engagement réciproque conclu avec l’autorité de l’État responsable en matière d’éducation pour une durée déterminée ». Cette disposition pourrait mettre fin au système actuel d’affectation.
Un amendement de Laurent Lafon (centriste) prévoit de mettre à la tête des conseils d’administration des établissements scolaires « une personnalité extérieure ». Cette vieille revendication de droite pourrait être satisfaite avec la loi Blanquer.
Le même L Lafon a déposé un autre texte adopté par la Commission (361) en lien avec un amendement de M Brisson (68) ouvrant le champ de l’annualisation des services entrouvert dans l’article 8 de la loi Blanquer. » Cet amendement supprime la mention du respect des obligations réglementaires de service des enseignants. Celles-ci demeurant définies sur une base hebdomadaire, cette mention viderait de leur contenu les expérimentations portant sur la répartition des heures d’enseignement sur l’année scolaire », explique l’amendement Brisson.
Alors que de nombreux enseignants de maternelle craignent que la mention des jardins d’enfants dans la loi Blanquer crée une structure concurrentielle des maternelles, un amendement déposé par Jocelyne Guidez (centriste) (n°78) et adopté pérennise ces jardins d’enfants pour les enfants de 3 à 6 ans. Le texte initial de la loi les prolongeait pour trois ans seulement. » cet amendement propose de les inscrire dans un cadre pérenne, en leur donnant la possibilité de remplir l’obligation d’instruction donnée aux enfants âgés de trois à six ans ». Un amendement (N°232) limitant le seuil d’accueil des crèches de zéro à 3 ans a été repoussé.
La commission a aussi adopté un amendement de Stéphane Piednoir (LR) prévoyant l’aménagement du temps scolaire pour la 1ère année de maternelle. « Pour la première année d’école maternelle, un aménagement temporaire de l’assiduité de l’enfant peut être décidé par le directeur d’école, sur proposition de la famille et dans le cadre d’un dialogue avec l’équipe éducative ».
Des mesures ancrées à droite
On aurait pu attendre du Sénat qu’il nettoie la loi de tout le fatras nationaliste qui a tant occupé l’Assemblée pendant les premiers jours du débat. Il n’en est rien. Le Sénat s’est juste attaché à réduire les coûts. Ainsi il n’y aura plus « présence » des drapeaux français et européen dans chaque salle de classe. Une simple affiche remplacera les drapeaux pour « réduire les coûts » (amendement 2). Chaque salle de classe n’aura pas à afficher une carte , « une dépense coûteuse » pour J Grosperrin (n°172). Un amendement socialiste avait demandé la suppression des drapeaux, il est écarté.
Plus significative est la suppression de la mention « parent 1 parent 2 », tendant à adapter les formulaires à tous les couples, prévue par les amendements Brisson (18) et Mélot (indépendante) (50).
L’amendement de Mme Blondin (PS) prévoyant de lutter contre la discrimination dont sont victimes les enfants étrangers pour l’accès à l’école (n°177) a été aussi rejeté. Max Brisson a fait adopter aussi un amendement (n°11) supprimant la procédure d’inscription d’urgence sur la liste scolaire prévue par la loi, procédure visant à lutter contre cette même discrimination. La commission a aussi écarté la création d’un numéro d’identification des enfants permettant de lutter contre la non scolarisation.
Elle a adopté un amendement de Philippe Mouiller (LR) (n°123) visant à limiter l’aide personnelle aux enfants handicapés. Un amendement de M Blondin (n°269) visant à supprimer les PIAL a été rejeté.
La commission n’a pas touché aux EPLEI, ces établissements d’élite créés par la loi Blanquer. Elle a par contre écarté un amendement de M Grand (LR) demandant qu’il y ait un quota d’élèves venant de l’éducation prioritaire. Les EPLEI recruteront dès le primaire les élèves sur la base de leur niveau en langue étrangère, un critère très sélectif socialement.
Le CNESCO supprimé
On aurait pu attendre du Sénat, qui y était représenté, un soutien au Cnesco. Un amendement Lepage (PS) et un autre du sénateur LR Karoutchi demandait la suppression du Conseil d’évaluation de l’école créé par la loi Blanquer et donc le maintien du Cnesco. Ils ont été écartés par la commission. Un amendement de M Brisson (205) modifie la composition du CEE » afin de réduire la dépendance de ses membres vis-à-vis du ministre chargé de l’éducation nationale et, plus largement, du Gouvernement ». Mais dans sa nouvelle composition, le parti au pouvoir nomme encore la grande majorité de ses membres.
Quel avenir pour le texte ?
Sur les points qui concernent le métier enseignant, le Sénat n’aura aucun mal à trouver un compromis avec le gouvernement. Dans ses ouvrages, JM Blanquer a défendu les mêmes propositions. Dans les cas concrets de discrimination pur l’inscription scolaire, il s’est bien gardé d’intervenir, comme on l’a vu dans le scandale de Chilly Mazarin en octobre 2018, alors même que la majorité venait de faire adopter une loi proposée par la député LREM AC Lang, la future rapporteure de la loi Blanquer à l’Assemblée…
Les points d’opposition portent sur l’EPSF, la prise en charge financière des maternelles privées et la réforme territoriale. Le rapporteur de la loi devant la Commission semblait confiant dans un compromis. Dans cette perspective la loi pourrait entrer en application très rapidement, peut-être à la rentrée. La seule inconnue c’est la mobilisation montante chez les enseignants, particulièrement dans le primaire, que le Sénat a choisi d’ignorer. La loi sera examinée par le Sénat du 14 au 16 mai.
François Jarraud