« La dégradation du climat se confirme chaque jour. Qui le sait et qui s’en préoccupe? » Personne pense Pierre Frackowiak, IEN, dans cette tribune. Pour lui, les nouveaux programmes du primaire, l’atmosphère rétrograde semée par les médias et ces instructions, font éclater l’école.
Les critiques sur les nouveaux programmes fusent de toutes parts comme jamais cela ne s’était produit à propos de programmes scolaires depuis la création de l’Ecole de la République. Il est vrai que pour la première fois de notre histoire, un président de la République et un ministre de l’Education Nationale balaient d’un revers de main 30 ans d’efforts de l’institution pour améliorer ses performances et mieux répondre aux enjeux d’une société en mouvement. Que ses résultats ne soient pas à la hauteur des espérances et des volontés, personne ne le conteste. Mais l’honnêteté intellectuelle imposerait de rappeler de où et de quoi elle est partie. Plus personne n’évoque l’état de l’Ecole à la fin des années 60 au moment des premiers pas de la massification. La rénovation pédagogique engagée d’abord par des ministres de droite, puis au fil des alternances gauche/droite dans le cadre d’une continuité républicaine qui a fait honneur à notre pays de 1969 à 2002, hors la parenthèse de Chevènement en 1983, n’a pas été décidée et portée par des irresponsables, elle était indispensable. Tout ces efforts, toute cette intelligence au service de l’Ecole et des enfants, gaspillés pour revenir aux programmes et aux méthodes du 19ème siècle qui avaient fait la preuve de leur inefficacité après 80 ans de bons et loyaux services. Chaque jour apporte son lot de contestation. Les pédagogues, les experts, les syndicats d’enseignants et d’inspecteurs, les anciens ministres, l’association française des psycholinguistes, les mouvements d’éducation populaire, l’association des enseignantes des classes maternelles, les mouvements pédagogiques, les historiens de l’éducation, des personnalités du monde de la culture et de la connaissance, etc, expriment leur indignation et leurs mises en garde. Les seuls du paysage éducatif qui sautent de joie sont les groupuscules ultraréactionnaires qui, à l’instar d’un pamphlétaire considéré comme le conseiller occulte du ministre, exigent le retour à un âge d’or de l’école qui n’a jamais existé. Le Président de la République lui-même avait pourtant écrit dans sa lettre aux éducateurs qu’il ne pouvait être question de revenir à l’école du passé pour des raisons de bon sens.
Philippe MEIRIEU, Roland GOIGOUX, Eveline CHARMEUX, Rémi BRISSIAUD, le professeur MONTAGNER et tant d’autres ont démontré les erreurs fondamentales et les dangers présentés par ces nouveaux textes qui sont soumis à concertation… alors que les éditeurs diffusent déjà massivement des manuels » conformes aux nouveaux programmes « .
Leurs arguments et leurs mises en garde sont remarquablement fondés, très difficiles à ignorer pour ceux qui aiment l’école et en font le coeur d’un projet de société. Mais ni les experts, ni les ministres, ni les recteurs, ni les inspecteurs d’académie, ne peuvent mesurer l’importance des dégâts collatéraux de cette politique. Les conséquences sur le climat autour des écoles, sur les équipes pédagogiques, sur les rapports entre l’école et les familles, sur la mobilisation des enseignants, ne se révèleront aux yeux des gouvernants que dans 20 ou 30 ans, quand il faudra réinventer dans l’urgence la rénovation pédagogique, la recherche, et, sans doute, dans la perspective, désormais pourvue de sens, de la société de la connaissance et la communication et de l’éducation tout au long de la vie, la loi de 1989 (dite loi Jospin) qui mettait enfin un terme officiel à la lente agonie de l’école de Jules FERRY;
G. de ROBIEN avait déjà donné l’exemple et le ton. Les parents, sous-informés et manipulés par certains média sont venus interpeller les enseignants pour exiger le retour au b-a ba puisque le ministre l’avait dit. C’est à cette période qu’une association fort riche, SOS Education, avait osé demandé publiquement que les parents dénoncent les maîtres qui ne faisaient pas » pa pe pi po pu « . Nous pouvions légitimement espérer un autre schéma avec M. DARCOS. Nous nous sommes trompés. La diligence revient sur les rails du TGV avec tous les risques que cela comporte.
Les divisions, les conflits, les querelles, les mauvais procès commencent à propos des programmes comme à propos des heures de soutien et des stages de remise à niveau. Ici et là, les débats sont vifs et laissent augurer, hélas, des situations désastreuses:
*dans l’école de L, les parents interpellent les enseignants du CE1 qui n’ont pas encore » fait « , de leur point de vue, l’adjectif qualificatif et exigent le respect des programmes qui ressemblent tellement à ceux qu’ils et que leurs parents ont connus
*dans l’école de H, quelques tenants des SLECC, GRIP, LE BRIS, BOUTONNET, exultent: » On vous l’avait bien dit. Nous avons toujours refusé d’appliquer les réformes successives, notamment celle de 89. Nous avons eu raison de résister et de désobéir « . Les autres baissent la tête et se demandent comment noyer leur chagrin.
*dans l’école de A, les parents veulent désormais des devoirs à la pelle, extrapolant les propos du ministre. Une enseignante cède pour avoir la paix, l’autre persiste dans une pédagogie plus contemporaine. Les parents opposent alors les deux enseignantes qui finissent par se fâcher entre elles.
*dans l’école de M, les parents exigent que leur enfant soit dans des groupes de soutien même pendant les vacances et même s’il n’en a pas besoin. Mais les enseignants de cette école ne veulent pas participer à cette opération. Ils sont alors agressés parce que dans l’école de la commune voisine, les groupes sont annoncés, des enseignants sont volontaires. Or, de toutes manières, l’enveloppe ne permet en aucun cas de mettre en place cette semaine de soutien dans toutes les écoles. Les tensions avec les parents se développent. Un jeune maître ayant besoin d’argent, propose sa candidature. Ce maître bien sympathique sollicite ses collègues pour avoir un maximum d’information pour chaque enfant concerné. Mais, malgré le climat de coopération qui s’était instauré, les consensus volent en éclats. Dialogue authentique: » – Je ne vais pas faire des heures supplémentaires gratuitement alors que toi tu seras payé – Bon , si je n’ai pas les informations et les manuels, je ferai du bled, la dernière version, conforme aux programmes de 2008, vient d’arriver dans les écoles « . Les petits noms d’oiseau ne sont pas loin
*dans l’école de A, les enseignants sont consternés. Ils se sentent méprisés par le ministre, par les parents, par les autres. Ils décident d’arrêter » de chercher et de faire des choses intelligentes pour rendre les enfants encore plus intelligents qu’ils ne le sont « . Ils déplorent que tous les efforts accomplis depuis 30 ans soient caricaturés. Ils exigent des manuels et » feront une leçon par jour, c’est beaucoup moins fatigant de faire l’école comme au 19ème siècle que comme on a tenté de le faire depuis des années « . Mais deux collègues ne sont pas d’accord et considèrent que, la porte de la classe étant fermée, ils feront ce qu’ils voudront. Les autres rétorquent que même porte fermée, ils sont sous la surveillance des parents. Le travail d’équipe vole en éclats… D’ailleurs, on n’en parle plus.
Ces faits sont tous vrais, observés sur le terrain ces jours derniers, signalés par les directeurs dont la tâche n’est pas facile, coincés entre collègues aux avis divergents, parents attachés à l’école qu’ils ont connue, même quand ils en ont été victimes, opinion publique plus apte à soutenir le conservatisme en la matière que le progrès, contrôlés par une hiérarchie plus ou moins zélée ou obéissante.
La dégradation du climat se confirme chaque jour. Qui le sait et qui s’en préoccupe? Personne. De plus, on trouvera bien un sondage conçu pour être favorable, une concertation aux questions bien orientées, des médias complaisants pour sauver les apparences, des arguments pour se donner bonne conscience…
Entre résignation, découragement, résistance passive, révolte pour les uns, joie de retrouver des pratiques plus faciles à mettre en oeuvre et qui culpabilisent toujours les enfants et leurs familles quand ils sont en échec pour les autres, le malaise des enseignants et la crise de l’école ne sont pas près de s’éteindre. Seule incertitude, le temps qu’il faudra pour que le désastre impose un nouvel élan vers la modernité.
» L’école ou la guerre civile « , écrivait Philippe MEIRIEU en 1997. Le pire n’est jamais sûr. En matière d’éducation, le progrès l’est encore moins.
Pierre FRACKOWIAK
Liens :
Sur le Café, sur le rapport Maternelle
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Sur le rapport sur la grammaire
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/grammaire06_1.aspx
Sur le rapport du HCE
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Dernier article : sur les journées mathématiques de Maubeuge
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